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veaux devoirs, et qu'il appelle à sortir de leur

routine ordinaire.

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Il y a souvent un mal ultérieur et plus grave. La mesure, bonne dans sa totalité pour public, peut nuire à quelque intérêt privé, actuel ou contingent, à des jouissances présentes ou à des espérances futures. C'est là particulièrement le cas de tout ce qui tend à réformer des abus.

Si la mesure n'est point accompagnée d'une compensation pour ceux qui en sont l'objet, ou si la compensation est incomplète, cela seul est une raison très-légitime, sinon pour la rejeter, du moins pour y ajouter une compensation suffisante. Un argument tiré de cette source n'a rien de commun avec le sophisme (1).

Mais quand la nature du cas est telle, que celui qui souffre de la réforme auroit honte de se plaindre, quand l'abus attaqué est si criant qu'il n'oseroit le défendre d'une manière ouverte, quel autre recours peut-il avoir que le cri vulgaire de l'innovation? C'est le mot de ralliement de tous ceux qui ont quelque intérêt clandestin à sauver, et des esprits foibles qui,

(1) Voyez Théorie des Peines et des Récompenses. Tom. II. ch. 12, p. 209.

faute de réfléchir, sont déjà prévenus contre tout ce qui porte ce nom réprouvé.

Parmi les anecdotes du barreau, on connoît le trait d'un procureur qui, pour défendre son client d'une fausse obligation, lui conseilla de faire une fausse quittance.

C'est ainsi qu'au lieu de combattre le sophisme en question, on lui a quelquefois opposé un contre-sophisme. « Le temps lui-même est >> un grand innovateur. Le changement pro>>posé n'est point une innovation: au contraire, » il n'a d'autre objet que de prévenir le chan»gement ou de rétablir les choses comme elles » étoient. En un mot, ce n'est pas innovation, >> c'est restitution de l'état ancien et primitif. >>

Ce contre-sophisme n'est pas si dangereux que le précédent, mais ce n'est pas moins un sophisme, 1.o parce qu'il ne fournit aucun argument spécifique sur le mérite ou le démérite de la mesure proposée, et qu'il est par conséquent étranger à la question; 2, parce qu'il implique une sorte de concession qui ménage et protège le sophisme opposé, admettant que si la mesure étoit une innovation, elle mériteroit, à ce titre seul, d'être rejetée.

Récapitulons. Il n'y a point d'inconvénient spécifique allégué contre la mesure; car, s'il

y en avoit, l'objection ne seroit plus un sophisme.

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Tout ce qu'on allègue, c'est qu'il en résultera un mal ; et pourquoi ? parce que la mesure est nouvelle. Or, si c'est là un argument, il s'applique également à toutes les mesures passées, présentes et futures, à tout ce qui a été fait, à tout ce qui peut se faire dans tous les lieux et dans tous les pays. Ce propos, dans une bouche vulgaire, peut passer pour de l'ignorance; mais dans celle d'un politique, c'est de l'imbécillité ou de l'hypocrisie.

J'ai oublié le nom de ce magicien qui, par le simple attouchement de sa baguette, forçoit les possédés de confesser la vérité, et de déclarer le nom du Démon avec lequel ils avoient fait un pacte.

Que de curieuses découvertes produiroit cette baguette entre les mains d'un Membre d'une Assemblée politique!

(1) On ne peut pas douter qu'il n'entre beaucoup d'hypocrisie dans la terrenr de l'innovation, c'est le cri de l'intérêt personnel quand il se sent en opposition avec l'intérêt public. Mais après les malheurs innombrables d'une révolution qui avoit ouvert la plus belle carrière à l'espérance, on doit quelque indulgence à ceux qui se défient des promesses et qui ont associé les idées

CHAPITRE V.

SOPHISME DES LOIS IRREVOCABLES, OU SOPHISME DE CEUX QUI ENCHAINËNT LA POSTÉRITÉ.

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Sedet æternumque sedebit

Infelix Theseus. VIRG.

I. Observations générales

E sophisme, considéré dans son influence sur le malheur des hommes, et dans le nombre de ceux dont il affecte le sort, s'élève infiniment dans l'échelle de l'importance, au-dessus de tous les autres. Il n'opère pas seul et par luimême; il en réunit plusieurs, et agit avec une force composée. Ce que nous avons dit du culte idolâtrique des ancêtres, s'applique à ce sujet. La doctrine de la perpétuité d'une loi

d'innovation et de danger. Je ne puis que les renvoyer à un autre ouvrage de M. Bentham, où il a exposé tous les calculs à faire avant d'innover dans les lois, et tous les égards dûs aux institutions existantes. S'il combat la peur de l'innovation, ce n'est qu'après avoir combattu les méprises et les égarements des innovateurs. Voyez Traités de législation. Tom. III. p. 345, etc.

est, en effet, ce même sophisme porté au plus haut degré de force imaginable.

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Il a pénétré, plus ou moins, dans toutes nos législations; mais c'est parmi les peuples de l'Orient qu'il a établi son empire le plus absolu. Il les tient dans un asservissement, dont on conçoit à peine comment ils pourront sortir.

Ce qui nous en reste en Europe n'est qu'une ombre, en comparaison; cependant, jusqu'à ce que cette ombre soit dissipée, elle servira de prétexte pour conserver des institutions nuisibles, et repousser des améliorations nécessaires; elle embarrassera les esprits foibles, et fournira un moyen de plus à ceux qui veulent les tromper.

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Quand on considère ce que la raison a fait dans nos diverses contrées et ce qui lui reste à faire, on en trouve une image dans ces êtres à demi-éclos qui n'ont pas achevé leurs métamorphoses. La tête se montre déjà hors de la Chrysalide, les ailes se dégagent du fourreau; mais on voit encore toute la charpente de la prison où ils ont été renfermés.

Il n'est pas naturel de penser que ceux qui ont enchaîné la postérité aient prévu les maux dont ils seroient les auteurs. On peut les justifier par une méprise d'intention, La même

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