Page images
PDF
EPUB

que d'indignation. Il en est de même de plusieurs faux systèmes qui ont eu leurs jours de splendeur et qui sont maintenant tombés dans l'oubli. Mais si je prolongeois ces réflexions contre un des sophismes les plus dangereux, je m'écarterois de l'objet d'une préface et j'anticiperois sur l'ouvrage

même.

Une des plus grandes difficultés que j'éprouve dans les publications successives des écrits de M. Bentham, c'est de les rendre indépendants les uns des autres, sans nuire à leur clarté. Mais on ne peut réussir à cet égard qu'imparfaitement. Un écrivain méthodique avance régulièrement dans ses recherches. Ses premiers principes une fois posés, il ne fait que les développer dans ses productions subséquentes; il suppose que ses lecteurs sont déjà en connoissance avec lui; il ne revient pas sur des preuves établies; il admet beaude choses sous-entendues. C'est ainsi que dans les Traités de législation, le premier livre expose le principe de l'utilité générale comme le seul principe de rai

coup

sonnement en morale et en jurisprudence; il contient la véritable logique du Législateur, et il est terminé par un chapitre sur les fausses manières de raisonner en matière de législation. L'ouvrage que je publie aujourd'hui n'en est qu'une suite ou qu'un développement; et, quelques efforts que j'aie faits pour me passer de renvois, je sens qu'un lecteur qui n'auroit aucune connoissance de ce Traité préliminaire, pourroit souvent trouver quelque chose d'obscur ou d'incomplet dans celuici. Telle est la liaison qui existe dans les œuvres d'un génie philosophique. Ce ne sont pas des fragments isolés, ce sont des parties d'un même tout. Plus on considère leur ensemble, plus on y découvre de correspondance et d'union.

Lorsque je publiai à Londres, en 1811, la Théorie des Peines et des Récompenses, M. Bentham exigea de moi de déclarer dans la Préface qu'il ne vouloit, en aucune manière, être responsable de ces ouvrages, extraits de manuscrits qu'il n'avoit ni achevés ni revus. Je dois, à

plus forte raison, le libérer de toute responsabilité sur ces deux volumes, que j'ai travaillés sur des essais plus imcomplets encore : j'ai changé la forme du premier et la distribution du second. J'ai traité chaque partie avec la même liberté dans le détail que si le fonds m'eût appartenu. Ce n'est pas par un sentiment d'amourpropre, mais par nécessité que je me suis attaché à ce mode de rédaction. Je n'aurois pas besoin d'apologie à cet égard auprès de ceux qui auroient vu les originaux qui ont servi à mon travail; je n'en aurai pas même besoin auprès de ceux qui ont lu les ouvrages que l'auteur a publiés. Ils ont la preuve toute acquise que, pour les rendre accessibles à un grand nombre de lecteurs, il falloit leur donner des formes moins austères, moins didactiques, et les traduire dans un langage plus familier que le sien. Admirable dans l'analyse, admirable dans la justesse et la précision des idées, tout ce qui sort de ses mains porte le caractère d'un génie créateur. S'il attribue aux lecteurs plus

de force, plus de persévérance qu'ils n'en ont dans la poursuite des vérités abstraites, s'il leur fournit plus de pensées qu'une attention commune n'en peut digérer, et dans une forme peu attrayante, parce qu'elle est toujours démonstrative, c'est un objet de regret sans doute; mais il n'appartient qu'à un esprit supérieur de tomber dans ce défaut, et on l'explique facilement de la part d'un penseur qui s'est voué depuis long-temps à une solitude laborieuse.

DES

SOPHISMES POLITIQUES.

INTRODUCTION.

I.

DU SOPHISME EN GÉNÉRAL.

LR Sophisme est un argument faux revêtu

d'une forme plus ou moins captieuse. Il y entre toujours quelque idée de subtilité, quoiqu'il n'implique pas nécessairement celle de mauvaise foi. On peut l'employer en se trompant soimême, comme on peut débiter de la fausse monnoie que l'on croit bonne.

Entre erreur et sophisme, il y a une différence facile à saisir. Erreur désigne simplement une opinion fausse; Sophisme désigne aussi une opinion fausse, mais dont on fait un moyen pour un but. Le sophisme est mis en œuvre pour influer sur la persuasion d'autrui et pour en tirer quelque résultat. Ainsi, l'erreur est

« PreviousContinue »