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manœuvres; enfin, la clause plus vague encore, circonstances et dépendances, qui est de forme dans toutes les plaintes, ouvre le champ le. plus vaste à la vérité, comme à la calomnie.

Des discours irréfléchis, sans intention; des circonstances indifférentes étrangères même à la matinée du 6 octobre; des aumônes, des repas, tout peut être transformé, plié, déguisé, commenté de manière à former des indices. Les indices, selon notre atroce jurisprudence criminelle se convertissent en preuve à un certain degré. Il est donc à peu près certain que cette procédure compromettra de près ou de loin les défenseurs de la liberté, sur lesquels les agens du pouvoir exécutif n'ont pu avoir prise jusqu'à présent, ni par la crainte, ni par l'intérêt.

« L'intérêt public, porte le même arrêté, exige la fin d'un procès aussi important, et dont les détails sont attendus avec la plus juste impatience». Sans doute; mais l'intérêt public exigeroit bien aussi la fin de celui de l'assassin Lambesc; il exigeroit le commencement d'un procès contre ceux qui outragèrent la cocarde nationale pendant l'orgie des gardes du corps; contre les dames qui distribuèrent des cocardes blanches; contre les membres du conseil qui engageoient le roi à partir pour Metz ; enfin, contre les juges prévaricateurs qui, ayant proclamé innocens un Bezenval et un Barentin, sont les principaux auteurs des désordres qui affligent les provinces, et qui, par l'audace avec laquelle ils ont assuré l'impunité aux coupables puissans, ont réduit le peuple à se faire justice lui-même de ses ennemis.

« Le but de cette instruction, dit encore l'arrêté, est de venger tout à la fois l'honneur de la nation, celui des citoyens de la capitale, de la garde nationale, et d'assurer la tranquillité de notre auguste monarque ». Il est difficile de concevoir que l'honneur de la nation, celui des citoyens et de la garde nationale de Paris, ait besoin d'être vengé. Vetgé!

de quoi? Est-ce qu'il est entré dans quelque tête, même dans celle des aristocrates les plus endurcis, que l'honneur national ou parisien put être compromis par trente ou quarante individus qui calculent un crime qu'ils croyent favorable à leurs projets ambitieux, ou par une centaine d'autres individus qui l'exécutent, parce qu'ils le croyent

utile à l'état?

C'est calomnier la 'nation et les citoyens de Paris, que de dire que leur honneur a besoin d'être vengé sur cette affaire; c'est les calomnier encore que de présenter la fin de ce procès, comme devant assurer la tranquillité de notre auguste monarque. Sa tranquillité est fondée sur son attachement à la constitution, sur ses vertus et sur l'affection du peuple français.

L'arrêté finit par une pétition adressée au corps législatif, tendante à ce que les comités des recherches de l'assemblée nationale et de Paris, remettent au châtelet les pièces qu'ils ont relatives au crime dénoncé, pièces dont le commencement de l'instruction prouve l'existence entre leurs mains.

On conviendra qu'il étoit absolument inutile de s'adresser au corps législatif. Il falloit s'adresser aux deux comités qui n'avoient ni le droit, ni le pouvoir de se refuser à cette demande. Mais cette démarche toute naturelle, n'auroit peut-être pas été connue des membres du corps législatif, contre lesquels on se sert, avec une affectation qui commence à devenir ridicule, de ce procès, comme d'un épouventail, toutes les fois qu'on met en discussion quelques questions qu'il importeroit aux agens du pouvoir exécutif d'emporter.

Affaire du chevalier de Bone Savardin.

Le châtelet va avoir à juger un criminel de lèsenation, qui paroissoit être en relation avec plu

sieurs grands personnages, c'est-à-dire, qu'il sera déclaré innocent.

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Nous n'avons point parlé dans le temps du projet de conspiration attribué à M. de Maillebois, et de la dénonciation qui en fut faite par M. Massot de Grandmaison, son secrétaire. Les bruits de conjuration se succédoient si rapidement, qu'il étoit nécessaire de se tenir en garde contre ces sortes de nouvelles.

L'arrestation qui a été faite au pont de Beauvoisin du chevalier de Bone, commence à donner que que réalité à ce projet, et doit en fournir des preuves voici ce qu'il y a de plus certain sur le sieur de Bone.

Soa nom est Savardin. Il est natif des Echelles, chevalier de Saint-Louis, aide-camp du maréchal de Broglie, capitaine d'artillerie dans la légion de Maillebois, au service de Hollande; voilà ses titres.

Il résulte du procès-verbal de la municipalité du pont de Beauvoisin que, le 30 avril dernier, le sieur de Bone mit pied à terre en arrivant dans le faubourg de cette ville; qu'il suivit sa voiture, cherchant à n'être point vu et à se cacher dès qu'il yoyoit de la lumière; que son domestique, resté dans la voiture, fit viser son passeport par l'officier de la garde nationale qui étoit de service à la Maison Commune; que pendant ce temps il se glis a le long des boutiques, et gagna la barrière du royaume qu'il voulut se faire ouvrir.

Sa marche tortueuse qui avoit été apperçue par une femme, fut cause de son arrestation; il fut aussi-tôt consigné, les scellés furent mis sur ses papiers; et comme on s'apperçut qu'il cherchoit à déchirer quelques papiers qu'il avoit sur lui, il fut gardé à vue.

A la levée des scellés, on a trouvé dans ses papiers des pièces relatives au plan de M. de Maillebois, des lettres, des billets qui paroissent y avoir trait, un livre de raison écrit de sa main, où l'on remarque, depuis folio 37 jusqu'à 40, ses

voyages à Thury, avec les chevaux de M. de Maillebois, des diners chez l'ambassadeur de Sardaigne, son intinéraire de Thury à Turin, sa présentation chez l'ambassadeur de France, et les 9, 10 et 11 mars, chez M. le comte d'Artois et chez le prince de Condé, une lettre adressée à M. Mounier à Grenoble; enfin, une lettre de cachet du 18 avril 1773, par laquelle il lui étoit ordonné de sortir du royaume avec défense d'y rentrer.

Le conseil de la commune du pont de Beauvoisin, n'ayant pas cru que le prisonnier fut en lieu de sureté dans cette petite ville, l'a fait transférer à Lyon. La municipalité de Lyon l'a déposé à Pierre-en-Scize. Ses principaux papiers ont été envoyés au comité des recherches de l'assemblée nationale.

Dès le moment de son arrestation, le sieur de Bone parut empressé de se servir d'un nécessaire qu'il réclama. On assure que ce meuble lui a été remis par la municipalité de Lyon, sans qu'on se soit assuré de ce qu'il contenoit.

Ni le comité des recherches, ni le ministère public auprès du tribunal de lèse-nation, ni le ministère ne s'occupe avec activité de cette affaire, Ce n'est pas tout qu'une conspiration soit éventée. Peut-être ne connoissons-nous pas l'étendue de l'abîme que l'on avoit creusé sous nos pas, plus les relations du sieur de Bone à Turin étoient relevées, plus elles doivent paroître suspectes. intrigant proscrit de France par l'ancien despotisme, et qui se trouvoit accueilli à Turin par les princes fauteurs de ce despotisme, qui entroit dans le royaume et qui en sortoit avec mystère, devroit être l'objet de l'attention publique: mais déjà il est oublié dans le fort de Pierre-en-Scize; et de deux choses l'une : ou on travaille à faire disparoître les preuves qui peuvent exister contre lui, ou les agens du pouvoir exécutif le feront remettre en liberté sur les réclamations de l'ambassadeur de Sardaigne, qui se trouve désigné dans sa cor

respondance, sous ce titre: l'Ami du cherchemidi. Citoyens qui veillez sur cet homme, dont l'arrestation a seule brisé la trame qu'on ourdissoit contre nous, sachez que nulle puissance n'a le droit d'ordonner l'élargissement du sieur de Bone. Les pièces de conviction, saisies sur lui, sont entre les mains d'un comité de l'assemblée nationale; il n'y a donc qu'un décret de l'assemblée natio nale qui puisse vous faire un devoir de le relâcher. Sachez que vous pouvez, que vous devez même désobéir à toute autre prescription (1).

Affaire de M. de Voisins.

Il existe entre la conduite de M. de Voisins et celie du sieur de Bone, une affinité qu'il est facile d'appercevoir.

M. de Voisins, commandant d'un corps d'artillerie, en garnison à Valence, avoit montré depuis le commencement de la révolution, des sentimens anti-patriotiques. Lors du camp fédératif, il refusa de prêter un local, très-propre à recevoir les détachemens patriotes réunis en corps d'armée, et il consigna les soldats dans leurs casernes.

Ces traits et ses discours sur la révolution le faisoient regarder, avec quelque fondement, comme un ennemi public, comine un homme qui désiroit la contre révolution, et qui y travailloit de toutes ses forces.

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Le g mai, M. de Voisins voulant sonder quelles étoient les dispositions de son régiment, lia conversation avec un des soldats de son corps. Il lui demanda s'il ne feroit pas feu sur la garde nationale, s'il le lui ordonnoit. Le soldat répondit qu'il avoit prêté le serment civique, et qu'il avoit

(1) Nous apprenons que cet accusé vient d'être trause, féré à Paris.

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