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défaut de lumières. D'abord' vous n'étiez pas juges, parce que vous ne pouviez vous constituer juges vousmêmes, et que la nation ne vous avait point établis pour juger Louis : vous n'étiez pas juges, puisque vous ne pouviez l'être sans cumuler tous les pouvoirs, et que déjà les lois d'alors s'opposaient à ce que le législateur pût jamais faire lui-même l'application juridique de la loi qu'il avait portée. Vous n'ètiez pas juges, et plusieurs d'entre vos coopinans le sentaient d'autant mieux, qu'ils refusèrent constamment de don ner leur aveu à vos iniques manœuvres. De quel droit voulez-vous aujourd'hui avoir été, en votant la mort du meilleur des rois, dans le même cas que tous les juges qui se trompent? Vous prétendez, si vous vous êtes trompés, ne vous être trompés qu'avec la nation entière qui a provoqué le jugement; mais si vous n'en imposez, du moins vous vous trompez encore, et tellement que vous mîtes vous-mêmes en délibération si le roi pouvait être jugé : délibération qui mettrait en défaut la convention, dans le cas même où le jugement de Louis aurait eu lieu d'après le vœu de la nation. Car des deux choses l'une; ou la nation a voulu que Louis fût jugé, ou elle ne l'a pas voulu; et dans l'un et l'autre cas vous êtes horriblement compromis. Si le vœu de la nation était que Louis fût jugė, de quel droit avez-vous mis en délibération, s'il le serait ou ne le serait pas ? Le vœu national ne devaitil pas être indépendant de toute délibération, et ne devait-il pas avoir force de loi, au sein de l'assemblée nationale comme partout ailleurs? Je suppose que le résultat de votre délibération eût été que Louis n'était pas jugeable, pour me servir de l'expressión de quelques-uns de vos collègues, qu'aurait donc fait l'assem blée? Aurait-elle éludé le vœu de la nation? Mais s'il

est une fois prouvé que la convention a été disposée à éluder le vœu de la nation, qui peut nous assurer qu'elle ne l'a pas réellement éludé en s'attribuant le droit de juger Louis? Tout ne contribue-t-il pas au contraire à prouver qu'elle l'a effectivement éludé, et que loin d'avoir provoqué cet affreux jugement, la nation l'aurait indubitablement fait retomber sur la tête de ceux qui le prononcèrent, si de leur côté des monstres n'eussent pris toutes les mesures tant pour tromper la nation que pour la priver de l'honneur de sauver son roi.

Mais, disent-ils, une preuve de l'adhésion du peuple au jugement et à la condamnation de Louis, c'est des milliers d'adresses sont venues des com→ que munes, et toutes manifestaient des dispositions conformes à ce qu'avait fait la convention. (1)

O hommes faibles, coupables et embarrassés ! quoi! c'est dans de pareilles adresses que vous allez chercher votre justification ! Avez-vous donc oublié que ceux qui signèrent ces adresses n'étaient que vos émissaires, et que s'il en est d'autres qui aient adhéré à votre odieux jugement, ils ne l'ont fait que pour sauver leur vie et leur fortune, ou bien encore, parce que vous les aviez trompés sur le compte de leur roi; et qui sait même si la plupart de ces adresses n'ont pas été extorquées ou supposées ? Mais je veux encore que ces adresses vous aient véritablement représenté les intentions du peuple envers le roi, toujours est-il vrai que vous ne deviez pas les préjuger ces intentions, et que vous n'avez pu sans crime les supposer aussi atroces que vous les avez fait paraître. Mais il est faux que telles aient été les intentions du peuple : la stupeur et l'espèce d'anéantissement général où s'est trouvée la capitale, et où se sont trouvées toutes les provinces

en apprenant la mort de Louis, prouvent bien que cet horrible attentat ne fut que l'œuvre d'une troupe de factieux, et non le résultat du vœu général. Une assemblée d'hommes à jamais exécrables a bien pu tromper la nation sur le fait de son roi et sur le jugement inique prononcé contre lui par cette horde de furieux; mais qu'elle se soit trompée elle-même en adhérant à ce jugement, c'est ce que la France démentira à jamais. L'adhésion de quelques misérables que la faction régicide avait mis à la tête des communes, ne peut être regardée comme une adhésion générale ; et tel était alors le pouvoir des factieux, que l'homme qui eût osé le moins du monde improuver la scélératesse des tyrans qui nous gouvernaient, aurait payé de sa tête sa généreuse imprudence. Que messieurs les conventionnels prétendent encore se donner des complices daus la personne des souverains avec lesquels ils ont traité, c'est ce qui ne doit étonner personne. S'ils se sont trompés, dit M. Carnot en parJant de ceux qui ont voté la mort de Louis xvi, ils se sont trompés avec toutes les nations de l'Europe qui ont traité avec eux, et qui seraient encore en paix, avec eux, si les uns et les autres n'eusssnt été également victimes d'un nouveau parvenu.

En vérité, M. Carnot, vos raisonnemens sont aussi pitoyables que votre justification. Quoi! parce que les nations n'étant pas assez fortes pour résister au torrent de la révolution française, se sont vues forcées, non de traiter, comme vous le dites, avec la convention, mais de capituler avec la bravoure de nos soldats, on en conclura que toutes les nations de l'Europe ont aussi voté la mort de Louis xvI! ou qu'elles ont aussi donné leur adhésion à ce que ce prince fût décapité! Oh! ceci est trop fort. M. Carnot,

c'est par trop insulter vos malheureux contemporains. Quant à l'inculpation que vous nous faites de n'être venus qu'après la tempête, d'avoir refusé notre aide à ce roi que nous plaignons, de lui avoir fait sacrifier à notre cupidité les ressources du trésor public; de l'avoir engagé, par la perfidie de nos conseils, dans le labyrinthe dont il ne pouvait plus sortir que par nos propres efforts; de lui avoir refusé impitoyablement les dons gratuits qu'il nous demandait; nous n'avons, M. Carnot, à tout cela qu'une réponse à vous faire; c'est que, parmi toutes ces inculpations, celles qui ne sont pas gratuites, ou fausses, ou controuvées, sont au moins à votre honte et à votre éternel déshonneur; elles sont l'opprobre des révolutionnaires, et si je me dispense d'y répondre, c'est bien plus pour sauver à mes lecteurs l'effrayant souvenir des odieux forfaits et des atroces manoeuvres de la convention, que pour manquer de raisons justificatives.

Nous ne sommes venus, dites-vous d'abord, qu'après la tempête! et quand donc fallait-il venir, pour venir au gré de M. Carnot? n'est-ce point peut-être dans le temps que la guillotine était en permanence, ou bien lorsque, par les ordres d'un despote, des sbires violant à la fois et les traités et le droit des gens, alJaient jusque sur les terres étrangères saisir les victimes que leur rage avait besoin d'immoler (1).

Nous avons refusé notre aide à ce roi que nous plaignons! A ce roi que nous plaignons! Ne nous ferat-on pas encore un crime de le plaindre? Hommés farouches! parce que vous n'avez qu'un cœur de bronze, vous voulez que les larmes que nous répaвdons sur le sort déplorable du meilleur des rois, ne

(*) Le duc d'Enghien.

soient que des larmes affectées! Quoi! il ne vous suffit pas d'avoir outragé l'humanité, vous voulez encore outrager la nature! vous voulez nous interdire jusqu'à la sensibilité! Nous lui avons refusé notre aide à ce roi que nous affectons de plaindre? Mais en quoi avons-nous pu servir le roi, et ne l'avons-nous pas fait ? quand est-ce que nous lui avons refusé notre aide? Lorsque, le 28 février 1791, un mouvement eut lieu dans Paris, et que des hommes soudoyés par des agens de la révolution, menaçaient publiquement les jours de Louis XVI, ceux que vous qualifiez aujourd'hui de transfuges ne furent-ils pas les premiers à veiller à la sûreté du roi, et ne seraient-ils pas indubitablement venus à bout de le sauver, si, trop confiant envers les perfides qui siégeaient à l'assemblée nationale, Louis ne leur eût intimé lui-même l'ordre de se retirer? Sire, lui dit un de ces braves, nous sommes votre fidèle noblesse qui accourons pour défendre votre personne sacrée. Ma personne, lui répartit le monarque, est en sûreté au milieu de la garde citoyenne; si vous voulez me défendre, c'est sous l'uniforme qu'elle porte qu'il faut vous présenter: remettez-moi vos armes. De bonne foi, M. Carnot, votre reproche est-il fondé? Des hommes qui sacrifiaient leur vie pour leur roi, pouvaient-ils lui refuser leur fortune? Et si ce roi dont la convention a trahi l'excessive confiance, envers qui elle a violé jusqu'aux droits de l'hospitalité, ne se fût opposé, avec tout l'ascendant de son autorité royale, à ce qu'on la traitât comme elle le méritait, elle et cette multitude abusée qu'elle avait à sa solde, pensez-vous que vous seriez aujourd'hui en état de nous accuser comme vous le faites? Pensez-vous que vos vues désorganisarices auraient eu les résultats affreux qu'elles ont

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