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tyage. Mais fitôt qu'elle fut morte, Cyaxare recommença fes follicitations auprès de l'Empereur des Medes.

Cambyfe apprit les deffeins de Cyaxare, & envoya Hyftafpe à la Cour d'Ecbatane, pour représenter à Aftyage le danger qu'il y auroit de s'affoiblir mutuellement, pendant que les Affyriens, leurs ennemis communs, méditoient leur domination fur tout l'Orient. Hyftafpe arrêta par fon habileté l'exécution des projets de Cyaxare, & procura à Cambyfe le temps de faire fes préparatifs en cas de rupture.

Le Prince des Medes voyant que les fages confeils d'Hyftafpe étoient favorablement écoutés par fon pere, & qu'il n'y avoit pas moyen d'allumer fitôt la guerre, effaya d'autres voies pour affoiblir la puiffance des Perfes. Il apprit le mécontentement de Sorane, & tâcha de le gagner en lui offrant les premieres dignités de l'Empire.

Sorane frémit d'abord à cette idée; mais trompé enfuite par fon reffentiment, il fe cacha à lui-même les raifons fecretes qui l'animoient. Son cœur n'étoit pas encore infenfible à la vertu; mais fon imagination vive transformoit les objets, & les lui repréfentoit fous toutes les couleurs néceffaires pour flatter fon ambition. Il furmonta enfin tous fes remords fous prétexte que Cyaxare feroit un jour fon Empereur légitime, & que Cambyfe n'étoit qu'un maître tributaire. Il n'y a rien que l'on ne fe perfuade, lorfque de fortes paffions nous entraînent & nous aveuglent. Sorane entra ainfi peu-à-peu dans une liaison étroite avec Cyaxare; & mit fecretement tout en ufage pour rendre l'adminiftration de Cyrus odieuse au peuple.

Cyrus avoit élevé Arafpe aux premieres dignités militaires, connoiffan fa capacité & fes talens pour la guerre; mais il ne vouloit pas le faire entrer dans le Sénat à caufe des anciens ufages établis en Perfe, qui ne permettoient point aux étrangers d'être affis dans le Confeil Suprême.

Le perfide Sorane preffoit pourtant le jeune Prince d'enfreindre cette loi : il favoit que ce feroit un moyen für d'exciter la jaloufie des grands, & de les irriter contre Cyrus. Vous avez besoin dans les Confeils, lui dit-il un jour, d'un homme femblable à Arafpe. Je fais que la bonne politique & nos regles défendent qu'on confie en même-temps aux étrangers le commandement des armées, & le fecret de l'Etat. Mais on peut fe difpenfer des loix, lorfqu'on fait en remplir l'intention par des voies plus fûres & plus faciles; un Prince comme vous ne doit jamais être l'efclave des regles, ni des ufages. Les hommes n'agiffent ordinairement que par ambition ou par intérêt. Comblez Arafpe de dignités & de biens; rendez ainfi la Perfe fa patrie, & vous n'avez rien à craindre de fon infidélité.

Cyrus ne foupçonna point les deffeins cachés de Sorane, mais il aimoit trop la juftice pour vouloir s'en écarter. Je fuis perfuadé, répondit-il, de la fidélité & de la capacité d'Arafpe. Je l'aime; mais quand une amitié feroit capable de me faire manquer aux loix en fa faveur, il m'eft trop

attaché pour vouloir jamais accepter aucune dignité qui pourroit exciter la jaloufie des Ferfes, & leur donner occafion de croire que j'agis par goût & par paffion dans les affaires de l'Etat.

Sorane, ayant effayé en vain d'engager Cyrus dans cette fauffe démarche, tenta de le furprendre par une autre voie, en tâchant de rompre l'intelligence qui régnoit entre le jeune Prince & fon pere. Sorane faifoit remarquer adroitement à Cyrus les défauts du Roi, les bornes de fon efprit, & la néceffité de fuivre d'autres maximes que les fiennes. Le gouvernement doux & paifible de Cambyfe, lui difoit-il fouvent, eft incompatible avec les grands projets. Si vous vous contentez comme lui d'être Roi pacifique, comment deviendrez-vous conquérant?

Cyrus n'écouta ces infinuations que pour éviter les écueils où Cambyfe avoit échoué. Il ne diminua point fa docilité & fa foumiffion pour un pere qu'il aimoit tendrement. Il le refpectoit même jufques dans fes foibleffes, en tâchant de les cacher. Il ne faifoit rien fans fes ordres; mais il l'inftruifoit en le confultant. Il lui parloit fouvent en particulier, pour le mettre en état de décider en public. Cambyfe avoit l'efprit affez jufte pour démêler, & pour s'approprier ce qu'il y avoit de plus excellent dans les confeils de fon fils: ce fils n'employoit la fupériorité de fon génie que pour faire refpecter les volontés de fon pere; il ne montroit fes talens que pour affermir l'autorité du Roi. Cambyfe redoubla de tendreffe, d'eftime & de confiance pour Cyrus, en voyant la fageffe de fa conduite; mais le jeune Prince ne s'en prévaloit pas, & croyoit ne faire que fon devoir.

Sorane, au défefpoir de voir fes projets s'évanouir, fit répandre fecrétement dans l'efprit des Satrapes des défiances contre le Prince, comme s'il vouloit borner leurs droits & anéantir leur autorité; & pour augmenter leur ombrage, il effaya d'infpirer à Cyrus les principes du defpotifme.

Les Dieux vous deftinent, lui difoit-il, à étendre un jour votre Empire fur tout l'Orient. Pour exécuter ce projet avec fuccès, il faut accoutumer les Perfes à une obéiffance aveugle. Captivez les Satrapes par les dignités & par les plaifirs. Mettez-les dans la néceffité de ne recevoir vos faveurs qu'en fréquentant votre Cour. Emparez-vous ainfi peu-à-peu de l'autorité fuprême. Affoibliffez les droits du Sénat, ne lui laiffez que le pouvoir de Vous confeiller. Un Prince ne doit point abufer de fa puiffance; mais il ne doit jamais la partager avec fes fujets. Le Gouvernement Monarchique eft le plus parfait de tous. La réunion du pouvoir fuprême dans un feul, fait la vraie force des Etats, le fecret dans les confeils, & l'expédition dans les entreprises. Une petite République peut fubfifter par le gouvernement de plufieurs, mais les grands Empires ne fe forment que par l'autorité abfolue d'un feul. Les autres principes ne font que les idées bornées des ames foibles, qui ne fe fentent pas affez de force pour exécuter de vastes projets,

Cyrus frémit à ce difcours; mais il cacha fon indignation par fageffe; & rompant adroitement la conversation, il laiffa Sorane perfuadé qu'il goûtoit fes maximes.

Quand Cyrus fut feul, il réfléchit profondément à tout ce qu'il venoit d'entendre. Il fe reffouvint de la conduite d'Amafis, & commença à foupçonner la fidélité de Sorane. Il n'avoit pas à la vérité des preuves invincibles de fa perfidie; mais un homme qui ofoit lui infpirer de tels fentimens, lui paroiffoit au moins très-dangereux, quand même il ne feroit pas traitre. Le jeune Prince déroba peu à peu à ce Miniftre le fecret de fes affaires, & chercha des prétextes pour l'éloigner de fa perfonne, fans rien faire cependant qui pût le révolter.

Sorane fentit bientôt ce changement, & pouffa fon reffentiment jusqu'au dernier excès. Il fe perfuada qu'Arafpe alloit être mis à fa place; que Cyrus vouloit fe rendre maître abfolu de la Perfe, & que c'étoit-là le deffein fecret du jeune Prince en difciplinant les troupes avec tant d'exactitude. Son imagination forte, & fon humeur défiante flattoient fa paffion pour la grandeur, & puis la jaloufie & l'ambition l'aveugloient un tel point, qu'il crut faire fon dévoir en commettant les plus noires trahisons.

Il fit inftruire Cyaxare de tout ce qui fe paffoit dans la Perfe; de l'accroiffement de fes forces, des préparatifs qu'on y faifoit pour la guerre, & du deffein qu'avoit Cyrus d'étendre fon Empire fur tout l'Orient, fous prétexte d'accomplir certains oracles fuppofés dont il éblouiffoit le peuple. Cyaxare profita de ces avis pour alarmer Aftyage; il infinua dans fon cœur les inquiétudes & les défiances. Hyftafpe fut renvoyé de la Cour d'Ecbatane, & l'Empereur fit menacer Cambyfe d'une guerre fanglante, s'il ne confentoit pas à payer les anciens tributs, & à rentrer dans la même dépendance dont la Perfe avoit été affranchie par le mariage de Mandane. Le refus de Cambyfe fut le fignal de la guerre; & les préparatifs fe firent des deux côtés.

Cependant Sorane chercha à corrompre les chefs de l'armée, & à affoiblir leur courage, en leur faifant entendre qu'Aftyage étoit leur Empereur légitime; que les projets ambitieux de Cyrus alloient perdre la patrie; qu'il ne pourroit jamais réfifter aux troupes des Medes qui l'accableroient par leur nombre.

Il continua auffi d'augmenter la défiance des Sénateurs, en faifant répandre adroitement parmi eux, que Cyrus ne faifoit entreprendre la guerre contre fon grand-pere, qu'afin d'affoiblir leur autorité, & d'ufurper un pouvoir defpotique.

Il cacha toutes fes trames avec tant d'art, qu'il auroit été presque impoffible de les découvrir. Tous fes difcours étoient tellement mefurés, qu'on ne pouvoit pénétrer fes intentions fecretes. Il y avoit de certains momens où il ne les voyoit pas lui-même, & il fe croyoit fincere & zélé

pour

le bien public. Ses premiers remords revenoient de temps en temps; il les étouffoit en fe perfuadant que les projets qu'il attribuoit au Prince étoient réels.

Cyrus fut bientôt inftruit des murmures du peuple; l'armée fongeoit à fe révolter, le Sénat vouloit refufer des fubfides. L'Empereur des Medes alloit entrer dans la Perse à la tête de foixante mille hommes. Le jeune Prince voyoit avec douleur les extrémités cruelles où fon pere étoit réduit, & la néceffité de prendre les armes contre fon grand-pere.

Cambyfe fachant tous les combats que livroient tour-à-tour à Cyrus le devoir, & la nature, lui dit: vous favez, mon fils, tout ce que j'ai fait pour étouffer les premieres femences de nos difcordes; j'ai travaillé inutilement. La guerre eft inévitable; la patrie doit être préférée à la famille. Jufqu'ici vous m'avez fecouru dans les affaires par votre fageffe; il faut que vous donniez à préfent des preuves de votre valeur. Quand mon âge me permettroit de paroître à la tête de mes troupes, je ferois obligé de refter ici, où ma préfence eft néceffaire pour contenir mon peuple. Allez, mon fils, allez combattre pour la patrie: montrez-vous le défenseur de fa liberté, auffi-bien que le confervateur de fes loix : fecondez les deffeins du ciel. Rendez-vous digne d'accomplir un jour fes oracles. Commencez par délivrer la Perfe avant que d'étendre vos conquêtes dans l'Orient. Que les nations voient les effets de votre courage, & admirent votre modération au milieu des triomphes, afin qu'elles ne craignent pas un jour vos victoires.

Cyrus, animé par les fentimens magnanimes de Cambyfe, & fecouru par les confeils d'Harpage & d'Hyftafpe, deux Généraux également expérimentés, forma bientôt une armée de trente mille hommes: elle étoit compofée de chefs dont il connoiffoit la fidélité, & de vieux foldats d'une valeur éprouvée.

Aufli-tôt que les préparatifs furent faits, on commença par les facrifices, & les autres actes de religion.

Cyrus fit ranger les troupes dans une grande plaine près de la capitale, y raffembla le Sénat & les Satrapes, & harangua ainfi les chefs de l'armée avec un air doux & majeftueux.

La guerre eft illégitime, lorfqu'elle n'eft pas néceffaire. Celle que nous entreprenons aujourd'hui n'eft pas pour fatisfaire à l'ambition, ni à l'envie de dominer; mais pour défendre notre liberté, à laquelle on attente contre la foi des traités. Je connois affez vos ennemis, pour vous affurer que vous n'avez pas raifon de craindre. Vos ennemis entendent bien la difcipline militaire, ils nous furpaffent en nombre; mais ils fe font amollis par le luxe & par une longue paix. Votre vie dure vous a accoutumés à la fatigue. Vous êtes animés de cette noble ardeur, qui méprise la mort quand il s'agit de combattre pour la liberté. Rien n'eft impoffible à ceux qui favent tout fouffrir, & tout entreprendre. Pour moi, je ne veux me

diftinguer

diftinguer de vous, qu'en vous devançant dans les travaux & les dangers. Tous nos biens & tous nos maux feront déformais communs.

Il fe tourna enfuite vers les Sénateurs, & leur dit d'un ton fier & févere Cambyfe n'ignore pas les intrigues de la cour d'Ecbatane pour femer de la défiance dans vos efprits. Il fait que vous balancez à lui accorder des fubfides; il pourroit, avec une armée, qui lui feroit dévouée, vous obliger de vous conformer à fes demandes, mais il a prévu la guer re, il a pris fes précautions. Une feule bataille décidera du fort de la Perfe; il n'a pas befoin de votre fecours. Souvenez-vous cependant qu'il s'agit de la liberté entiere de la patrie. Cette liberté n'eft-elle pas plus fûre entre les mains de mon pere, votre Prince légitime, qu'entre celles de l'Empereur des Medes qui tient tributaires tous les Rois voisins? Si Cambyfe eft vaincu, vos privileges font à jamais anéantis; s'il eft victorieux, vous devez craindre la juftice d'un Prince, que vous avez irrité par vos cabales fecretes.

Par ce difcours, le Prince de Perfe intimida les uns, confirma les autres dans leur devoir, & les réunit tous dans le même deffein de contribuer au falut de la patrie. Sorane parut des plus zélés, & demanda avec empreffement d'avoir quelque commandement dans l'armée. Comme Cyrus n'avoit point caché à Cambyfe les juftes défiances qu'il avoit de ce Miniftre, le Roi ne fe laiffa point éblouir par les apparences; fous prétexte de veiller à la fureté de la capitale, il retint Sorane auprès de fa perfonne; mais il fit observer sa conduite, de forte que le Satrape demeura prifonnier fans le favoir.

Cependant Cyrus va au devant d'Aftyage & de Cyaxare; & avec une bien plus petite armée, il les bat & les fait prifonniers. Après quoi il fait une paix folide avec Aftyage, & délivre les Perfes de toutes leurs

craintes.

Cambyfe envoie Cyrus à Babylone. Le Prince y arrive vers la fin de la démence de Nabuchodonofor. Eleazar, favant Juif, lui raconte l'origine & la caufe de cette démence furnaturelle. Cyrus voit Nabuchodonofor & l'entretient dans un de fes bons intervalles. Le Roi d'Affyrie revenu de fa démence, rend hommage publiquement au Dieu d'Ifraël, & Cyrus fait un traité d'alliance avec lui. Cyrus fait auffi connoiffance avec Daniel qui lui fait voir les prédictions du prophete Ifaie à fon fujet : il lui explique la conduite de Dieu avec l'Eglife Juive. Cyrus fe rend maître de tout l'Orient & rétablit les Juifs.

Tome XV.

I

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