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n'ont cessé jusqu'à ce jour de bouleverser et les hommes et les peuples.

Mais poursuivons la comparaison qu'établit M. Carnot entre le vil conspirateur de l'ancienne Rome et ceux qui depuis si long-temps conspirent contre tous les gouvernemens de l'Europe, entre Cromwel et Napoléon, est bien digne de celui qui la fait et de ceux qui en sont l'objet. Oui, il n'est qu'un Catilina qui puisse ressembler à ceux qui, comme lui, tenaient, au commencement de la révolution " des assemblées secrètes où s'ourdissaient les plus infâmes complots contre la patrie et contre le souverain. Cet homme couvert de crimes, comme la plupart de nos jacobins, eût été le bienfaiteur de Rome, à peu près comme ceux-ci l'ont été de la France; comme eux, il eût fait massacrer tous les gens de bien, tous ceux qui, par leur fortune, leurs charges ou leurs dignités, pouvaient offrir un appât à la vile populace qui formait son parti.

Nous passerons sous silence l'interminable et insignifiante citation que fait M. Carnot des Offices de Cicéron; un examen de cette citation ne nous conduirait qu'à démontrer encore à M. Carnot que la chute du gouvernement républicain, comme celle du gouvernement impérial, ne fut que le résultat de la tyrannie de l'un et de la cruauté des autres. Et si la clémence connue de César n'empêcha pas Cicéron de traiter cet empereur de tyran, et d'approuver l'attentat commis sur sa personne, de quel nom la clémence plus connue encore de Louis xvi nous permettra-t-elle d'appeler ceux des membres de la convention qui l'ont assassiné, non comme les Romains assassinèrent César, en conspirant contre lui, mais comme des juges qui se portent à la fois et comme juges et comme accusateurs, et même comme bourreaux

contre celui qu'ils veulent égorger? de quel nom la clé. mence de Louis xvi nous permettra-t-elle d'appeler des hommes qui, pour faire couler plus impunément le sang de leur victime, ont osé se parer du manteau de la Justice, se sont attribué eux-mêmes les pouvoirs qu'ils n'avaient pas, ēt par ce stratagême aussi inhumain qu'insolite et sacrilége, en se jouant des principes les plus sacrés et les plus universellement reconnus, en tournant en dérision les formes judiciaires qu'euxmêmes avaient décrétées, ont fini par assouvir leur brutale rage sur celui qu'ils devaient épargner à tous égards?

Saus réprouver totalement ni admettre la doctrine des auteurs païens dont M. Carnot demande pourquoi les livres serveut de base à notre instruction publique, nous lui dirons qu'il n'est pas possible de faire une plus mauvaise application que celle qu'il fait dés passages qu'il nous cite. Cicéron parle de César comme d'un tyran; mais s'il ne le fut pas dans toute l'extension du terme, toujours conviendra-t-on qu'il fut au moins l'oppresseur de sa patrie, qu'il asservit à sa domination les Romains ses égaux, ce qu'il n'a pu faire sans intervertir l'ordre préexistant, et par conséquent saus nuire au plus grand nombre de ses concitoyens. Il y a loin de César expirant sous les coups du sénat dont il avait envahi les droits et les prérogatives, à Louis XVI assassiné par une assemblée à qui il avait tout accordé, à qui il s'était livré lui-même, au sein de laquelle, en un mot, il était venu demander un asile et chercher une protection. Si César fut assassiné, il ne le fut que parce qu'il asservissait sa patrie; au lieu que Louis ne l'a été que pour avoir trop accordé de liberté aux représentans de la France. Si Louis eût aussi peu craint que César d'opprimer ses concitoyens,

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jamais Louis n'aurait succombé, et loin d'être assassiné par la convention, il eût mis la convention dans les fers. La différence donc qu'il y a entre l'assassinat de César et l'assassinat de Louis, est en ce que, sans avoir été précédé ni de formes judiciaires ni d'aucun jugement, le meurtre de César fut un meurtre presque légitime; au lieu que, malgré quelques förmes préalables de justice, le meurtre de Louis ne peut se justifier et sera toujours un meurtre contre les lois. Vainement, pour se soustraire à l'inculpation de régicide, prétend-on nous opposer les livres saints, la doctrine du régicide y est établie par les prophètes, les rois y sont rejetés comme les fléaux de Dieu; les familles égorgées, les peuples exterminés par l'ordre du Toutpuissant; l'intolérance furieuse préchée par les ministres du Seigneur plein de miséricorde. Mais en vérité, M. Carnot, si les citations de la Bible vous paraissent détestables, comme vous le dites, et que vous n'y ayiez recours qu'à regret, et seulement pour nous montrer que votre justification est dans nos livres, nous pouvons bien; sans prétendre vous payer dé retour, assurer que celles que vous faites ont encore un autre défaut, c'est celui d'être aussi fausses que détestables. Nous ne trouvons nulle part dans la Bible que la doctrine du régicide ait été établie par les prophètes, nous ne voyons nulle part les rois rejetés comme les fléaux de Dieu. Les mauvais rois ont quelquefois été donnés de Dieu dans sa colère; mais ce n'est pas là ce que vous avez voulu dire. Quant aux peuples égorgés, exterminés par l'ordre du Toutpuissant, nous avouous qu'on les y trouve; mais comme la question est étrangère au régicide, nous nous dispensons d'y répondre. (2)

Il est établi, ditės-vous, avec raison en principe, chez les nations civilisées, que la personne des rois

est inviolable et sacrée ; mais le sens de ce principe et son application ne sont pas bien déterminés. On demande, par exemple, continuez-vous, sicette maxime a lieu seulement pour les souverains légitimes, ou si elle doit avoir également lieu pour les usurpateurs ; on demande ce qui distingue un usurpateur d'un roi légitimé; on demande si l'on doit regarder comme sacrés et inviolables les Tibère, les Sardanapale, les Néron, etc. etc. etc.

Je vais tâcher, monsieur, de répondre à toutes vos demandes catégoriquement : non toutefois que je pense être infaillible dans ces matières; mais au moins c'est sur des principes que seront basées mes réponses, et les voici.

D'abord on demande si cette maxime a lieu seulement pour les souverains légitimes, ou si elle doit avoir lieu également pour les usurpateurs. Nul doute que la maxime ne doit avoir lieu que pour le souverain légitime; cependant elle a lieu quelquefois pour l'usurpateur nous en déduirons les raisons dans notre réponse à la demande suivante.

On demande ce qui distingue positivement un usurpateur d'un roi légitime.

Pour répondre à cette question, nous allons distinguer deux sortes d'usurpations : l'une violente et saus le consentement du peuple; et dans ce cas, bien certainement, la personne de l'usurpateur n'est ni inviolable ni sacrée : l'autre sans violence et avec le cousentement du peuple, mais consentement surpris ou extorqué, soit en dérobant au peuple la connaissance du véritable état des choses qui le concernent ou qui concernent le souverain légitime, soit en l'abusant par des promesses flatteuses on autrement, et dans ce cas la personne de l'usurpateur, sans être inviolable

ni sacrée, doit néanmoins être regardée comme telle par chaque individu faisant partie du peuple dont il a usurpé le gouvernement. Par exemple, Napoléon fut un usurpateur; mais il n'est pas un Français qui n'ait dû regarder sa personne comme inviolable et sacrée, tant que les Bourbons n'étaient pas rentrés dans la jouissance de leurs droits. D'où je conclus que ce qui distingue positivement l'usurpateur du prince légitime, ce sont les moyens justes ou injustes qu'emploie pour obtenir la souveraineté celui qui y parvient.

On demande si l'on doit regarder comme sacrés et inviolables les Tibère, les Néron, etc.

Avant de répondre à celte dernière question, nous demanderons nous-mêmes commeut les Tibère, les Néron et autres sont parvenus à la souveraineté; y sont-ils parvenus légitimement? Notre réponse est : oui, les Tibère, les Néron, etc. étaient inviolables et sacrés pour chaque individu faisant partie des peuples qu'ils gouvernaient, mais non pour le corps de la nation, qui pouvait non seulement destituer de pareils monstres, mais encore les proscrire et permettre qu'il leur fût couru sus comme à des bêtes fauves.

En dernier résultat, vous établissez que c'est la force qui décide de tout. Vous êtiez les plus forts, voilà pourquoi vous avez eu raison en faisant mourir le roi; mais puisque c'est là que devait se terminer votre justification, il n'était pas nécessaire de faire un livre pour vous justifier, il n'était même pas nécessaire que vous missiez Louis en jugement: Louis était le plus faible, vous étiez les plus forts; c'était clair, c'eu devait être assez. Et en effet, vous n'avez pas d'autres motifs plausibles à nous donner de la mort à laquelle vous l'avez condamné.

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