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d'application. Pourquoi? c'est que plus il possède, plus ses désirs sont dans un état de saturation, si j'ose employer cette expression de chimie moins il lui reste de ces désirs non satisfaits qui opèrent sur l'esprit en qualité de motifs, qui lui servent d'aiguillon pour vaincre les difficultés de l'étude.

Mais si l'opinion des Experts forme une base légitime d'autorité, c'est toujours dans la supposition d'une probité parfaite de leur part, de cette branche de probité qui consiste en sincérité: toujours dans la supposition qu'il n'existe point d'intérêt oblique, agissant sur leur opinion pour la pervertir.

Dans le cas contraire, l'entendement de l'individu étant soumis à l'influence d'un intérêt séducteur, plus la masse d'information qu'il possède est grande, moins son opinion doit avoir d'autorité. Si elle doit servir de guide, dans un sens inverse.

ce n'est que

-

Supposez, par exemple, une question relative aux salaires ou aux récompenses pour les services publics, l'opinion de tout homme actuellement en office ou en attente d'office, non-seulement n'est pas égale en autorité, mais elle est inférieure à l'opinion de tout individu sans intérêt personnel à la question. L'autorité des

intéressés n'est pas, dans le langage mathématique, égale à o : elle est négative, elle est au-dessous de o, en tant qu'elle fournit une raison en faveur de l'opinion contraire.

Supposez de même une question relative à la réforme de la procédure, tendant à la rendre plus expéditive, plus économique, moins vexatoire, l'opinion d'un homme de loi qui s'enrichit par les vices du système judiciaire n'est pas égale à o; mais dans un sens mathématielle est négative, elle est au-dessous

que,

de a (1).

Observons toutefois que ce qui détruit son autorité, c'est que son opinion marche dans le même sens que son intérêt; car s'il opinoit contre son intérêt, son autorité n'en seroit que plus grande. Pourquoi ? c'est qu'ayant à un plus haut degré tout ce qui constitue les bases d'un jugement éclairé, quand un homme de cette classe se montre supérieur aux intérêts personnels, la probabilité en faveur de son opinion, toutes choses d'ailleurs égales, est comparativement plus grande.

(1) Molière, dans le mariage forcé, a signalé cet intérêt séducteur par une expression que sa vérité a rendue proverbiale.-- Monsieur Josse, vous êtes orfévre.

C'est d'après ce principe, fondé sur l'expérience, que nos Cours de justice ont établi une des règles les plus raisonnables et les moins sujettes à exception dans la procédure. La preuve la plus foible, c'est le témoignage d'un homme en sa propre faveur; la plus forte, c'est son témoignage contre lui-même.

Que fera-t-on en conséquence? Doit - on exclure, doit-on refuser d'entendre les hommes qui, par état, possèdent les meilleurs moyens d'information, parce qu'ils sont exposés à l'influence d'un intérêt séducteur ? Tout au contraire, c'est une raison pour les écouter avec plus d'attention capables comme ils le sont, en vertu de leurs connoissances relatives, de fournir tous les arguments pertinents, toutes les objections directes contre la mesure proposée, plus on est fondé à conclure, s'ils ne la combattent que par de mauvaises raisons, qu'il n'y en a point de bonnes à alléguer contre elle. Le recours à des subterfuges est dans ce cas un aveu de défaite.

Nous avons dit de plus que, pour estimer la valeur d'une autorité, il y avoit deux autres circonstances à considérer, la conformité des et la fidélité des intermédiaires. Ceci ne

,

demande

que peu d'explication.

:

Relativement à la conformité, il est clair qu'on n'en peut juger par aucune règle générale. Chaque cas requiert un examen particulier, une comparaison détaillée pour apprécier les ressemblances et les différences entre le sujet immédiat qui est en question, et le sujet passe auquel l'autorité se rapporte. Je me borne à observer que cet examen fournira souvent le moyen le plus sûr de ruiner le sophisme de l'autorité. Plus les circonstances seront bien considérées, plus on trouvera que celles qui servoient de base à l'opinion alléguée ne sont point semblables à celles qui existent actuellement. Se conduire par autorité, c'est souvent faire le contraire de ce qu'on croit imiter.

Quant à la fidélité des intermédiaires par lesquels l'opinion a été transmise, on ne fait mention de cette circonstance que pour la rappeler. Il n'est pas besoin d'en prouver l'impor

tance. Qui peut ignorer par combien de causes le rapport d'une opinion s'altère ou se dénature en passant par différents canaux ? La force de l'autorité, en s'éloignant de sa source, va en décroissant de la même manière que dans le cas d'un témoignage juridique.

II. Sophisme de l'Autorité. Refutation.

Nous avons vu qu'il est des cas où l'autorité constitue une base raisonnable de décision.

a

Quel que soit le sujet en question, il n'y point de sophisme à citer des opinions, à rassembler des documents et des faits, lorsqu'on se propose par-là de fournir une instruction plus complète. Ces citations, ces documents ne sont point donnés comme faisant autorité par euxmêmes, ils ne sont point censés avoir une valeur indépendante de celle des arguments qu'on en peut tirer; ce ne sont que les matériaux de la pensée.

S'agit-il d'un sujet hors de la compétence de ceux qui sont appelés à décider, d'un sujet appartenant à une profession, il n'y a point de sophisme à se référer à l'opinion des Experts, seuls juges capables. On ne sauroit procéder autrement dans les cas qui concernent la science médicale, la chimie, l'astronomie, les arts libéraux ou mécaniques, les diverses branches de. l'art militaire, etc.

Mais il y a sophisme lorsque dans une Assemblée politique, compétente pour former un jugement éclairé, on a recours à l'autorité comme

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