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quatre à cinq cents hommes de la populace, et autant de femmes, remplissaient la cour. Pétion parut à l'une des fenêtres avec son épouse et plusieurs de ses amis les battemens de mains, les vive Pétion! redoublèrent. Quelques jacobins crièrent que l'on fit silence. Chacun se tut, et Pétion dit : « Frères et amis, recevez toute ma reconnaissance de l'attachement que vous me marquez: je tâcherai toujours de mériter la confiance dont vous m'avez honoré par votre choix. Le témoignage que vous me donnez de vos sentimens, me dédommage bien des persécutions que j'ai éprouvées. Ce jour est le plus beau de mes jours, puisqu'il me procure le plaisir... A ces mots, comme s'il n'eût » pu résister aux différentes sensations qui l'oppressent, il cache son visage de ses deux mains, se rejette brusquement en arrière, et tombe dans les bras apostés pour le recevoir. Le jour de la fédération lui préparait un triomphe plus solennel; la fête semblait n'avoir que Pétion pour objet. Il marchait majestueusement, entouré du corps municipal, au milieu des cris de vive Pétion! de Pétion ou la mort! L'œil fixe, l'air serein, le front radieux, couvrant de sa protection le duc de La Rochefoucauld, à qui il feignait d'avoir généreusement pardonné sa destitution, et qu'il fit, disent quelques écrivains, assassiner six semaines après (1), saluant avec une

(1) Cette assertion semble dénuée de preuves, et M. de Ferrières ne la présente que comme un bruit répandu par

orgueilleuse modestie la foule immense du peuple qui se pressait sur ses pas et battait des mains à son passage; tandis que Louis XVI, couvert d'un nombreux bataillon de grenadiers nationaux, destiné à protéger sa marche et à garantir sa personne, se rendait, par des rues détournées, au Champde-Mars, cherchant à se dérober aux huées et aux insultes de la populace.

(1) Cependant les girondins, effrayés eux-mêmes de la grandeur de leurs projets, et tourmentés de cette anxiété fatigante attachée aux entreprises dont le succès est incertain, songeaient à se ménager un asile dans le midi de la France. Barbaroux, jeune homme ardent, impétueux, venu à Paris avec les Marseillais (2), Servan, ex-ministre de la guerre, et la femme Roland, s'entretenaient sans cesse du bon esprit qui régnait dans le midi, et des facilités que présentaient ces provinces à l'établissement

les ennemis de Pétion. Peltier, dans son histoire du 10 août, prétend que l'ordre d'assassiner le duc de La Rochefoucauld était signé par Santerre, mais il ne désigne pas Pétion comme en étant l'auteur. (Note des édit.)

(1) Mémoires de madame Roland; tome Ier. (Notice sur le premier ministère de Roland.)

(2) Il s'agit ici d'un corps de volontaires marseillais, au nombre de cinq cents hommes, qui se rendit à Paris vers le temps de la fédération du 14 juillet, et qui contribua puissamment au succès de la sanglante journée du 10 août.

Au reste, les notes que nous offrirons sur cette partie des Mémoires de M. de Ferrières, seront peu étendues. Nous

d'une république : ils prenaient des cartes géographiques, traçaient la ligne qui devait séparer la France république de la France monarchique. Servan étudiait les positions. « Le midi sera notre ressource, s'écriait Barbaroux; ce sera notre pis aller, si les Marseillais que j'ai ici ne sont pas secondés par les Parisiens, et ne peuvent réduire la cour; mais j'espère qu'ils en viendront à bout, et que nous aurons une Convention qui donnera la république à toute la France. >>

Il fallait, pour arriver à ce but, éloigner les gardes-suisses et les trois régimens de ligne qui faisaient le service de Paris. On accusa les Suisses de porter des cocardes blanches, et de tenir des propos contre-révolutionnaires (1). Chabot dénonça de nouveaux complots, de nouveaux rassemblemens d'aristocrates. Les girondins exagérèrent l'extrême besoin que l'armée avait de prompts renforts. L'Assemblée décréta que le roi ferait partir, sous trois jours, les gardes-suisses et les trois régimens de ligne qui étaient à Paris; qu'en attendant qu'on leur eût assigné une destination ulté

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nous proposons de publier les Mémoires inédits de Barbaroux, dans lesquels le lecteur trouvera une foule de détails curieux et inconnus jusqu'à ce jour, sur les véritables auteurs du 10 août, sur la part qu'y prit Barbaroux lui-même, enfin sur les causes, le but et les principales circonstances de cette journée mémorable.

(1) Logographe.

(Note des édit. )

rieure, ils seraient cantonnés à douze lieues au moins du corps législatif (1).

,

Les ministres cherchèrent à éluder l'exécution d'un décret qui mettait le roi et la famille royale à la disposition de ses ennemis : ils représentèrent que l'on ne pouvait faire partir si promptement les gardessuisses; que leurs capitulations avec la France leur assuraient le service auprès de la personne du roi. Les girondins dissimulèrent, n'étant peut-être pas fàchés de ce refus indirect, si propre à montrer au peuple que la cour avait des intentions hostiles et à devenir, dans la suite, la matière d'une accusation grave contre les ministres et contre le roi lui-même; mais, pour lui ôter la ressource de la garde nationale de Paris (2), on cassa l'état-major, les compagnies de grenadiers et de chasseurs, sous prétexte que cette distinction était contraire à l'égalité, et fomentait des jalousies et des divisions; on y admit tous les gens sans aveu, tous les vagabonds que soudoyait d'Orléans; on fit plus : voulant dégoûter le peu de bourgeois attachés à la constitution, qui persistaient à rester dans les bataillons, malgré les désagrémens qu'on leur donnait chaque jour, et les rendre suspects au peuple, en les lui peignant comme des hommes dévoués à la cour, on épia l'occasion de susciter une querelle entre eux et les Marseillais, en prenant toutefois

(1) Séances des 15 et 17 juillet.

(2) Logographe.

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:

les précautions les plus sûres pour que les premiers seuls en fussent les victimes. L'occasion ne tarda pas quarante grenadiers du bataillon des FillesSaint-Thomas, l'un de ceux qui s'étaient le plus fortement prononcés en faveur du roi et de la constitution, avaient commandé un repas fraternel aux Champs-Élysées. Les orléanistes et les girondins arrangèrent, pour le même jour et pour la même heure, une fête à laquelle ils invitèrent les Marseillais ils prévirent qu'au milieu des flots de vin que l'on prodiguerait aux convives, il serait aisé d'engager une rixe. Les affidés du parti dirigèrent leur promenade du côté des guinguettes où étaient rassemblés les Marseillais; Basire, Chabot et Santerre s'y rendirent; et, lorsque le vin eut commencé à échauffer les têtes, quelques orléanistes vinrent, d'un air empressé, dire aux Marseillais que les grenadiers des Filles-Saint-Thomas criaient: Vive le roi! vive la reine! à bas la nation! Cette annonce, quelque dépourvue qu'elle fût de vraisemblance, met en mouvement une troupe furieux à demi-ivres, dont les chefs, d'intelligence avec les orléanistes et les girondins, loin de retenir leurs soldats, les animent encore par leurs discours. Les uns crient aux armes! et font battre le rappel; les autres sautent par les fenêtres, courent à la guinguette où s'amusaient paisiblement les grenadiers des Filles-Saint-Thomas, les attaquent brusquement en les chargeant d'injures. Les grenadiers se mettent en défense; mais, voulant évi

de

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