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lain. Les deux mesures qu'on présente sont de nature à ne fournir aucune objection positive: cependant, il tend à les faire rejeter uniquement sur deux présomptions, l'une qu'elles seront suivies d'autres mesures, l'autre que ces mesures subséquentes seront mauvaises. En comparant encore ce cas à celui d'un Juge, revient à condamner un innocent à raison de ce que d'autres pourront dans la suite se rendre coupables d'un délit. Ce sophisme est si vague, si déraisonnable qu'on le croiroit inventé comme un exemple imaginaire d'absurdité. Cependant il n'est point d'Assemblée politique où il ne se soit fait entendre fréquemment et avec succès. Quand on s'adresse à la défiance, on est presque toujours sûr de se faire écouter. Les uns s'y rendent par timidité, les autres. pour faire honneur à la sagacité de leur esprit. Si cet argument peut servir de motif à rejeter une mesure, il peut servir à les rejeter toutes: qu'elle est la mesure dont on peut affirmer qu'elle ne sera pas suivie de quelque autre qui sera jugée mauvaise?

car,

Hérode est accusé d'avoir détruit une foule d'innocents, pour exterminer un individu qui lui étoit suspect. Ceux qui emploient cet argument ne peuvent qu'approuver cette po

:

litique d'Hérode, et à sa place, pour être conséquents, ils auroient dû agir comme lui.

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Il n'est point de sophisme qui annonce plus de mépris pour ceux à qui on s'adresse. Il semble qu'on leur tienne à peu près ce langage. «Messieurs, il y a une chose qui vous manque, c'est la faculté de discerner. Si vous acceptez cette première mesure qui est bonne en elle-même vous voilà comme pris dans un filet et engagés à en recevoir d'autres qui seront mauvaises. Condamnez indistinctement tout ce qui vous vient sous ce caractère suspect de réforme car de vous fier à vous-mêmes pour prendre le bien et rejeter le mal, c'est un choix de raison dont nous vous déclarons incapables. >>

Il n'est pas rare que cet argument injurieux soit offert à une Assemblée politique, et qu'elle s'y soumette avec la plus grande patience. Chaque Membre auroit-il donc une opinion si humble de lui-même ? Cette humilité n'est guère probable. Si on pense bien de soi, seroitce qu'on pensât mal de la majorité de ses Collégues? Cette supposition est moins invraisemblable que la première; et quand on voit une Assemblée acquiescer à une insulte, on seroit porté à soupçonner qu'elle y reconnoît une sorte de justice.

CHAPITRE VI.

PERSONNALITÉS INJURIeuses.

JE rassemble sous ce chef un groupe de

sophismes si intimement liés entr'eux, que les mêmes réfutations s'appliquent plus ou moins

à tous.

1. Imputation de mauvais dessein.
2. Imputation de mauvais caractère.
3. Imputation de mauvais motif.
4. Imputation de variations.

5. Imputation de liaisons suspectes. Noscitur

ex sociis.

6. Imputation fondée sur des dénominations de parti. Noscitur ex cognominibus.

Tous les arguments puisés dans cette source ont pour objet de détourner l'attention de la mesure proposée et de la diriger sur l'homme qui la propose, de manière que le préjugé qu'on élève contre la personne devienne un préjugé contre la mesure.

L'argument mis en forme logiqne revient à ceci. L'auteur de la mesure a un mauvais dessein, une mauvaise réputation, un mauvais donc la mesure est mauvaise.

motif :

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a soutenu sur ce sujet une opinion différente; il a des liaisons avec des hommes suspects; il embrasse les intérêts d'une secte qui a soutenu autrefois des principes dangereux : - donc la mesure en question est mauvaise.

Ces six espèces d'arguments forment une échelle. Chacun, dans son ordre de succession, s'appuie sur celui qui précède, et en tire sa preuve; en sorte que leur force probante va toujours en diminuant, ou, en d'autres termes, le premier est le plus fort de tous, et s'il ne vaut rien, la conclusion se tire d'elle - même pour le reste.

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On n'est embarrassé que dans le choix des raisons pour démontrer leur futilité.

1.o Ils ont le caractère commun à tous les sophismes; ils sont étrangers à la véritable question, celle du mérite intrinsèque de la mesure; ils ne tendent qu'à l'éluder.

2. Ils sont inconcluants au plus haut degré. S'ils avoient quelque valeur, ils n'iroient pas moins à faire rejeter la meilleure mesure que la plus mauvaise.

Dans une Assemblée nombreuse où il entre un mélange de tous les caractères et de tous les esprits, il y aura, dans les partisans de chaque mesure, des hommes moraux et im

moraux à divers degrés. Or, si une mesure est bonne, devient - elle mauvaise, parce qu'elle est soutenue par des hommes improbes? Si elle est mauvaise, devient-elle bonne, parce qu'elle est soutenue par des hommes probes? Après ces observations générales, entrons dans quelques détails sur ces différents chefs.

I. Imputation de mauvais dessein.

Observons bien ici que la mesure en question n'est pas attaquée comme mauvaise, c'est-àdire comme tendante à produire du mal; car si elle étoit combattue sous ce rapport, il n'y auroit plus de sophisme.

Le mauvais dessein imputé n'est donc pas dans la mesure actuelle: l'imputation porte sur quelque mesure ultérieure qu'on suppose par anticipation devoir être mauvaise.

Il faut donc prouver, 1.° que l'auteur de la mesure actuelle, contre laquelle on n'objecte rien , projette en effet des mesures ultérieures qui seront mauvaises; 2.° que si la mesure actuelle qui est innocente est admise, les mauvaises mesures contingentes le seront aussi.

On voit que ce sophisme est absolument le même que j'ai dejà combattu, sous le nom de sophisme de défiance. Voy. Ch. V.

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