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de remplir, en tout temps et dans toutes les circonstances, les devoirs que lui imposait cette

même constitution.

Le ministre de l'intérieur lut ensuite les pièces officielles qui constataient le délit de Pétion, et sa connivence avec les factieux. Dumas appuya la dénonciation du ministre, et parla avec feu de l'horreur qu'avait inspirée cet horrible attentat à tous les amis de la constitution. L'Assemblée se contenta de renvoyer à son comité de surveillance la lettre du roi, et les pièces qui y étaient jointes; quelques députés osèrent même révéler une partie du but que. l'on s'était proposé, en demandant que l'on reportât à la sanction les décrets sur les prêtres et sur le camp de vingt mille hommes. Une agitation sourde régnait encore dans les esprits. On craignait que les orléanistes ne voulussent tenter, le lendemain, un nouveau mouvement plus décisif que celui de la veille. L'alarme se répandit au château. La reine courut auprès de M. le dauphin. Ce jeune prince, âgé de six ans, voyant sa mère trèseffrayée, lui dit, en l'embrassant : « Maman, estce que hier n'est pas encore fini ?.. » mot qui, par sa charmante naïveté, peint les angoisses conti+ nuelles dans lesquelles vivait la famille royale. Le roi, à qui l'on avait peut-être exagéré les craintes, manda Pétion. Un journal, dévoué au parti d'Orléans, me fournit les détails de leur conversation; ils peignent les personnages et leur position respective.

Pétion, accompagné de Panis (1) et de Sergent, trouva le roi et la famille royale dans le salon de jeu il avait avec lui soixante personnes, courtisans et officiers de la garde nationale. Le roi dit d'un ton fort sec: « Monsieur le maire, le calme est-il rétabli dans Paris?-Sire, le peuple a fait ses représentations, et tout est parfaitement calme.

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Avouez, Monsieur, que la journée d'hier a été d'un grand scandale; que la municipalité n'a pas fait tout ce qu'elle aurait pu, et tout ce qu'elle aurait dû, pour le réprimer. Sire, la municipalité de Paris ne craint pas d'exposer sa conduite au grand jour; elle sait qu'elle doit compte à l'opinion publique, elle fera son devoir. Et comment Paris est-il à présent?— Sire, tout est tranquille. — Ce n'est pas vrai. Sire, le magistrat du peuple. . . -Taisez-vous.... (Pétion, avec lenteur, d'un ton ferme et assuré :) Le magistrat du peuple n'a pas à se taire, quand il fait son devoir et qu'il dit la vérité. Au reste, Monsieur, je vous préviens que le calme de Paris est sous votre responsabilité, retirez-vous....Sire, la municipalité connaît ses devoirs; elle les a tous remplis, et continuera de les remplir, sans qu'il soit nécessaire de les lui rappeler. » Alors, faisant trois révérences avec

(1) Panis était membre de la commune de Paris; Sergent était un graveur en taille-douce qui, en 1792, devint officier municipal, et fut ensuite nommé à la Convention nationale. (Note des édit.)

dignité, il se retire lentement et sort. Parvenus à la première antichambre, Pétion, Panis et Sergent s'arrêtent un moment, se regardent tous les trois, et rient de la folie de ces personnes qui se croient encore au temps d'en imposer à des hommes libres (1).

Pétion se vengea en répandant, dès le soir même parmi le peuple, qu'il avait des avis certains que le roi se préparait à quitter Paris, et qu'il invitait en conséquence le commandant général à renforcer les postes et à redoubler de vigilance. Cependant, pour mettre à couvert sa responsabilité, et montrer que les événemens du 20 juin étaient la suite d'un mouvement spontané du peuple, qu'il n'avait pas été possible de prévoir ni d'empêcher, on feignit, quelques jours après, qu'il se formait un nouveau rassemblement. Pétion y courut. Les meneurs étaient prévenus; ils se retirèrent, et le peuple se dissipa. Pétion vint s'applaudir à l'Assemblée de son zèle à maintenir la tranquillité publique, assurant que le magistrat du peuple avait toujours fait son devoir, qu'il le ferait toujours. Les girondins le remercièrent de son infatigable vigilance. Guadet prétendit que ce rassemblement était une manœuvre contre-révolutionnaire de la cour, qui ne cherchait qu'à renouveler la scène atroce du

(1) Le lecteur trouvera dans les éclaircissemens historiques la même conversation entre Louis XVI et Pétion, rapportée dans des termes différens. (Note des édit.)

Champ-de-Mars, en excitant la garde nationale contre le peuple, dans le dessein de les faire égorger l'un par l'autre (1).

Louis XVI eût dû voir, par la manière dont l'Assemblée venait d'accueillir ses justes plaintes, l'inutilité des démarches qu'il pourrait faire pour qu'on en punît les auteurs. Les constitutionnels lui conseillèrent d'entamer une procédure juridique, lui représentant que c'était une occasion favorable de perdre les girondins; mais il est des circonstances où l'homme de courage doit se faire luimême justice, et ne doit jamais la demander: il vaut mieux dévorer l'affront en silence. Quelques portes avaient été enfoncées, quelques vitres cassées; on avait volé une épée, et un pot de chambre d'argent, bagatelles qui ne valaient guère la peine d'une information. Cependant on chargea le juge de paix de la section des Tuileries de constater ces légers délits; on entendit des témoins; on lança des mandats d'amener. Le peuple crut apercevoir des projets éloignés de vengeance, et s'en alarma; les girondins se convainquirent qu'il fallait achever leur entreprise, ou périr : ils ne balancèrent plus que sur les moyens.

Ils y mirent une adresse, une activité qui montrent combien ils étaient supérieurs à ces pauvres constitutionnels. Il est vrai que ceux-ci, beaucoup plus attachés à la constitution qu'à la personne du

(1) Séance du 21 juin au soir.

monarque, n'employaient, pour combattre leurs adversaires, que les faibles moyens qu'elle leur fournissait ; qu'ils refusaient de consentir à ce qu'on la violât un seul moment, fût-ce même pour la sauver, dans la crainte de confier au roi un pouvoir dont il pourrait un jour abuser contre eux; au lieu que les girondins, mieux avisés et moins délicats, s'embarrassaient peu que leurs moyens fussent dans la constitution, pourvu qu'ils les menassent au but auquel ils tendaient.

Ainsi tous les liens qui attachaient l'Assemblée et le peuple au roi, se relâchaient insensiblement. Les deux partis qui se disputaient l'autorité, n'attendaient que l'occasion favorable de se livrer un combat à mort : ils s'attribuaient mutuellement les projets les plus contraires à la constitution. Les constitutionnels disaient que Brissot et les girondins voulaient mettre la couronne sur la tête du duc de Brunswick et rappeler les émigrés; les girondins accusaient les constitutionnels de vouloir revêtir La Fayette de la dictature, et en faire une espèce de protecteur avec lequel ils gouverneraient l'Etat sous le nom d'un roi nul.

Les orléanistes, depuis l'affaire du Champ-deMars, détestaient La Fayette, et ne cessaient de le dénoncer au peuple comme un ennemi de la révolution et un partisan de la cour. Robespierre en parlait diversement, selon qu'il voulait le rendre odieux ou méprisable : c'était tantôt un nouveau Sylla, un nouveau Cromwel, dont l'on devait re

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