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vous nous fassiez dire quelque chose, ne vous

gênez pas.

L'Assemblée parut vouloir s'occuper de l'émigration (1). Léquinio (2) assura que toute loi contre

(1) M. de Ferrières, dans ce passage où il exprime des doutes sur la volonté ferme de l'Assemblée législative, d'arrêter les progrès de l'émigration, fait allusion à la séance du 20 octobre où la discussion maintint dans une balance à peu près égale les opinions pour et contre les émigrans. Plus tard, comme l'auteur va nous l'apprendre lui-même, la discussion fut reprise avec plus de force et de chaleur. Un projet, présenté par Roujoux et Condorcet, reproduit, amendé par Vergniaux, et appuyé par M. de Girardin, fut converti en décret, et sanctionné par le roi. Dans ce décret, l'Assemblée nationale sommait Monsieur de rentrer en France. Un second projet, portant des peines générales contre les princes français et contre les émigrés, fut suspendu par le veto.

Au reste, cette discussion étant l'une des plus importantes de la révolution, nous en offrirons une analyse détaillée dans les éclaircissemens historiques (C).

(Note des édit.)

(2) M. Lémontey prononça un discours dans le même sens. Selon lui, « une loi contre les émigrés était inexécutable, dangereuse, impolitique, inutile surtout; car l'effet d'une loi contraire au droit naturel est d'inviter à la violer. - Qu'avez-vous au surplus à regretter dans les émigrés, disait M. Lémontey? Leurs richesses? Ils les employaient à fomenter des troubles. Leurs personnes? Mais il vaut mieux les avoir pour ennemis déclarés que pour citoyens turbulens ou serviteurs perfides. Leur fuite n'est à nos yeux qu'une transpiration naturelle de la terre de la liberté. » L'on doit sentir quelle équitable et bienveillante intention se cachait sous ces paroles. (Note des édit.)

l'émigration était contraire aux principes de la constitution; il insinua qu'il n'était pas de l'intérêt de l'Assemblée de s'occuper de cet objet; et déroulant une partie du plan adopté depuis: N'avons-nous pas des gages ? le premier coup de canon ne serait-il pas le signal ou plutôt l'ordre d'une juste confiscation des biens des émigrés? N'attacheriez-vous pas de plus en plus les citoyens des campagnes à la constitution? Ne les intéresseriez-vous pas à la défense publique en prononçant en leur faveur la remise des droits féodaux? et ne trouveriez-vous pas, dans le partage du reste entre nos troupes et les soldats étrangers, de quoi récompenser les nôtres de leurs services, et de quoi récompenser les étrangers de la cessation de leurs hostilités et de leur fraternisation avec nous ?

Ainsi, loin de chercher à arrêter l'émigration, l'Assemblée prit tous les moyens, non-seulement de la favoriser, mais encore de l'exciter (1). Elle

(1) Ceci ne paraît pas s'accorder avec ce qui sera dit plus loin par l'auteur lui-même, lorsqu'il parlera des décrets sur les émigrés. Il ne semble pas que l'Assemblée ait perdu beaucoup de temps pour rendre ces décrets. Elle s'était réunie le 1er octobre 1791 ; ses premières motions contre les émigrés furent faites dans les séances du 15 et du 16; la discussion s'ouvrit le 20; elle continua le 22; reprise le 25, elle fut ajournée au 28. Le premier décret fut adopté, sauf rédaction, ce jour même; le second, renvoyé à une commission qui fit son rapport le 8 novembre, fut adopté le 9. Ainsi l'Assemblée législative, après cinq semaines de session, eut discuté et rendu

vit qu'il fallait profiter du délire général et de l'empire du bon ton, si puissant sur les têtes françaises; que pour peu que l'émigration s'arrêtât, elle cesserait entièrement; que l'inconstance naturelle aux Français, l'ennui, la différence des mœurs, des usages, les ramèneraient bientôt dans leur patrie. On ne prit donc aucune mesure; et si parfois des lettres des départemens dénonçaient la presque totale émigration des nobles, la désertion des états-majors et des officiers de l'armée, on réclamait froidement l'ordre du jour.... On jetait cependant de temps à autre quelque proposition répressive; cela dans la vue d'augmenter le désir et de håter les départs, par la crainte des obstacles que l'on pourrait y apporter. Les clubs jacobites secondèrent parfaitement l'Assemblée; partageant déjà, dans leurs flatteuses spéculations, les riches dépouilles de la noblesse, ils excitaient les paysans contre les nobles, assurant qu'ils s'armaient secrètement, qu'ils voulaient égorger une partie du peuple et réduire l'autre à l'esclavage. Peu eurent le courage de résister aux persécutions qu'on leur suscita, et encore moins eurent la prudence de n'y opposer qu'une conduite franche et loyale. L'Assemblée n'eut pas les mêmes ménagemens à l'égard

contre les émigrés deux décrets à l'exécution desquels elle semblait attacher un grand prix, si l'on en juge par les réclamations que fit naître dans son sein le veto du roi, apposé sur le second de ces décrets. (Note des édit.)

des prêtres; on les craignait plus que l'on ne craignait les émigrés. Les prêtres, et surtout les évêques, employaient toutes les ressources du fanatisme pour soulever le peuple des campagnes et des villes contre la constitution civile du clergé. L'Assemblée constituante avait accordé aux prêtres non assermentés la permission de célébrer l'office dans les églises paroissiales qu'occupaient les prêtres constitutionnels. Les évêques jugèrent que si les prêtres non assermentés exerçaient leurs fonctions dans les mêmes églises que les prêtres assermentés, les deux cultes viendraient bientôt à se confondre; que le peuple entendant les mêmes prières, voyant les mêmes cérémonies, cesserait d'établir entre eux une différence assez grande pour s'inquiéter beaucoup de celui des deux qui était le meilleur (1). Les évêques représentèrent aux prêtres non assermentés que cette prétendue faveur était un piége qu'ils devaient éviter soigneusement, leur déclarant que s'ils célébraient le service divin dans les églises des intrus, ils auraient avec ces faux pasteurs schismatiques une communication que les lois de l'Eglise interdisent; que, pour éviter cet inconvénient, ils devaient, d'après le second article du décret, se procurer un lieu quelconque où ils pussent exercer leurs fonctions et réunir leurs fidèles paroissiens; que, sans cette

(1) Rapport de Gallois et Gensonné sur les troubles de la Vendée.

précaution, les catholiques, dans la crainte d'être privés de la messe et des sacremens, appelés par la voix de ces faux pasteurs, communiqueraient avec eux, et se trouveraient exposés aux suites d'une interdiction; que s'il était difficile de se procurer un endroit convenable, des vases sacrés et des ornemens, alors un autel portatif, une chasuble d'indienne, ou de quelque étoffe commune, suffi– raient; que cette pauvreté du berceau de leur sainte religion, les rendrait à leur primitive innocence; qu'on tiendrait un double registre où l'on inscrirait les actes de baptême, mariage, sépulture des habitans de chaque paroisse; qu'un de ces registres resterait entre les mains de l'ancien curé; que l'autre serait déposé par lui, tous les ans, chez une personne de confiance; qu'outre ces deux registres, messieurs les curés en auraient un troisième où seraient inscrits les actes concernant les mariages faits en vertu de l'autorisation qui leur serait donnée, conformément aux pouvoirs contenus dans l'instruction; que ces actes seraient signés de deux témoins; que, pour leur donner plus d'authenticité, l'évêque, ou en son absence un de ses vicaires - généraux, parapherait ces registres, et l'on en remettrait un double, comme il était dit ci-dessus, à une personne de confiance; que les curés, avant d'abandonner leurs églises, attendraient que leur successeur leur eût notifié l'acte de sa nomination; qu'ils dresseraient en secret un procès-verbal de l'institution du prétendu curé;

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