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C22G7

OBSERVATIONS 75

CRITIQUES

1815

SUR LE MÉMOIRE DE M. CARNOT.

M. le général CarnOT a, par ses vertus guerrières, des droits à l'estime publique loin de nous la pensée de les lui contester : nous nous empressons même de lui en offrir notre juste tribut. Mais il est une autre espèce de droit que M. Carnot perçoit, et qui ne lui est pas si justement acquis. Je veux parler de ce droit prélevé depuis huit à neuf mois sur l'admiration d'un certain nombre de Français qui n'ont pu lire sans étonnement son Mémoire adressé au roi en juillet 1814.

En effet, la hardiesse cynique avec laquelle ce nouveau Diogène a frondé son souverain, la presqu'insolente audace avec laquelle il a bravé et l'indignation des gens de bien, et l'autorité du monarque, sont faites pour étonner tous ceux qui ne voient ou ne comprennent pas que tant d'audace ne fut que le fruit de trop d'indulgence, et que jamais coupable ne fit plus trophée de ses crimes, que quand il fut certain de l'impunité.

Or, tel qui fut capable de mettre en oubli le meurtre de sa famille; tel qui fut capable de compter encore parmi ses enfans des parricides, à la rage sacrilége desquels il ne fut pas immolé, seulement parce qu'il ne tomba jamais en leur pouvoir; tel, en un mot, qui fut capable de tant de bonté, de vertu, de

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noblesse et de générosité; Louis XVIII enfin ne devait pas, à coup sûr, sévir pour des déclamations et des pamphlets, féroces et sanguinaires, il est vrai, mais qui ne sont, après tout, que des déclamations et des pamphlets. Et M. Carnot le savait bien avant de publier son Mémoire. Si donc, au premier coup d'œil, il semble commander la surprise, qu'on ne s'y trompe' pas; le rôle de M. Carnot, en publiant son Mémoire, ne ressemble qu'à celui d'un des valets de Frédéric le Grand, « qui, gagné par des traîtres, servit un jour à ce prince du café empoisonné. Frédéric, » dont le seul regard imposait au crime, le regarda >> fixement selon son habitude. Le perfide effrayé tombe » aux pieds du monarque qui l'interroge, et pour » toute punition le chasse de son service, croyant le punir assez en l'abandonnant à ses remords. Quel»ques années après, ce domestique s'étant établi à » Koenigsberg où il parvint à obtenir de l'emploi, » parce qu'il n'y était pas connu, eut l'imprudence >> de signer avec ceux de son bureau, un projet

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adressé au roi. Frédéric, indigné de son audace, » ne put s'empêcher de dire: Ce malheureux veut » donc me forcer à le punir! et aussitôt il ordonna » qu'il fût fait soldat. Un jour que le roi passait ses troupes en revue, il s'informa de cet homme, le >> fit appeler hors du rang, et le regarda d'un air plus » touché que menaçant; mais cet insolent, par sa >> contenance audacieuse, brava le monarque, qui » n'attendait de lui que quelques marques de repentir » pour signaler sa clémence. A la fin, haussant les » épaules de pitié, Frédéric lui tourna le dos. »

L'insolence de cet homme n'est pas tout-à-fait sans rapport avec celle de certain faiseur de mémoire. Et ce qui prouve, dans la conduite de M. Carnot en

publiant le sien, plus de morosité que de hardiesse, et plus de lâcheté que de courage, c'est que jamais il ne fut assez brave ni assez résolu pour en adresser un semblable au terrible Bonaparte, qu'il reconnaît cependant avoir été un oppresseur et un tyran, et à qui certainement il devait avoir plus d'un motif de faire sentir son animadversion; car s'il est vrai que Louis XVIII avait violé la charte constitutionnelle en un ou deux points, n'est-il pas encore plus vrai que Bonaparte avait violé cent et cent fois, en cent et cent manières, ce qu'il appelait les constitutions de l'Empire? S'il est vrai que Louis XVIII ait éloigné de sa personne, et même du gouvernement, plusieurs de ceux qu'on nommait autrefois les dignitaires de l'empire, et qui tous étaient des hommes vendus à Bonaparte, ennemi juré de sa maison; Bonaparte, à son avénement au trône de France, n'avait-il pas traité encore plus mal tous ceux qui gouvernaient avant lui? Tout le monde sait, et M. Carnot ne doit pas l'ignorer, comment furent traités les Moulin, les Rewbel, les Barras, les Lucien Bonaparte et autres. Cependant, jamais M. Carnot s'est-il avisé d'adresser pour cela des mémoires à Napoléon?

Mais, que Louis XVIII ait violé la charte constitutionnelle, c'est encore une question. Quoi! dira-t-on, la loi sur la liberté de la presse n'est pas une violation de la charte? A cela on répond que, si la loi sur la liberté de la presse est une violation de la charte constitutionnelle, ainsi que tout autres lois qui infirment plus ou moins la charte, cette violation n'est en aucune manière l'œuvre de Louis XVIII, qui n'a, sur l'article des lois, d'autres droits que celui de proposition, et d'une sanction libre. Ainsi, le fait des lois, qui sont en opposition avec quelques articles

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de la charte, ne doit point être imputé à Louis XVIII, mais à la nation elle-même qui a consenti les lois par l'organe des deux chambres; et si M. Carnot a des réclamations à faire, s'il croit avoir à se plaindre des modifications qu'il a plu à la nation d'apporter à quelques articles de la charte constitutionnelle, c'est à la nation qu'il doit s'en prendre; qu'il lui conteste le droit qu'elle a de demander qu'on la gouverne de telle ou telle manière; car Louis XVIII, en surveillant l'exécution des volontés de la nation, ne fait que ce qu'il doit faire, et ne doit point encourir pour cela la censuré de M. Carnot.

Louis en écoutant la voix de son cœur, a XVIII , cherché tous les moyens possibles d'adoucir le sort d'une multitude de Français que la rage révolutionnaire avait proscrits de leur patrie, mais qu'un nouvel ordre de choses y rappelait ; il a voulu que le sort de cette classe infortunée qui depuis vingt-cinq ans traînait de royaume en royaume sa déplorable existence, fût enfin supportable; il a fait en sorte que ses autres sujets ne vissent dans ces victimes de la révolution que d'anciens Français et d'anciens frères pour qui nous devions avoir tous les égards dus au malheur. Le bien général et le maintien de la paix dans la grande famille exigeant que les biens dont ils avaient été dépouillés demeurassent irrévocablement entre les mains des nouveaux possesseurs, il était bien juste qu'au moins les plus capables d'entre les anciens nobles partageassent avec les nouveaux les honneurs et les avantages de la magistrature et du commandement des armées. Louis xvIII a donc pu et a même dû établir ce partage. Nous avouons qu'il s'est peut-être trompé dans le choix qu'il a fait de quelques-uns de ceux que vous appelez si gratuite

ment des transfuges, pour occuper, soit à la cour, soit ailleurs, des charges qui n'ont pas toujours été bien remplies; nous avouons même qu'il eût peutêtre été mieux servi par quelques-uns de ceux qui ont été éconduits; mais fallait il pour cela que Louis XVIII ne s'entourât que des meurtriers de Louis XVI? fallait-il pour cela qu'il laissât, ce qu'il n'a malheureusement que trop fait, les charges à des hommes qui, pour la plupart, n'en auraient mis les · prérogatives à profit que pour ramener l'ex-empereur? Non, M. Carnot, vous êtes encore trop raisonnable pour le penser. Louis XVIII a dû faire cè qu'il a fait ; et si Louis XVIII méritait qu'on lui adressât des remontrances, à vous moins qu'à tout autre appartenait le droit de les lui faire. Si l'administration de Louis XVIII fut répréhensible, elle ne le fuf que. par l'excessive modération dont il a constamment usé envers les meurtriers de son frère et ceux que l'opinion publique lui désignait comme ses plus impla

cables ennemis.

Du reste, M. Carnot eût-il même raison dans ce qu'il dit au roi, la nation ne lui en saura jamais aucun gré, parce qu'il devait, si le zèle qu'il montre pour elle est vrai, adresser ses mémoires à Napoléon lorsqu'il nous opprimait, au lieu d'attendre, pour élever la voix, que la France et lui-même n'eussent qu'à se louer tant de la sagesse que de la clémence de celui qui gouvernait lorsque M. Carnot a publié son mémoire. Il est vrai que s'il se fût avisé de parler du gouvernement de Bonaparte comme il a fait de celui des Bourbons, on ne lui aurait pas laissé vingt-quatre heures d'existence. Cette réflexion a bien pu engager M. Carnot à remettre à un autre temps de faire ses preuves de courage et de dévouement pour la liberté

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