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les spectres, les vampires, les sorciers ont pris la fuite pour ne plus revenir. Mille espèces de superstitions qui naissoient de celle-là, toutes faites pour dégrader la raison, pour remplir la vie de terreurs, ont cédé au même talisman; et on conçoit à peine aujourd'hui que ces absurdes opinions aient pu trouver créance autrefois, non-seulement dans le peuple, mais parmi ses conducteurs temporels et spirituels. S'il est ridicule de vanter la sagesse des anciens temps, il ne l'est pas moins d'en vanter la probité. Nos ancêtres nous ont été inférieurs en probité comme en tout le reste. Plus on regarde en arrière, plus on trouve d'abus dans la religion et dans le gouvernement : c'est la violence de ces abus qui a produit les degrés comparatifs de réforme dont nous sommes si fiers. Il a fallu commencer par sortir dẹ la servitude, qui étoit le lot des neuf dixièmes du genre humain. Qu'on choisisse dans les époques antérieures celle qu'on voudra il n'en est aucune qui présente un état de choses dont un homme sensé pût désirer le rétablissement total.

On se laisse enthousiasmer par quelques beaux traits, par quelques grands caractères; mais on est dupe d'une illusion d'optique his

torique; ces beaux traits, ces grands caractères semblent se placer tous ensemble pour nous donner une idée très - fausse de leur nombre et de leur contiguité. C'est ainsi que de loin, on croit voir une forêt touffue où on ne découvre en approchant que des arbres dispersés à une grande distance.

Mais faut-il donc agir et raisonner comme si nous n'avions point eu d'ancêtres ? Tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils ont pensé, doitil être compté pour rien? Devons-nous mépriser tous leurs exemples, et nous considérer comme si nous étions au lendemain de la création ?

Cette manière de raisonner seroit encore plus absurde et plus dangereuse que celle que je combats. Nos ancêtres ont été ce que nous sommes, ils ont senti les maux, ils ont cherché des remèdes; leur pratique forme une grande partie de notre propre expérience; ce qu'ils ont trouvé de bon en tout genre est notre héritage; et surtout les bonnes lois qui en vieillissant acquièrent un merite de plus, celui d'être mieux amalgamées aux mœurs, aux habitudes nationales, et d'avoir leur preuve toute faite. Mais dans les âges précédents comme dans le nôtre, et plus en

eore que dans le nôtre, tous ceux qui avoient en main le pouvoir s'occupoient plus de leur intérêt personnel que de l'intérêt public; ils ne trouvoient pas dans une opinion éclairée un frein puissant. La corruption, par rapport aux abus, étoit la même fet l'antidote étoit plus foible.

Les matériaux utiles. que fournissent les anciens temps ne sont pas les opinions, ce sont les faits. L'instruction qu'on peut tirer des faits est indépendante de la sagesse des opinions; et même entre celles-ci, les plus folles sont peut-être les plus instructives. Une opinion insensée conduit à des actions insensées, et les désastres qui en résultent produisent les avertissements les plus salutaires.

La folie de nos ancêtres est donc plus instructive pour nous que leur sagesse et cependant, ce n'est pas à leur folie, mais à leur sagesse que nous réfèrent, pour notre instruction, les prétendus sages de notre temps.

Mais en supposant que nos ancêtres fussent aussi bons juges de leurs intérêts que nous le sommes des nôtres, s'ensuit-il que leur opinion doive faire autorité pour nous ? non, puisqu'elle n'étoit point formée sur l'état des faits actuels, et qu'en faisant des lois pour eux,

ils n'ont pas pu imaginer quelles seroient les circonstances où nous serions placés. La connoissance des faits est la première base d'un bon jugement, et cette base manque toutes les inductions qu'on veut tirer de l'autorité. Vouloir se guider par les opinions d'un autre siècle, ce seroit faire comme un voyageur qui, pour aller de Paris à Rome, aimeroit mieux se fier à un itinéraire du douzième siècle qu'au livre de poste le plus récent.

CHAPITRE III.

SOPHISME DU VETO UNIVERSEL.

Il n'y a point d'antécédent.

L'ARGUMENT consiste à alléguer contre une mesure proposée qu'elle est nouvelle, que sur le point en question, il n'y a pas d'antécédent ou d'exemple d'après lequel on puisse se conduire.

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Une telle observation, loin d'être condamnable en elle-même est au contraire d'une très-grande utilité : elle sert à fixer l'attention sur le sujet, et à rappeler à l'Assemblée toutes les précautions nécessaires quand on entre dans une route qui n'est pas encore frayée. « Con» sidérez mûrement ce qu'on vous propose: il n'y a point d'antécédent qui vous serve » de règle; vous allez faire une expérience. >> Usez de votre jugement. »

Quel est donc le sens dans lequel cette observation se range parmi les sophismes ? C'est lorsqu'on prétend l'employer comme raison suffisante pour rejeter la mesure en question.

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