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suis point trouvé capable de ce nouveau travail qui, d'ailleurs, avoit ses inconvénients; et, peu satisfait de mon succès, j'aurois renoncé à publier ces fragments, si une dernière réflexion ne m'eût fait sentir que ce Traité des Sophismes étoit comme nécessaire pour compléter celui de la Tactique, tous deux allant au même but; l'un devant influer sur la forme des délibérations, l'autre sur leur substance; l'un tendant à perfectionner le mode d'agir et l'autre le mode de raisonner. D'après cela, je me suis senti le courage de présenter ce cours de logique à ceux qui ne s'effraient pas trop d'une lecture abstraite et laborieuse.

Je dirai pourtant qu'il me paroît avoir un grand intérêt pour une classe particulière de lecteurs les Membres des Assemblées délibérantes. Ce livre sort pour eux de la sphère des études spéculatives; il a un attrait de vie réelle et d'utilité pratique. Les uns reconnoîtront ces sophismes qu'ils ont vu si souvent paroître à la tribune et qu'ils ont souvent

combattus avec plus ou moins de succès. Les autres auront leur conscience politique mise au confessionnal, lorsqu'ils verront signaler, parmi les instruments d'erreur, des arguments qu'ils ont souvent fait valoir, quand l'intérêt de leur cause les disposoit à tromper ou à être trompés. Tous, en voyant défiler ces sophismes en revue, pourront reconnoître un complice ou un ennemi. Ce livre, en un mot, sera pour eux ce que seroit pour des Officiers l'ouvrage d'un militaire sur les campagnes qu'ils ont faites, ou la description des forteresses et des arsenaux d'un pays qu'ils doivent attaquer.

Pendant que M. Bentham étoit occupé de ce sujet, M. Malone fit paroître un ouvrage posthume de M. Gerard Hamilton, intitulé Logique parlementaire. Le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage amorcèrent la curiosité du public. Il y avoit quelque chose de mystérieux sur cet écrivain. L'opinion la plus commune lui attribuoit les Lettres de Junius. Il avoit joué un grand rôle dans le Parlement

d'Irlande. Transplanté dans la Chambre des Communes d'Angleterre, il n'y avoit parlé qu'une seule fois. Ceux qui l'avoient entendu étoient frappés de la ressemblance de son style avec celui du fameux Anonyme. On crut que son silence avoit été acheté. Quoi qu'il en soit, il en a conserve le surnom d'Hamilton single-speech.

Lorsque Swift, sous le titre d'Avis aux domestiques, rassembla toutes les fautes, les sottises, les infidélités qui appartiennent à cette condition, ceux même auxquels il adressoit ces conseils ne pouvoient pas s'y méprendre. Son but n'étoit pas les corrompre. Il vouloit leur montrer dans cette ingénieuse satyre, que leurs vices étoient connus, et que leurs prétextes n'abusoient personne.

de

L'objet d'Hamilton est tout différent. Son livre est une école où l'art de soutenir ce qui est vrai et ce qu'on sait être faux, l'art d'appuyer une bonne mesure ou d'en défendre une mauvaise, est enseigné avec la même franchise, le même zèle, pour le succès. Ce n'est point une ironie; c'est

le résultat sérieux de l'expérience et de la méditation.

Son caractère politique, tel qu'il a été esquissé par lui - même et achevé par M. Malone, son panégyriste, peut se renfermer dans un seul trait. Déterminé à s'attacher à un parti, et toujours au parti dominant, quel qu'il fût, il avoit pris pour maxime que toutes les mesures étoient indifférentes, qu'on ne pouvoit point errer avec la majorité, et que toute la logique parlementaire devoit se borner à éluder les arguments des antagonistes, et à contribuer à la victoire de son parti, sans aucun égard ni aux principes, ni aux moyens.

Celui de ces moyens captieux qu'il explique avec prédilection et auquel il donne la palme, consiste à falsifier les opinions de son adversaire. Démosthène, interrogé sur ce qui lui paroissoit le point le plus important pour l'Orateur, répéta trois fois de suite que c'étoit l'Action. Dans ce recueil d'environ 500 Aphorismes, Hamilton en a consacré tout au moins

quarante à recommander la falsification. Il n'étoit pas simplement dans un état d'indifférence entre le faux et le vrai. Il donnoit une préférence décidée à la défense d'une mauvaise cause, parce qu'elle exigeoit plus de dextérité, et qu'une fois blasé sur l'amour du vrai, on se fait un mérite de savoir décorer le faux sous des couleurs trompeuses.

Les Mémoires de Dodington (Lord Melcombe) sont regardés en Angleterre comme l'ouvrage où la corruption politique se montre avec le moins de déguisement: mais, quoique l'auteur n'annonce aucune prétention à la vertu, il garde une sorte de pudeur dans l'aveu de ses bassesses. Le vice y est couvert d'une gaze. D'ailleurs, il raconte, et n'enseigne pas. C'est l'histoire d'un Courtisan; ce n'est pas une théorie politique. Hamilton, au contraire, rédige les maximes de la mauvaise foi avec une précision recherchée; il en fait un Code portatif; il les recommande à tous ceux qui veulent s'avancer dans la carrière publique.

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