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à différentes facultés de l'ame ou à différentes passions. On pourroit, d'après ce principe, les ranger sous les dénominations suivantes : sophismes, 1.o ad verecundiam, 2.o ad quietem, 3. ad socordiam, 4.° ad metum, 5.° ad superstitionem, 6. ad superbiam, 7. ad odium, 8. ad amicitiam, 9.° ad invidentiam, 10.° ad judicium (1). Mais on trouveroit dans cette division beaucoup de vague; cependant elle a quelque utilité, et, en conséquence, on a référé chaque sophisme à la disposition de l'ame à laquelle il s'adresse.

3. On peut encore les diviser en considérant leur destination ou leur but spécial. Les

(1) Ces affections ou passions ont toutes un nom propre en françois; mais on a préféré de les énoncer dans une langue morte, à raison de la clarté et de la brieveté qui en résultent. La modestie, l'amour du repos, la paresse, la crainte, la superstition, l'orgueil, la haine, l'amitié, l'envie. Le mot étranger est plus saillant, et se sépare mieux des notions vulgaires qui importunent l'esprit dans les recherches de cette nature. On a suivi l'exemple de Locke; il a fait usage de dénominations latines pour quatre espèces d'arguments:

1.o Ad verecundiam; 2. ad ignorantiam; 3.o ad hominem; 4.° ad judicium.

Ad marque plus nettement le but que la proposition françoise à.

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uns sont destinés, à écarter une question sans l'examiner ; - les autres à la différer pour gagner du temps; les autres à l'obscurcir, si on ne peut se dispenser de la traiter. J'appellerai les premiers, sophismes d'autorité ou de préjugés; les seconds, sophismes dilatoires; les troisièmes, sophismes de confusion. Je me suis attaché à cette distribution, non comme satisfaisante à tous égards, mais comme moins défectueuse que les autres: elle m'a présenté un fil qui conduit assez naturellement d'un sophisme à l'autre, et donne une facilité de plus pour les retenir (1).

(1) Cet arrangement n'est pas celui de M. Bentham. Il avoit rangé les sophismes sous trois classes; 1.° ceux qui sont propres au parti ministériel, 2.o ceux qui sont propres au parti de l'Opposition, 3.o ceux qui sont communs aux deux partis. Il reconnoissoit toutefois que cette division n'avoit pas le vrai caractère d'une classification logique; les sophismes rangés dans l'une de ces classes pouvoient souvent se placer dans les deux autres. Mais j'avois une raison de plus pour ne pas me conformer à ce plan. Mon objet étoit d'effacer la couleur du polémique anglois qui dominoit dans l'ouvrage, et de lui donner un intérêt général. J'avois en conséquence traité tous ces sophismes comme autant d'articles indépendants; mais un ami très-éclairé m'a suggéré la division que j'ai suivie, et dans laquelle tout s'est placé.

Il seroit bien à désirer qu'on pût trouver un nom propre, un nom caractéristique, qui servit à signaler chaque sophisme, et qui pût entrer dans la langue commune; on auroit rendu par là un service éminent à l'art de raisonner. La logique auroit, pour ainsi dire, son Code Pénal. Chaque mauvais raisonnement auroit un signe particulier de réprobation. Mais je n'ai pas osé hasarder des dénominations nouvelles, et j'ai été réduit à désigner plusieurs sophismes par des circonlocutions imparfaites (1). J'ai séparé une classe de sophismes que l'on peut appeler anarchiques, parce qu'ils ont une

(1) L'auteur anglois a bravé ce péril. Il a ébauché pour chaque sophisme une dénomination nouvelle ou une phrase courte et populaire qui le caractérise. On les trouvera dans la table des matières. Mais je me suis bien gardé de les traduire dans une langue plus timide et particulièrement ennemie du grotesque ou du burlesque. Je dirai ici par occasion que la difficulté de rendre en françois les idées de M. Bentham est prodigieusement augmentée par le néologisme de son langage. Personne n'écrit, sous le rapport grammatical, plus purement que lui; mais par rapport aux mots, il en crée continuellement de nouveaux, et un dictionnaire beaucoup plus riche que le nôtre lui paroît encore très-insuffisant. Je parle particulièrement de ses dernières productions.

tendance à détruire toute espèce de Gouvernement. Ils appartiennent, à la troisième classe des sophismes de confusion et d'obscurité ; mais ils ont ce danger de plus, de préparer la dissolution de toute autorité légale.

La plupart de ces sophismes ont été promulgués solennellement dans la Déclaration des droits de l'homme. C'est là ce qui donne un grand avantage pour les combattre. Les autres sophismes n'ont jamais été rédigés en corps de maximes; ils changent de forme comme des Protées, et c'étoit un travail tout nouveau que de les extraire d'une masse de débats. Mais pour ces sophismes anarchiques, ils ont reçu une existence authentique, une forme permanente; ils ont été proclamés; ils servent de préambule à un Code Constitutionnel. Les autres sophismes ne sont que des erreurs individuelles; les sophismes anarchiques ont reçu la sanction d'une Assemblée de Législateurs.

PREMIÈRE PARTIE.

DES SOPHISMES DE PRÉJUGÉ OU

D'AUTORITÉ.

CEUX qui, dans une Assemblée politique,

ont un grand intérêt à ne pas souffrir l'examen d'une question, s'efforcent de mettre le préjugé seul à la place du raisonnement. Or, le préjugé, en matière d'opinion, se réduit toujours à l'autorité du jugement d'autrui, qu'on veut représenter comme étant décisive sur le point controversé, sans aucun appel ultérieur à la raison.

Il faut donc commencer par analyser l'Autorité même, en distinguant les cas où elle est une base légitime de décision, et ceux où elle ne l'est pas. Par rapport à ceux-ci, nous verrons que le sophisme revêt les formes suivantes : 1. L'autorité fondée sur l'opinion positive de nos ancêtres. « Voilà ce qu'ils ont fait. Nous devons faire comme eux. »

2.o L'autorité fondée sur l'opinion négative de nos ancêtres. «Ils n'ont pas fait ce qu'on nous propose; nous ne devons pas le faire. >>

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