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peut et doit attendre, sans que la chose publique en souffre, la décision du corps législatif, qui prendra nécessairement pour règle la réalité du danger et des besoins de l'état.

La célerité des mesures n'est donc qu'un faux motif d'attribuer au roi le droit de décider la guerre; car d'un côté, il a des forces habituelles, dont l'emploi lui est confié pour tous les cas d'invasion imprévue; et de l'autre, le corps législatif délibérera tout aussi promptement qu'un conseil sur les mesures qu'exigent les atteintes que les puissances étrangères auroient ou portées, où tenté de porter, ou qu'elles se disposeroient à porter aux propriétés nationales.

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Il n'y a donc aucun avantage à confier au pouvoir exécutif le droit de décider que la guerre aura lieu. Cependant, il y auroit un danger certain à le faire; et les partisans de la prérogative royale n'en peuvent pas faire un aveu plus précis, que d'offrir des motifs de sécurité à leurs adversaires.

Premier motif de sécurité, le refus des subsides. On a répondu que ce moyen étoit nul, parce que le pouvoir exécutif pourroit engager les choses de manière qu'il forçat le corps législatif à accorder les subsides. Cette raison est bonne, mais elle ne suffit pas; accorder au roi le droit de faire la guerre, et laisser au corps législatif le refus des subsides, c'est non-seulement une contradiction, mais c'est exposer le roi et la majesté du trône au mépris de toutes les nations. Quel respect voulez-vous que l'on ait pour un roi, qui, après avoir déclaré la guerre, après l'avoir commencée, seroit forcé par un refus de subsides de recourir à la clémence de ceux qu'il auroit menacés ou attaqués ? Après ces hostilités, les puissances étrangères voudront-elles être dupes des frais de leurs préparatifs? Et se persuade t-on qu'en leur livrant le ministre qui leur auroit nui, nous arrêterions leur marche? Ne profiteroient-elles pas au conraire de la dissension qui s'établiroit entre les

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deux pouvoirs pour nous pousser avec plus de vigueur?

Si les défenseurs de la prérogative royale ne sentoient pas que le refus de subsides n'est qu'un moyen illusoire; que le roi seroit toujours le maltre de forcer l'accord des subsides, par le danger même auquel il exposeroit l'état, ils ne deman, deroient pas pour le pouvoir exécutif un droit qui ne pourroit que lui être funeste, puisqu'il l'exposeroit tantôt au mépris des autres nations, et même du peuple français, et tantôt à une respon sabilité rigoureuse.

Second motif de sécurité, la responsabilité. Ils savent bien encore que ce n'est qu'une chimère; car un ministre pourroit alléguer, pour excuser des préparatifs ruineux ou une agression défensive, soit des erreurs plausibles, de faux avis qui porteroient un certain caractère d'authenticité, soit des spéculations d'intérêt public qui l'auroient séduit. Il se présenteroit comme malheureux plutôt que comme coupable; et la générosité française ne manqueroit pas de l'absoudre.

Lorsqu'il seroit évidemment coupable, il ne faudroit pas s'attendre encore à ce qu'il subit la responsabilité. Le pouvoir exécutif mettreit son honneur à l'arracher à la conviction et à la peine. Les graces, les gratifications, les menaces, les apologies gagées, les crimes même seroient employés pour lui épargner jusqu'à la flétrissure d'une improbation. La responsabilité des ministres existe en Angleterre. Que l'on nous dise donc quel ministre a été pendu; et pourtant un si grand nombre l'a merité (1)!

(1) Les Anglais eux-mêmes regardent la .oi de la responsabilité comme presque nulle; elle se réduit à faire connoître au roi que tel ministre n'a p'us la confance du peuple, et le ministre est destitué; mais il n'en jouit pas moins d'une grande fortune, des faveurs No. 45. * B

Or, si les moyens d'empêcher le pouvoir exécutif d'abuser de la faculté d'ordonner la guerre et la paix sont ou illusoires ou dangereux; si les considérations qu'on nous présente comme des motifs de lui attribuer cette faculté, sont ou de peu d'importance, ou chimériques, il ne reste donc de réel que le danger de la lui confier.

Danger de la liberté publique. Sous prétexte de prévenir une hostilité, il pourroit rassembler des troupes, dicter des loix aux représentans du peuple, les casser, les chasser, et donner aux citoyens Talternative ou de l'esclavage ou de la guerre civile; il pourroit corrompre les chefs de l'armée ; tenir les troupes en campagne pendant plusieurs années, afin de leur faire perdre l'esprit civique; les ramener victorieuses, et, comme Marius, Sylla, César, Octave, leur proposer l'héritage des citoyens paisibles, pour prix de leur attachement à sa cause contre celle de la patrie. L'armée est patriote aujourd'hui; elle est éclairée : le sera-t-elle dans cent ans? Elle étoit avilie par le pouvoir exécutif qui la craignoit : ne pourra-t-il pas gagner un jour son affection, et préparer de loin les moyens de l'égarer? Un chef victorieux n'est-il pas presque toujours l'idole de ses soldats; et s'il ne lui plaisoit pas, après la guerre, de licencier les troupes qui ne lui auroient été accordées que pour ce temps; si on osoit lui dire que son pouvoir ne s'étend pas jusques-là, que la constitution s'oppose à ce qu'il fasse telle chose, ne faudroit-il

secrètes de la cour, et de cette sorte de considération que conserve un homme qui a excrcé un grand pouvoir.

Il n'y a qu'un seul moyen d'effectuer la responsabilité, c'est de permettre à tout citoyen de tuer un ministre prévaricateur, à la charge d'être pendu si la prévarication n'est pas prouvée. Or, comme on ne fera jamais une telle loi, les ministres jouiront éternellement de l'impunité.

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s'attendre à ce cri terrible des soldats de Saul Quel est celui qui ne veut pas qu'il soit roi, afin que nous le mettions à mort?

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Danger de la liberté individuelle. Un citoyen ne peut être tenu de risquer sa vie, sa liberté, sa propriété, qu'autant que la volonté générale l'exige: ici ce seroit un seul homme qui auroit la faculté de compromettre, à son gré, la vie, la liberté, la propriété de tous les citoyens; nul ne pourroit se dire: « Demain je resterai chez moi; dans trois mois je recueillerai les fruits de mon champ»; il faudroit qu'il dit toujours: « S'il plait au ministre ; s'il ne m'ordonne pas de marcher au combat; s'il ne lui plaît pas d'attirer l'ennemi dans cette province ».

Danger des finances. La paix n'offrant plus aux agens du pouvoir exécutif des moyens de s'enrichir, parce que les dépenses seront réglées et con+ nues, parce qu'on aura la faculté d'y ramener l'ordre, toute l'astuce diplomatique sera employée à rendre ou une guerre, ou des préparatifs de guerre inévitables; et comme, dans l'un et l'autre cas, il est presque impossible de suivre le détail des opérations ministérielles, ils pourront piller impunément. Ah! que d'horreurs se commettent dans les armemens et désarmemens, dans les approvisionnemens de l'armée! Un amas de salaisons, valant quatre millions, est vendu pour deux millions à une compagnie; le prix apparent n'est porté qu'à un million, et l'autre million entre dans la poche des agens du pouvoir exécutif; un vaisseau très-sain est condamné, comme hors d'état de servir on le vend par enchères simulées; il est adjugé à des intrigans; le prix n'en est même pas payé on l'expédie avec une cargaison considérable, et un agent du pouvoir exécutif, ou un de ses favoris, a une part considérable dans l'expédition. Bornons là les exemples; ils feroient un gros volume.

Danger de la chose publique. La France doit

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sans doute consacrer cette belle maxime : « Que toute guerre offensive est un crime; qu'elle n'attentera à la liberté d'aucun peuple »; mais elle peut avoir des réclamations à exercer. Un vaisseau' français est pris par un vaisseau anglais. Si le prince a le droit de la guerre, il a une juste cause de la commencer. Cependant l'intérêt public exigeroit qu'il y eût une réclamation auparavant. Le vaisseau peut avoir été attaqué par erreur; le cabinet anglais auroit fait punir le capitaine qui a commis cette injustice; le vaisseau auroit été restitué avec pleine satisfaction; la paix n'auroit point cessé; cent mille citoyens n'auroient point été égorgés de part et d'autre; trois ou quatre provinces n'auroient point été ravagées, ou trente vaisseaux coulés à fond.

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Qu'oppose t-on à ces inconvéniens du droit de la guerre entre les mains du pouvoir exécutif ? Les délibérations du corps législatif seront publi ques. Eh bien! il ne demandera aux autres nations que des choses justes; il ne prendra que des moyens justes; il ne se rendra qu'à des demandes justes. Nos alliés ne voudront pas que leurs affaires soient divulguées. Il faudra bien que nos alliés s'accommodent de notre méthode. La France d'ailleurs, ne doit pas craindre de manquer d'alliés. Les puissances étrangères corrompront des membres du corps législatif. Elles corrompoient bien des membres du conseil; il leur sera toujours plus difficile d'influer sur une grande assemblée publique, que sur un obscur conciliabule. -- La lenteur d'une assemblée délibérante n'est pas compatible avec l'activité que la guerre exige. Sans doute, si cette assemblée devoit régler les plans de défense et d'attaque, l'ordre des batailles; mais elle n'aura qu'un point, un seul point à examiner; c'est celui de savoir si la guerre doit ou ne doit pas avoir lieu.

L'assemblée est permanente, mais non pas perpétuelle: or, dans l'intervalle des séances, il

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