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girondins assurèrent que le peuple était calme, que c'étaient les ennemis de la constitution qui semaient ces faux bruits; qu'ils cherchaient, à l'aide de prétendus mouvemens populaires, à exécuter leurs projets de contre-révolution. Tout le monde cependant savait qu'il devait y avoir le lendemain une émeute; mais les girondins feignaient de tout ignorer, dans la crainte d'être obligés de sévir contre des hommes qui n'étaient que leurs agens secondaires.

Les chefs, sûrs de ne point rencontrer d'obstacles de la part de l'Assemblée, concertèrent leur plan. On convoqua les jacobins et les orléanistes des quarante-huit sections; on manda les vagabonds et les brigands destinés aux grandes émeutes; on leur joignit la populace des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Cette multitude, entremêlée de quelques gardes nationales, s'achemina vers l'Assemblée. Le prétexte était de présenter une adresse au roi. Le procureur syndic, Roederer, courut annoncer que le rassemblement commençait à s'effectuer, malgré les efforts du département pour l'empêcher. Il pria l'Assemblée d'en prévenir les suites, suites incalculables dans leurs effets, si, comme on l'assurait, le peuple se portait au château. Vergniaux et Gensonné répondirent que l'on n'avait aucun sujet de craindre; que l'on connaissait le civisme des citoyens qui composaient le rassemblement; qu'il suffisait d'envoyer des commissaires chez le roi, afin d'éviter tout ce qu'il

pourrait y avoir d'irrégulier dans l'adresse

a

que l'on se proposait de lui présenter. L'Assemblée, d'après ces observations, passa à l'ordre du jour, et se mit à écouter une pétition (1) des jacobins de Marseille, où l'on dénonçait le pouvoir exécutif : elle en décréta l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens.

Le rassemblement se grossissait d'une foule d'hommes qui, sans s'informer de ce qu'on allait demander au roi, sans rien savoir des motifs de cette demande, sans rien vouloir pour eux-mêmes, insoucians, furieux et gais tout à la fois, s'agitaient, menaçaient, chantaient leur marche offrait un mélange bizarre de férocité sauvage, et de puérilité ridicule. Une mauvaise culotte noire, placée au haut d'un long bâton, surmonté d'un écriteau où on lisait en gros caractère : Vivent les sans-culottes, servait d'étendard à une troupe de gens déguenillés, armés de scies, de haches et de broches. Venait ensuite une seconde troupe, précédée d'un homme vêtu de noir, qui portait au bout d'une pique, une fressure de cochon encore toute saignante, avec ces mots en lettres rouges : Fressure des aristocrates (2). Suivait une grande bannière sur la

(1) Le lecteur trouvera cette pétition, remarquable sous plus d'un rapport, dans l'analyse de la séance du 29 juin. (Note des édit.)

(2) S'il était permis de fixer un moment l'attention du lecteur sur des détails aussi repoussans, nous remarquerions

quelle était écrit: Tremblez, tyrans, les citoyens sont debout.

(1) La marche des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau jeta le trouble dans l'Assemblée. Les girondins et les orléanistes voulaient qu'on les reçût, disant que c'étaient des pétitionnaires. Dumolard et Ramond soutenaient qu'on ne devait point admettre une pétition inconstitutionnelle, qui semblait plutôt un acte de révolte contre les autorités légitimes, qu'un recours de citoyens paisibles à l'autorité tutélaire chargée de les protéger.

Tandis qu'on délibère pour la forme, on apporte une lettre de Santerre, commandant de la garde nationale du faubourg Saint-Antoine. Santerre assure que les pétitionnaires ne sont qu'au nombre de huit mille; que leur intention n'est point d'aller au château; qu'ils désirent seulement déposer, au sein du corps législatif, une adresse qu'ils se proposent de présenter au roi. Les girondins sai

que la relation de ce fait, par M. de Ferrières, est inexacte. Le voici tel qu'il est rapporté par le Moniteur, au moment où les sections entrèrent dans l'Assemblée législative. « On remarque dans le cortége deux hommes portant une vieille culotte et un cœur de veau. On lit sur le premier trophée: vivent les sans-culottes; et sur le second, cœur d'aristocrate. Divers membres de l'Assemblée engagent le particulier qui porte ce dernier trophée à sortir de la salle : il se retire. » (Note des édit.)

(1) Logographe.

sissent cette occasion de justifier les intentions du peuple. Les pétitionnaires entrent : l'orateur parle du renvoi des trois ministres, dit que le peuple est debout, qu'il frappera les traîtres; se plaint de ce que la haute cour n'expédie pas assez promptement les contre-révolutionnaires, et en conclut que la liste civile a une grande influence, sur les juges.

Le directoire du département avait pris les précautions les plus sages pour prévenir les suites de ce mouvement. Un corps nombreux de gardes nationales occupait les avenues du château; trois régimens de troupes de ligne étaient dans le jardin des Tuileries, trois cents hommes de gendarmerie à cheval couvraient la cour royale, deux cents Suisses gardaient la cour de la reine, vingt pièces de canon donnaient quelque chose de formidable à cet état de défense; MM. de Witinkoff et de Romain-Villiers commandaient ces troupes; Acloque et Mandat étaient auprès du roi; cent cinquante gentilshommes, parmi lesquels les maréchaux de Mouchy, de Mailly, de Beauveau, s'étaient réunis dans les appartemens; mais ces différens corps, divisés d'opinions et d'intérêts, ne pouvaient agir de concert. La vue des nobles occasiona des murmures, et l'espèce de préférence qu'on paraissait leur donner, en leur confiant la garde immédiate de la personne du roi, déplut à la milice nationale. L'habit noir, dont la plupart de ces nobles étaient vêtus, et qui contrastait assez plaisamment avec l'appareil guerrier que l'on apercevait de toutes

parts, excita de grands cris d'à bas la calotte. Le roi se rappelant la scène humiliante du 28 février 1791, et craignant de la voir se renouveler sous ses yeux dans une circonstance encore plus délicate, ordonna aux nobles de sortir des appartemens; et l'instant d'après, à la sollicitation de la garde nationale, qui les voyait encore avec une sorte de défiance au milieu de ses bataillons, il leur envoya dire de quitter le château.

Cette cause de division ôtée, on se prépara à repousser l'attaque des faubourgs. L'on s'aperçut bientôt qu'il ne fallait pas compter sur les corps de troupes destinés à défendre le château. Les gendarmes refusèrent de charger leurs fusils. Carl (1) ayant voulu faire quelques dispositions, un capitaine de la milice parisienne s'y opposa, et protesta qu'il ne laisserait pas prendre ses canons, qu'il n'était pas là pour

lui.

Les deux faubourgs, après avoir défilé dans la salle de l'Assemblée, au bruit des acclamations des girondins et du peuple des tribunes, se rendirent sur la place du Carrousel et se présentèrent

(1) Commandant d'un bataillon de la garde nationale de Paris. Carl, bijoutier à l'époque de la révolution, après en avoir embrassé la cause avec ardeur, s'efforça, dans la journée du 10 août, de résister au peuple qui s'avançait vers le château des Tuileries. Cette résistance fut cause de sa mort; il perit dans cette fatale journée, assassiné par deux gendarmes qui étaient sous ses ordres.

(Note des édit.)

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