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de sa patrie; et nous convenons nous-mêmes qu'il valait mieux plier et se taire que d'être conduit à Vincennes ou dans la plaine de Grenelle. Mais, encore une fois, qu'on ne nous vante plus M. Carnot pour sa hardiesse et son courage. Entamons son dis

cours.

M. Carnot avance, peut-être avec raison, mais à tort selon nous, que l'état social, tel que nous le voyons, n'est autre chose qu'une lutte continuelle entre l'envie de dominer et le désir de se soustraire à la domination. Il faut avouer que cette définition seule de l'état social ne décèle pas mal cette turbulence républicaine qui caractérise constamment et M. Carnot lui-même et la plupart de ses opérations, tant civiles que militaires. Dans quelle fermentation nous verrions sans cesse les gouvernemens, si cette définition était vraie! L'Etat le mieux organisé ne serait qu'un trouble continuel, un désordre sans cesse renaissant. La France heureusement n'est plus en république ; son état social, pris individuellement, a bien pu, sous le gouvernement anarchique de la convention et du directoire, mériter la définition que nous en fait M. Carnot; mais que depuis le renversement du directoire, et mieux encore depuis le retour de Louis le Désiré, l'état social ait été une lutte continuelle, c'est ce qui est faux. Là où tous les partis sont satisfaits, où chacun est content et prend part à la joie commune, bien certainement il n'y a pas de lutte. Or M. Carnot avoue lui-même que le retour des Bourbons produisit en France un enthousiasme universel; ils furent accueillis avec une effusion de cœur inexprimable; les anciens républicains partagerent sincèrement la joie commune..... il ne se trouvait personne qui ne fût réellement dans l'ivresse. Donc il n'y

avait pas de lutte alors; donc l'état social avait cessé d'exister, ou, ce qui est plus probable, l'état social n'est pas une lutte continuelle. Mais poursuivons. Cette erreur par laquelle M. Carnot commence son mémoire, n'est encore rien auprès de celles qui nous restent à relever.

Aux yeux des partisans de la liberté définie, poursuit M. Carnot, tout pouvoir, quelque restreint qu'il soit, est illégitime; aux yeux des partisans du pouvoir absolu, toute liberté, quelque bornée qu'elle soit, est un abus. D'où nous pouvons conclure que les uns et les autres ont également tort: les premiers, en ce qu'un pouvoir trop restreint n'est qu'un fantôme de pouvoir; et les seconds, en ce qu'une liberté trop bornée n'est plus une liberté. Il existe un terme moyen dont il paraît que M. Carnot s'est bien aperçu, mais qu'il n'a jamais suivi et qu'il a toujours voulu méconnaître. Lorsqu'il rongeait le frein, comme lorsqu'il faisait des lois, M. Carnot méconnut toujours le juste milieu. Je dis qu'il méconnut les bornes du pouvoir, puisqu'il ne fit rien pour réprimer celui de Bonaparte, qui fut un despotisme sans exemple. Il méconnut aussi les bornes de la liberté puisqu'il donna constamment les mains à cette anarchie révolutionnaire qui fit conimettre tant d'atrocités et tant de crimes sous le règne de la convention. Tant il est vrai que d'une extrémité à l'autre la distance n'est que d'un pas, et encore ce pas est-il glissant!

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Mais, dira-t-on, quel est donc ce milieu entre la liberté indéfinie et le pouvoir absolu ? Quelle est cette ligne de démarcation que vous prétendez exister entre l'anarchie résultante d'une trop grande liberté, et la tyrannie ordinaire d'un pouvoir absolu? Cette

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ligne de démarcation, ce milieu qui exclut également et la licence d'une liberté outrée et le despotisme d'un pouvoir absolu, est un gouvernement à la fois constitutionnel et monarchique, un pouvoir ferme et que rien n'entrave dans sa marche, mais un pouvoir qui garantit les droits de la liberté, par la responsabilité personnelle de ceux à qui il est délégué. Or, telle était la nature du pouvoir sous Louis XVIII, que jamais le gouvernement ne pouvait devenir arbitraire en France. La liberté individuelle était plus que garantie par la charte, et l'exécution de la charte l'était elle-même par la responsabilité des ministres. Que fallait-il de plus? Républicains, jacobins ou anarchistes, vous-mêmes partisans de Bonaparte, répondez. Que fallait-il de plus ? Si le pouvoir du roi était prudemment étendu, n'était-il pas aussi sagement limité? Si, de son propre mouvement, Louis eût entrepris de violer un seul article de la charte constitutionnelle, la chambre des députés et celle des pairs n'étaient-elles pas là pour lui faire leurs remontrances ? N'étaient-elles pas là comme deux sauve-gardes de la nation? Cela n'a pas empêché, direz-vous, qu'on n'ait violé la charte, ne fût-ce que relativement à la liberté de la presse ; et s'il fut permis de la violer en un point, pourquoi pas en deux, en dix, en vingt? En un mot, pourquoi pas en chacun de ses articles? Cette objection, plus captieuse dans la forme que solide dans le fond, trouvera facilement sa solution dans la bonne foi de ceux mêmes qui nous la proposent, si toutefois ils veulent en convenir. Oui, la charte a subi quelques légères atteintes nous en avons déjà fait l'aveu. Mais en vouloir conclure que la charte peut être violée dans tous ses points, n'est pas moins absurde que si l'on

publiant le sien, plus de morosité que de hardiesse, et plus de lâcheté que de courage, c'est que jamais il ne fut assez brave ni assez résolu pour en adresser un semblable au terrible Bonaparte, qu'il reconnaît cependant avoir été un oppresseur et un tyran, et à qui certainement il devait avoir plus d'un motif de faire sentir son animadversion; car s'il est vrai que Louis XVIII avait violé la charte constitutionnelle en un ou deux points, n'est-il pas encore plus vrai que Bonaparte avait violé cent et cent fois, en cent et cent manières, ce qu'il appelait les constitutions de l'Empire? S'il est vrai que Louis XVIII ait éloigné de sa personne, et même du gouvernement, plusieurs de ceux qu'on nommait autrefois les dignitaires de l'empire, et qui tous étaient des hommes vendus à Bonaparte, ennemi juré de sa maison; Bonaparte, à son avénement au trône de France, n'avait-il pas traité encore plus mal tous ceux qui gouvernaient avant lui? Tout le monde sait, et M. Carnot ne doit pas l'ignorer, comment furent traités les Moulin, les Rewbel, les Barras, les Lucien Bonaparte et autres. Cependant, jamais M. Carnot s'est-il avisé d'adresser pour cela des mémoires à Napoléon?

Mais, que Louis XVIII ait violé la charte constitutionnelle, c'est encore une question. Quoi! dira-t-on, la loi sur la liberté de la presse n'est pas une violation de la charte? A cela on répond que, si la loi sur la liberté de la presse est une violation de la charte constitutionnelle, ainsi que tout autres lois qui infirment plus ou moins la charte, cette violation n'est en aucune manière l'œuvre de Louis XVIII, qui n'a, sur l'article des lois, d'autres droits que celui de proposition, et d'une sanction libre. Ainsi, le fait des lois, qui sont en opposition avec quelques articles

consenti les lois qui en ont été le résultat. Ainsi, loin d'avoir été violée, on peut dire que la constitution a reçu son complément et a été perfectionnée précisément par les mesures contre lesquelles vous vous récriez.

L'ancienne assemblée, connue sous le nom de convention nationale, malgré son renversement, et le renversement de ses institutions, peut avec raison se glorifier d'avoir constamment vu survivre, dans la presque totalité de ses membres, cet esprit caractéristique d'indépendance et de bouleversement qui leur fait constamment méconnaître toute autorité autre que celle qu'ils désirent s'arroger, et ne leur permettra jamais de voir le bonheur de la France et la liberté, que dans l'anarchie la plus complète, telle que celle dans laquelle nous précipita la convention; ou dans une oligarchie à la fois démagogique et sanguinaire, telle que fut celle de 1795, sous les cinq directeurs, tandis qu'au contraire (et ceci est prouvé par l'expérience) la prospérité d'un État, le bonheur et la liberté des citoyens ne sont (en France surtout) jamais mieux garantis que lorsqu'ils reposent sur l'autorité d'un souverain qui, de concert avec ses ministres, agit en tout conformément au vœu de la majorité et anéantit, par ce moyen, toute espèce de conflit entre l'autorité et le peuple.

D'après la définition qu'a faite M. Carnot de l'état social, il est naturel de conclure que c'est d'un conflit d'opinions et de prétentions que sont nées nos discordes civiles; tel est en effet son sentiment sur les causes de notre malheureuse révolution. La frayeur qu'en éprouve son imagination lui fait trouver difficile de porter un jugement impartial sur ce qu'il appelle l'état social. Il est aisé de sentir qu'en effet un

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