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excuse ne s'applique pas à ceux qui, après l'expérience, veulent prolonger cette servitude.

Division du sujet.

Ce chef présente deux sortes de sophismes: 1.° Sophisme des lois irrévocables.

2. Sophisme des vœux.

Tous deux doivent être considérés conjointement; leur objet est le même, la différence n'est que dans le moyen.

Les premiers fondent la perpétuité des lois sur l'idée d'un contract. Les seconds appellent à leur aide un pouvoir surnaturel, qu'ils font intervenir comme garant de l'engagement.

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Exposé du 1. sophisme; et sa réfutation.

Une loi (n'importe quelle loi) étant proposée à l'Assemblée Législative, et ayant pour but de corriger une institution vicieuse ou un 'abus quelconque, le sophisme consiste à la rejeter sous cette forme d'argument : « Je >> rejette cette loi, non parce qu'elle est man» vaise, car je ne me permets pas même de » l'examiner, je la rejette parce qu'elle est » contraire à une loi que nos prédécesseurs ont

» déclarée irrévocable. J'admets en principe que » le Législateur passé a eu le droit de lier les >> mains du Législateur futur; que le Légis

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>> lateur actuel doit se considérer comme en

>> tièrement privé de son pouvoir, par rapport » à cette branche de législation; et que s'il » osoit l'exercer, l'acte résultant ne seroit point » obligatoire pour les sujets qui doivent, dans adhérer à la volonté du Souverain » mort, en opposition à celle du Souverain

>> ce cas,

» vivant. >>

Pour peu qu'on y pense, on comprendra bientôt que ce profond respect pour les morts, pour ceux à qui nous ne pouvons plus faire ni bien ni mal, n'est qu'un vain prétexte quand on l'oppose au bien-être de la génération actuelle, et que ce prétexte couvre quelqu'autre dessein.

Envisageons d'abord la question sous le point de vue de l'utilité.

A chaque période donnée, le Souverain actuel a tous les moyens actuels pour se mettre au fait des circonstances et des besoins qui peuvent requérir tels ou tels actes de législation. Relativement à l'avenir, il s'en faut bien qu'il ait les mêmes moyens d'information. Ce que par conjecture, par une vague ana

n'est

logie, qu'il peut former un jugement sur ce que les circonstances pourront exiger dans dix ou vingt ans ; et qu'est-ce que ce jugement pour une époque plus reculée?

Or, pour tout cet avenir sur lequel la prévoyance a si peu de prise, voilà le Gouvernement transféré de ceux qui auront tous les moyens possibles de bien juger, à ceux qui ont été dans l'incapacité d'y rien connoître !

Nous, les hommes du dix-neuvième siècle, au lieu de consulter nos propres intérêts, nous nous laisserons guider aveuglément par les hommes du dix-huitième.

Nous, qui avons la connoissance des faits et tous les moyens de former un jugement éclairé sur l'objet en question, nous nous soumettrons à la décision d'une classe d'hommes qui n'ont pu avoir aucune des connoissances relatives.

Nous, qui avons tout un siècle d'expérience de plus que nos devanciers, nous abdiquerons tout cet avantage, et nous nous rangerons gratuitement sous l'autorité de ces mêmes devanciers, qui, avec cette expérience de moins, n'ont eu aucune supériorité d'un autre genre pour compenser ce défaut.

Accordons, si l'on veut, qu'ils ont été nos supérieurs en intelligence, en génie; s'ensuit

-

il pour cela qu'ils doivent être les arbitres de notre sort? Ont-ils possédé une autre qualité non moins nécessaire pour nous gouverner, quand ils ne sont plus? Peut-on leur supposer un zèle égal pour nos intérêts? Ne se sont-ils pas occupés de leur bien-être plus que du nôtre ? Ont-ils aimé la génération présente autant qu'elle s'aime elle-même ?

Voilà pourtant les absurdités qu'il faut dévorer dans ce système. Croyez à cette tendre anxiété de ces Prédécesseurs pour le bonheur des temps à venir. Croyez à leur intelligence supérieure, à leur prévoyance infinie. Croyez qu'ils ont pu juger mieux que vous de vos intérêts, sans connoître les circonstances où vous seriez placés..

Il ne semble pas possible de se refuser à l'évidence de ces réflexions, -et cependant c'est la supériorité prétendue de nos ancêtres; c'est leur attention au bien-être de leur chère postérité, qui sert de base à l'argument de nos Sages, pour lier les mains de nos Législateurs, et pour faire de nous d'éternels pupilles qui doivent toujours se laisser guider par ces vénérables tuteurs, et ne jamais penser par euxmêmes.

Mais si les hommes du 18.° siècle ont pu

faire des lois irrévocables, ceux du 19. ont le même droit à leur tour. Il n'y a point de raison pour accorder aux uns ce qu'on refuseroit aux autres. Et quelle en est la conséquence ? C'est qu'on arrive à une période où l'œuvre de la législation toute anticipée ne peut plus s'exercer sur rien. Tout est réglé, tout est déterminé d'avance par des Législateurs plus étrangers aux affaires présentes, aux besoins actuels, que les habitants les plus reculés du globe.

Cette loi irrévocable, bonne ou mauvaise à l'époque où elle fut consacrée, devient - elle funeste dans la suite, il n'y a point de remède. Elle pèse sur toutes les générations qui se succèdent.

Le despotisme, fût-ce celui de Caligula ou de Néron, ne sauroit jamais produire des effets aussi pernicieux qu'une loi irrévocable. La crainte, la prudence, le caprice, la bienveillance même (car il n'y a point de tyran qui n'ait ses moments de bienveillance), peuvent engager le despote vivant à révoquer des lois oppressives. Mais le despote mort, que peutil? et quel accès peut-on avoir dans sa tombe?

Observez que ce sophismé, comme tous les autres instruments de déception, ne peut jamais être employé que pour défendre de mauvaises

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