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tainement, mais je voudrais que Votre Majesté ne se persuadât pas qu'elle en est si proche, et qu'elle prît des mesures vigoureuses capables de la mettre à l'abri du danger. Il est possible, repartit le roi après un moment de réflexion, que j'en échappe. Il y a bien des chances contre moi ; et je ne suis pas heureux. Si j'étais seul, je risquerais encore une tentative. Ah! si ma femme et mes enfans n'étaient pas avec moi, on verrait que je ne suis pas si faible qu'on l'imagine.... Quel serait leur sort si les mesures que vous me proposez venaient à ne pas réussir! Mais si l'on assassine Votre Majesté, pensez-vous que la reine et vos enfans seront plus en sûreté ? — Oui, je le pense; et s'il en arrivait autrement, je n'aurais pas à me reprocher d'en être la cause. >>

Ainsi ce malheureux monarque, mû par les motifs les plus purs et les plus désintéressés, ne pouvait, malgré la certitude du sort qui l'attendait, se résoudre à sanctionner un décret qu'il regardait comme injuste. Entouré d'hommes immoraux, sans religion, il se sacrifiait pour eux, en croyant n'obéir qu'à cette même religion, dont lui seul, au milieu d'une cour corrompue, recevait avec foi les dogmes, et pratiquait avec exactitude la morale sublime. Héroïsme d'autant plus admirable, qu'aucun motif humain ne le soutenait dans ce pénible dévouement, pas même celui de la gloire du sacrifice récompense flatteuse! mais que l'imbécile vulgaire n'accorde jamais à la vertu modeste, tandis

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qu'il la prodigue au crime audacieux. Louis n'avait même qu'un faible avantage à tirer des entreprises que formaient sous son nom les hommes intéressés qui l'opiniâtraient dans ce refus impolitique : ils travaillaient beaucoup plus pour eux qu'ils ne travaillaient pour lui; et s'ils eussent réussi dans leurs desseins, son sort n'eût guère été moins à plaindre.

LIVRE XII.

Journée du 20 juin. - La Fayette vient à Paris.

Intrigues, motion de l'abbé Lamourette. - Arrivée des Marseillais et des fédérés. Pétion et Manuel suspendus de leurs fonctions.-L'Assemblée proclame que la patrie est en danger. -Journée du 10 août. - Décret qui appelle une Convention nationale. - La Convention abolit la royauté et décrète la république. - Conclusion.

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Les girondins n'avaient point abandonné le dessein de rétablir les trois ministres disgraciés; mais jugeant avec raison que le roi ne se prêterait jamais volontairement à les reprendre, ils résolurent de les faire demander par le peuple, et de forcer ainsi Louis XVI de les rappeler. On convint d'exciter un mouvement populaire; Pétion et Manuel, procureur-général de la commune, se chargèrent de l'exécution (1). On donna la veille, aux Champs

(1) Nous avons réuni dans les éclaircissemens historiques placés à la fin de ce volume (D), plusieurs relations de la mémorable journée du 20 juin, écrite par divers auteurs. Nous y avons joint d'autres documens historiques. La comparaison de ces différentes pièces, composées par des hommes de tous les partis, mettra le lecteur en état de se former une opinion sur la journée du 20 juin.

Les pièces que nous offrons au lecteur, sont disposées dans l'ordre suivant :

1o. La relation de la journée du 20 juin, de ses causes et

Élysées, un repas de cinq cents personnes, tous girondins et orléanistes. La populace vint se mêler aux convives, et partager l'ivresse patriotique de la fête. On chanta des couplets, on porta des toasts; Sauvigny et Laclos (1) se rendirent au faubourg

de ses conséquences, par Prudhomme (Révolutions de Paris, tome XII, n° 154).

2o. Extrait de l'Histoire du 10 août, par M. Peltier.

3o. L'entretien du maire de Paris (Pétion) avec Louis XVI, le 21 juin.

4°. Les deux proclamations publiées le 22, la première par la municipalité, la seconde par Louis XVI.

5o. Les observations du maire de Paris, sur les événemens du 20 juin (publiées le 30 dans le Moniteur).

6o. Enfin les dépositions faites par Lareynie, soldat volontaire du bataillon de l'île Saint-Louis, contre les auteurs de cette journée. (Note des édit.)

(1) Il s'agit sans doute ici de M. de Sauvigny, littérateur peu distingué, et censeur royal avant la révolution, qui a publié plusieurs ouvrages en prose, et fait représenter diverses tragédies, dont aucune n'a obtenu un grand succès. Ce qui donne quelque autorité à cette conjecture, c'est que le même M. de Sauvigny fut, à la fin de 1792, nommé commandant provisoire de la cavalerie nationale de Paris.

Laclos est très-connu dans le monde littéraire par un roman intitulé les Liaisons dangereuses, dans lequel il fit preuve d'un grand talent d'observation, mais d'une liberté de pinceau qui va jusqu'au scandale. On peint généralement Laclos comme l'un des affidés du duc d'Orléans, et comme ayant contribué, plus que personne, à transformer en chef de parti le premier prince du sang royal. Il fut gravement inculpé dans la procédure qui suivit les événemens des 5 et

Saint-Antoine; Chabot y rassembla le peuple dans l'église des Enfans-Trouvés, et y prêcha ouvertement l'insurrection.

On cachait au roi ces avant-coureurs de l'orage; on l'environnait d'une fausse opinion qu'on lui disait ètre l'opinion du peuple, et qui n'était que l'opinion de quelques hommes intéressés au rétablissement de l'ancien ordre de choses. Le Directoire du département, mieux instruit, envoya le procureur-général-syndic, Roederer, avertir l'Assemblée de la fermentation qui régnait à Paris. Les

6 octobre, et même un témoin déclara, que Laclos, déguisé en femme, dans la journée du 6, avait dirigé la portion du peuple qui fit irruption dans le château de Versailles. Laclos, après cette journée, accompagna le duc d'Orléans dans sa retraite à Londres. En 1791, il fit partie du club des amis de la constitution, se déclara contre Louis XVI après le voyage de Varennes, et fut, dit-on, l'un des auteurs du rassemblement du Champ-de-Mars, contre lequel La Fayette et Bailly crurent devoir opposer la force armée. En 1792, Laclos fut fait colonel d'artillerie; mais, enveloppé dans la disgrâce du duc d'Orléans, il fut décrété d'arrestation en 1793. On lit, dans la Biographie de Chaudon et Delandine, qu'il employa alors toutes les ressources de l'intrigue pour sauver sa tête, et qu'il composa même dans sa prison plusieurs des discours de Robespierre. Après le g thermidor, il recouvra sa liberté, et ne reparul sur la scène que sous le consulat. Laclos mourut à Tarente le 5 septembre 1803. L'étendue de son esprit, et les dons brillans qu'il avait reçus de la nature, doivent faire regretter qu'il ne les ait pas dirigés vers un but utile: ce fait aurait besoin de preuves. (Note des édit.)

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