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Il se rendit à l'Assemblée; l'Assemblée refusa de l'entendre (1). Le conseil-général attendait avec inquiétude quelle serait l'issue de cette démarche. Hébert entre, et s'écrie du ton le plus violent: «Citoyens, le vœu du peuple vient d'être étouffé; >> vos magistrats sont avilis; les droits impres»criptibles de l'homme foulés aux pieds; la Con>>vention a refusé de nous entendre. Je ne m'ap» pesantirai point sur les mesures que vous avez à prendre, le temps presse; reportons-nous au » 10 août. C'est dans les fastes de cette journée » célèbre que nous lisons nos devoirs; notre posi» tion est la même : nos tyrans, il est vrai, ne » sont pas les mêmes; mais leur tyrannie n'en est >> pas moins insupportable. >>

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Malgré ce premier succès, les girondins ne se dissimulerent point les difficultés qu'ils éprouveraient dans la formation de leur garde départemen

(1) Il y a ici une confusion de faits qui a besoin d'être éclaircie. Ce ne fut point le décret relatif à la création d'une garde départementale qui provoqua la pétition de la commune dont la Convention refusa d'entendre la lecture. Ce fut le décret, très-postérieur, qui avait pour but le bannissement de tous les Bourbons, et en conséquence du duc d'Orléans. (Séance du 19 décembre. ) Il est vrai qu'une pétition des quarante-huit sections fut aussi présentée le 19 octobre contre le premier de ces décrets, mais cette pétition fut entendue jusqu'à la fin par l'Assemblée; et elle ne put servir de prétexte aux déclamations d'Hébert, qui dans le fait furent excitées par le refus d'entendre celle du 19 décembre. (Note des édit.)

tale il leur parut plus prudent d'en suspendre la levée jusqu'à ce que l'état de fermentation où se trouvait Paris eût fait place à un état plus calme. Mais, attribuant avec raison les troubles qui agitaient cette ville à la faction d'Orléans, ils conclurent qu'il fallait d'abord se débarrasser de son chef. Ce nouveau projet arrêté, ils suivirent la marche qu'avaient constamment suivie les meneurs de tous les partis; marche qui consiste à comprendre sous une proscription générale l'homme que l'on veut perdre, afin de voiler de l'apparence du bien public l'intérêt personnel qui fait agir. Ils demandèrent le bannissement de tous les Bourbons, observant qu'il était dangereux de conserver au sein de la république une famille dont les droits et les intérêts étaient si opposés aux droits et aux intérêts du peuple, et qui, par son influence, serait un continuel obstacle à la tranquillité intérieure. Les orléanistes et les jacobins dirigèrent contre Roland, ministre favori des girondins, les mêmes armes qu'avaient employées les girondins contre le duc d'Orléans. Ils répondirent que l'influence qu'exerçait Roland sur les départemens n'était pas moins dangereuse pour la chose publique ; que si l'on bannissait les Bourbons à cause des inquiétudes que donnait leur naissance, on devait, par un ostracisme prudent, bannir tous ceux que leurs talens, leurs richesses, et surtout leur ambition rendaient ennemis de la liberté. Marat, ménageant moins les termes, s'emporta

contre le décret proposé; Robespierre, plus cauteleux, s'enveloppa de longues phrases insignifiantes. Il avait déjà jeté les fondemens de cette puissance tribunitienne à laquelle il parvint dans la suite; mais il sentait la nécessité de ménager les nombreux partisans de la faction d'Orléans, et voulait s'en servir pour combattre les girondins. De là sa conduite en apparence indécise, conduite qui l'a fait soupçonner long-temps d'agir de concert avec le duc, et qui n'était pas le calcul d'une politique très-adroite, conforme à la position où il se trouvait alors.

Les girondins l'emportèrent, le décret fut rendu : mais si les girondins étaient les plus forts à l'Assemblée, leurs adversaires étaient les plus forts à la commune et aux jacobins. Ils n'eurent pas de peine à soulever Paris contre un décret qu'ils représentèrent, avec raison, comme un véritable attentat à la liberté des citoyens. Le maire vint à la tête des quarante-huit sections (1) en commander le rapport; et les girondins, cédant à l'orage, consentirent à ce qu'il fût rapporté (2). Les deux partis s'acharnèrent l'un sur l'autre avec plus d'animosité que jamais. Rebecqui, Barbaroux et Louvet accusèrent Robespierre de prétendre à la dictature (3). Robespierre ne répondit que par une

(1) Séance du 19 décembre. Voyez la note de la page 258. (2) Même séance.

(3) Les dénonciations de Barbaroux, de Rebecqui et de Louvet contre Robespierre sont antérieures à la discussion

longue énumération des services qu'il avait rendus à la chose publique, et par des protestations ampoulées de son amour brûlant pour la liberté.

Cette tentative n'était que le prélude d'une attaque autrement importante. Les girondins craignaient beaucoup plus Danton qu'ils ne craignaient Robespierre et Marat, enfans perdus, disaient-ils, que Danton mettait en avant. Cet homme, d'une figure atroce et repoussante, à la fois féroce et voluptueux, tour à tour plongé dans la mollesse ou agité par l'activité du crime, dont la politique n'était qu'un froid calcul de destruction, et l'éloquence qu'un élan de fureur, vivait, à Paris, accablé de dettes, lorsque, la révolution ayant imprimé un mouvement général à tous les esprits, il crut y voir un chemin qui le conduirait rapidement à la fortune. Il s'y jeta donc, et se faisant jour à travers la tourbe populaire qui en obstruait l'entrée, il arriva, le 14 juillet, à la place de président du fameux district des Cordeliers: une extrême impudence, une voix de stentor, des formes athlétiques qui en imposaient à la multitude, lui donnèrent bientôt une grande prépondérance dans son parti; il s'en servit habilement pour arranger ses affaires. Porté, le 10 août, par la faction d'Orléans,

relative au bannissement des Bourbons. Elles furent présentées dans les séances du 25 et du 29 octobre. La plus remarquable de ces philippiques est celle de Louvet. Nous la don nerons textuellement à la suite de ses Mémoires.

(Note des édit.)

au ministère de la justice, et devenu ainsi le chef de cette foule de brigands accourus à Paris de toutes les parties de la France, il sut se rendre redoutable à ses concitoyens, aux autres ministres ses collègues, et à l'Assemblée elle-même, de concert avec le comité de surveillance de la commune. Il conçut, ordonna et dirigea les massacres de septembre; organisa le meurtre et le pillage dans les départemens. Le corps électoral de Paris, composé d'hommes qui lui étaient dévoués, le rendit maître des élections; il en disposa en faveur de ses satellites; se fit nommer député à la Convention. Tout le monde savait qu'il avait commis d'énormes dilapidations pendant son ministère, et qu'il s'était approprié la plus grande partie des sommes accordées pour les dépenses du gouvernement. Son luxe attestait ses rapines. Les girondins pensèrent qu'en l'attaquant de ce côté, ils parviendraient aisément à le perdre dans l'esprit du peuple, ou que du moins ils diminueraient son influence, en le signalant à ses yeux comme un dilapidateur (1). Leur ministre Roland vint pré

(1) Madame Roland, dans ses Mémoires, offre une peinture détaillée du caractère, des mœurs, et même de la figure extraordinaire de Danton. Nous y renvoyons nos lecteurs. Déjà nous avons signalé à leur attention, comme un morceau historique très-propre à faire connaître l'un des personnages les plus importans de la révolution, l'article Danton, inséré dans la Biographie publiée à Bruxelles sous le titre de Galerie des contemporains. Plusieurs des Mémoires

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