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à la porte royale. A cette vue, les gendarmes agitent leurs chapeaux à la pointe de leurs sabres en signe de fraternité, et crient que, si l'on n'ouvre pas porte, ils vont quitter leur poste. Deux officiers municipaux ordonnent au suisse de l'ouvrir; les cours et le jardin sont inondés d'une multitude

d'hommes armés.

On attendait avec inquiétude au château quelle serait l'issue de ce mouvement. Le roi, voyant le peuple se précipiter de tous côtés dans les appartemens, dit à ceux qui l'entouraient d'empêcher la reine de le suivre, et s'avança jusqu'à la porte de la première antichambre, qu'une foule d'hommes armés attaquaient en dehors. Le peuple, à force de bras, était parvenu à monter un canon; il n'existait aucun moyen de défense. Le roi prit, en ce moment critique, le seul parti qu'il y eût à prendre : « Je m'en vais à eux, dit-il, je veux leur sauver la honte d'enfoncer les portes; quatre grenadiers me suffisent, qu'on ouvre. » On ouvrit. Un coup de baïonnette dirigé contre la porte ne trouvant plus de résistance, allait percer le roi; un chasseur détourne le coup avec la main. Un homme, brandissant un bâton armé d'un dard, entre d'un air furieux en criant : « Où est-il, que je le tue ? » Canolle, garde national de la section des Invalides, se précipite sur cet homme et le fait tomber aux pieds du roi.

Cette action vigoureuse étonne cette troupe : ils restent dans un état de stupeur. Les gardes na

tionaux profitent de ce moment d'incertitude, entraînent le roi au bout de la chambre, le placent dans l'embrasure d'une croisée; quatre grenadiers se mettent devant lui, et lui font un rempart de leurs corps.

Cependant le peuple, honteux de se trouver tout-à-coup en présence de son roi et au milieu de ses appartemens, semblait effrayé de sa propre hardiesse, à l'aspect de cette antique majesté du trône, que quatorze siècles de respect avaient en quelque sorte rendue sacrée.

Legendre arrive il présente au roi un bonnet rouge. Un des quatre grenadiers l'écarte de la main. «Laissez-le faire, répond le roi, il me dirait des sottises, que cela me serait égal. » Le roi reçoit le bonnet rouge, le met sur sa tête. Le peuple applaudit d'un air de triomphe. Un homme s'avance une bouteille à la main, et dit au roi de boire à la santé de la nation. On cherche un verre, on n'en trouve point. Le roi prend la bouteille et boit à même. La foule grossissait chacun voulait s'approcher du roi et lui parler. « Sire, disait l'un, il faut être constitutionnel, au moins plus de veto. Le roi, ajoutait un autre, ne veut pas qu'on déporte les prêtres sans jugement; mais voyez ce que cela lui fait parbleu ! cet homme-là est bien méchant! - Le pain et la viande sont trop chers, criaient plusieurs ouvriers, nous ne voulons plus de veto. »

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Tandis que ceci se passait dans les appartemens

du château, les chefs se félicitaient dans le jardin du succès de leur entreprise. Le procureur de la commune, Manuel, disait en riant: «Il doit avoir une drôle de mine avec ce bonnet rouge dont nous l'avons coiffé. —Que cela est beau ! » s'écriait le peintre David, les yeux fixés sur le peuple qui se précipitait en foule par les croisées et par les toits dans les appartemens : puis étendant les mains avec un geste de fureur : « Tremblez, tremblez tyrans! Ils vont bon train, répétait d'un air de satisfaction le farouche Gorsas; nous allons voir les têtes sur les piques. » En effet, le duc d'Orléans et sa faction se promettaient un plus haut prix que l'humiliation passagère de Louis XVI, et le rappel de Roland au ministère de l'intérieur; ils s'attendaient à chaque instant qu'on allait leur apprendre que le roi venait d'être assassiné. Ils en eurent un moment la fausse joie. On entendit crier : << Louis XVI est mort; vive Philippe ! » et répondre du jardin : « C'en est donc fait? jetez-nous les têtes; à bas le veto! » Mais Dumas (1) et quelques autres députés avaient été témoins de la violence avec laquelle le peuple avait envahi les cours et les appartemens du château; ils jugèrent aisément du but auquel tendaient les auteurs de cet excès cou

(1) Le député que désigne ici Ferrières est M. Mathieu Dumas, aujourd'hui conseiller d'État, et auteur de plusieurs ouvrages militaires distingués. Il siégeait à l'Assemblée législative dans les rangs des constitutionnels. (Note des édit.)

pable, et coururent annoncer à l'Assemblée le dan

ger où se trouvait le roi (1). « Le roi est au milieu du peuple, répondit Charlier, il ne peut courir aucun danger. — Si j'avais vu le roi entre les mains du peuple, reprit Dumas avec vivacité, je n'aurais aucune inquiétude : ce n'est pas le peuple qui est auprès du roi, ce sont des furieux, des hommes égarés les consignes ne sont point respectées, le roi est entouré, assailli, menacé, avili par le signe d'une faction; il a un bonnet rouge sur la tête. Le bonnet de la liberté n'est pas avilissant, » répondent plusieurs députés.

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Malgré les murmures des tribunes, et les efforts des orléanistes, Dumas, Jaucourt et Dumolard obtinrent qu'on enverrait une députation de vingtquatre membres au château; qu'elle serait renouvelée d'heure en heure, afin que l'Assemblée pût être instruite de l'état des choses. Cette mesure sauva le roi, et déconcerta les orléanistes. « Le coup est manqué, dit avec humeur Santerre, en voyant entrer les députés, mais nous y reviendrons. >> En effet un député, s'apercevant que des hommes à figure atroce s'efforçaient de pénétrer dans l'enceinte où était le roi, se jeta au-devant d'eux, et jura qu'on n'arriverait à ce prince qu'en passant sur son cadavre.

Les députés assurèrent Louis XVI que l'Assemblée ne négligerait rien pour maintenir sa liberté.

(1) Logographe.

« Vous le voyez,» répondit Louis avec douceur en leur montrant les hommes, les piques, les fusils, les canons dont il était pour ainsi dire assiégé; et s'adressant à M. Baert (1) : « Vous qui avez beaucoup voyagé, que pensez-vous qu'on dise de nous chez l'étranger? »

Le maire Pétion crut qu'il était temps de terminer cette grande journée par le rappel des trois ministres disgraciés : il paraît tout-à-coup au milieu des cris de vive Pétion! recevant d'un air modeste les bruyantes acclamations dont il est l'objet, protestant qu'il n'a fait que son devoir, qu'il est bien sensible aux preuves d'attachement que lui donne le peuple: il monte sur une chaise, invite à la modération, assure le roi qu'il n'a rien à craindre. A cette indécente assurance, Louis XVI, ne pouvant contenir sa juste indignation, jette sur Pétion un de ces regards qui vont percer le crime jusque dans sa retraite la plus cachée : « L'homme de bien, Monsieur, qui a la conscience pure, ne tremble jamais ; il n'y a que ceux qui ont quelque chose à se reprocher qui doivent avoir peur; » et saisissant le bras d'un garde national qui se trouvait auprès de lui : « Tiens, mon ami, mets la main sur mon cœur, dis s'il bat plus vite qu'à l'ordinaire. » Pétion baisse les yeux, Santerre fait avancer les pétitionnaires : l'orateur demande le rappel des

(1) Membre de l'Assemblée législative, et depuis député du Loiret à la Chambre de 1815. (Note des édit.)

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