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de la guerre et de la paix au pouvoir législatif; c'est-à-dire, si elle doit être déclarée par un décret de l'assemblée nationale sanctionné par le roi, NOUS SOMMES D'ACCORD ».

La discussion n'étoit véritablement ouverte que de ce moment. Il s'agissoit alors d'examiner si le roi auroit l'initiative; s'il auroit l'initiative exclusive; s'il auroit le veto; quel seroit l'effet de ce veto; si le roi pourroit appliquer le veto au décret, par lequel il seroit requis de négocier la paix; comment il falloit entendre le mot préparatifs. La discussion fut étouffée. Voici le décret et mes remarques :

ARTICLE PREMIER. « L'assemblée nationale décrète, comme articles constitutionnels, que le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation; que la guerre ne pourra être décidée que par un décret de l'assemblée nationale, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui ».

La première partie de cet article ne décide rien. Tous les pouvoirs appartenant à la nation, celui de la guerre et de la paix lui appartient aussi : cependant cette décision n'a pas laissé de faire illusion au peuple; c'est d'après cela qu'il s'est livré à une joie immodérée.

La seconde partie décide 1°. que le roi aura l'initiative; 2°. qu'il l'aura seul; qu'il faudra né cessairement qu'il propose la guerre, pour que corps législatif puisse décréter qu'elle aura lieu.

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On avoit refusé au roi l'initiative dans tous les autres cas, parce que des députés de la nation, choisis dans son sein, doivent savoir quels sont ses besoins et ses volontés sur les objets intérieurs. 'Mais une grande assemblée ne pouvant pas entretemir de relations extérieures, il falloit accorder au roi la faculté de faire part à l'assemblée nationale de ce qui se passe au-dehors, de ses craintes

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et de ses espérances. Je doute que quelqu'un en France ait entendu qu'il falloit refuser au roi l'initiative sur les affaires extérieures.

Mais on lui accorde l'initiative exclusive; mais il faut qu'il propose la guerre pour qu'elle ait lieu. Je ne doute point qu'avec un peu de réflexion, on ne sente l'inconséquence et l'absurdité de ces décisions.

On n'a pas sans doute entendu donner au pouvoir exécutif la faculté de vendre impunément les propriétés nationales, de les sacrifier à des arran-> gemens de famille; et c'est précisément ce qu'on a fait par cette décision. Ce ne sont pas des exemples rares que des princes ayent troqué des provinces contre de l'or; qu'ils ayent démembré leurs états pour faciliter des alliances à leur famille. Supposez que le pouvoir exécutif voulût céder l'Alsace ou la Lorraine à la maison d'Autriche, ou que la Savoie eut obtenu de lui, à des conditions quelconques, une partie du Dauphiné. Que feroit le pouvoir exécutif? Il commenceroit par dégarnir de troupes ces cantons; l'ennemi s'en empareroit presque sans coup férir, et les agens du pouvoir exécutif lui en conféreroient la possession, soit en ne rendant point compte de cet événément au corps législatif, soit en lui en rendant compte sans énoncer une proposition de faire la guerre, et en se bornant à accepter quelque satisfaction apparente. Si quelque membre du corps législatif fait alors la motion de chasser, par la voie des armes, les Allemands ou les Savoyards des cantons qu'ils occupent, un orateur ministériel lui ferme la bouche, en lui opposant la constitution qui n'accorde qu'au roi la proposition de faire la

guerre.

Que l'on ne me dise pas que le cas est chimérique; il y a toujours eu, et il y aura toujours des intelligences entre les princes au préjudice des nations. Elles ne doivent jamais s'interdire les

movens de les découvrir et de s'y opposer. Il y a toujours en et il y aura toujours des princes, surtout parmi ceux qui possèdent de vastes états, qui ne sauront pas comparer quelques lieues de territoires avec quelques millions, et qui préféreront l'avantage des jouissances promptes et abondantes que ces millions peuvent leur procurer à ce qu'ils retireroient par succession de temps des pays cédés. J'ajoute enfin, que plus un prince sera borné dans sa dépense, plus il sera tenté de faire cet infame trafic. C'est un bénéficier qui, pour se procurer quelque revenu extraordinaire, dégrade les fonds de son bénéfice.

Mais enfin, ne raisonnons pas sur des cas hy pothétiques; en voici un très-constant. De l'existant au possible, la conséquence est bonne. Nous avons un intérêt évident à être liés avec les Hollandais. Les forces maritimes de l'Angleterre nous en font presque une nécessité. Quand les patriotes hollandais voulurent renfermer le Stadhouderat dans ses hornes, ils comptoient sur le secours de la France; par justice et par intérêt, nous aurions dû les soutenir contre l'armée prussienne qui a fait un roi du Stadhouder. Cependant nous les avons laissés opprimer. Vous voyez donc, qu'en supposant que notre constitution eût alors existé, les patriotes hollandais nous auroient dit vainement : « Vous avez renoncé à attenter à la liberté des autres peuples, mais vous n'avez pas renoncé à la soutenir. Ce seroit même attenter à la nôtre, que de ne pas nous aider à repousser la tyrannie, puisque vous vous êtes alliés avec nous, peuple hollandais libre, et non pas avec les valets du Stadhouder. Que seroit-il arrivé? Ce qui est arrivé, à la honte de la France. Chaque Français auroit senti la nécessité de voler au secours des patriotes hollandais; chaque représentant de la nation en uroit formé le vou; mais le pouvoir exécutif n'auroit pas plus fait la proposition de défendre la liberté hollandaise qu'il ne l'a défendue, et la

nation auroit été exposée au reproche de trahison et de lâcheté dont le ministère d'alors fut justement flétri

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Ainsi le pouvoir exécutif peut vendre nos possessions, laisser abattre nos alliés, laisser dégrader la majesté nationale, sacrifier nos intérêts à des étrangers; et la nation n'a pas le moyen de sy 'opposer, parce que la guerre ne peut être proposée que par le roi, parce que nous ne nous sommes même pas réservés le moyen de le forcer à nous rendre compte de nos relations extérieures.

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On est parti de ce principe, que l'intérét du peuple et du roi est le même, pour accorder au roi l'initiative exclusive. On a pensé que toutes les fois que l'honneur ou l'intérêt national exigeroit la guerre, le roi ne manqueroit pas d'en faire la proposition; mais le principe inversé est precisement vrai. Il faut toujours supposer, pour faire une constitution libre, que l'intérêt du prince est opposé à celui du peuple; s'il étoit le même, il n'y Tauroit point de tyrans; il ne faudroit point de

constitution.

C'est parce qu'une invasion peut être faîte 'd'accord entre l'ennemi et le prince; c'est parce que, appliqué à miner quelque partie de la constitution, il négligera d'entreprendre une guerre qui seroit nécessaire au bien de la nation, mais qui l'empêcheroit de continuer ses manœuvres, c'est parce qu'il pourra laisser écraser un de nos alliés, pour accroître le pouvoir de quelques-uns des siens, qu'il ne falloit pas laisser au roi la faculté exclusive de proposer la guerre.

« Vous voudriez donc, objecte-t on, que le corps législatif pût décréer la guerre sans le concours ht être forcé du pouvoir exécutif, et que celui-ci

à la faire malgré lui»? Il sera temps d'examiner cette objection en parlant du vero. Je demande, en attendant, quel si grand inconvénient il y auroit à ce que les membres du corps legislatie eussent la faculté initiative, concurrentment avec

le pouvoir exécutif, à ce que le corps législatif pût forcer le pouvoir exécutif à lui rendre compte de ce qui se passe au dehors lorsqu'il jugeroit à propos d'en être instruit.

La guerre sera provoquée par des députés passionnés ou vendus. Mais ne pourroit on pas régler qu'une motion de ce genre auroit besoin, pour devenir l'objet d'une délibération, d'être appuyée par un tel nombre de députés, qu'il fût probable qu'elle n'auroit lieu que dans un cas où elle ne seroit pas tout à fait déplacée?

«Si Si le pouvoir exécutif faisoit la guerre malgré lui, n'en résulteroit-il pas ou qu'il la feroit mal, ou qu'il faudroit créer un second pouvoir exécutif pour la faire bien »?

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J'ignore s'il la feroit mal; je sais que son intérêt seroit de la faire bien, et que les fautes qui, dans une guerre, compromettent le destin des affaires, sont telles que les yeux, les moins clairvoyans en sont frappés.

Je sais que les chefs de l'armée, par honneur et par devoir, ne se prêteroient pas à des défaites pour satisfaire la morgue ministérielle; qu'un ministre, contre l'avis duquel la guerre auroit lieu, seroit libre, de se retirer; enfin, que l'incoДvénient d'une guerre entreprise contre la volonté du pouvoir exécutif est le remède, de l'inconvé nient d'attribuer au corps législatif le droit d'ordonner la guerre. Il n'est pas nécessaire qu'il exerce ce droit, il suffit qu'il Tait pour maintenir tout à la fois le pouvoir exécutif et les étrangers, les ennemis du dehors et l'ennemi du dedans.

On voit dès lors ce que je pense du veto. C'est un ulcère dans la constitution; mais enfin il existe : il n'est donc pas plus possible d'affranchir les décrets sur la guerre et la paix, de la nécessité de la sanction, que les autres déclarations de la volonté publique, et c'est cela même qui prouve l'absurdité d'avoir donné au roi l'initiative exclusive; car ayant déjà le vero pour la constitution, il ay

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