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la conduite des clercs & des laïcs de fon diocefe. Ces différens chefs font appuyés fur l'autorité des canons que Réginon a foin de rapporter. S'il fe fonde fur plufieurs canons, après en avoir cité un, il ajoute fouvent dans l'article qui fuit, ces paroles unde fuprà, pour marquer qu'il s'agit en cet endroit du même chef d'information dont il étoit queftion à l'article précédent. Mais Bouchard s'eft imaginé que par ces paroles, unde fuprà, Réginon vouloit indiquer la fource d'où l'article étoit tiré, & qu'ainfi elle étoit la même pour lors que celle du précédent. Cela est cause que les infcriptions de ces articles font fouvent fauffes par exemple Réginon lib. II. cap. ccclxiij. cite un canon d'Ancyre, & dans Particle fuivant il cite un autre canon avec l'infcription unde fuprà. Bouchard rapportant ce dernier canon lib. X. cap. j. l'attribue, dans l'idée dont nous venons de parler, au Concile d'Ancyre. C'eft par une femblable erreur qu'au liv. II. chap. ij. & iij. où il rapporte les articles 407 & 408 du liv. de Régiil les attribue au Concile de Rouen, parce qu'ils fuivent immédiatement l'article 406, tiré de ce Concile, & qu'ils font accompagnés de la note unde fuprà. En fecond lieu, on peut reprocher à Bouchard fon affectation à ne point citer les loix civiles, fur-tout les capitulaires des Rois de France, & en cela il n'a pas pris Réginon pour modele. Ainfi ce qu'il emprunte réellement des capitulaires, il l'attribue aux Conciles mêmes dont les capitulaires ont tranfcrit les canons, ou aux fauffes décrétales qu'ils ont adoptées en plufieurs endroits. Bouchard va même jufqu'à citer à faux, plutôt que de paroître donner quelque autorité aux loix des Princes. Nous nous contenterons d'indiquer ici au lecteur le chap. xxxvij. du liv. VII. où il rapporte un paffage tiré de l'article 10s du premier livre des capitulaires, comme étant d'un Concile de Tolede, fans dire néanmoins de quel Concile de Tolede, quoique fuivant la remarque des correcteurs Romains au Décret de Gratien fur le canon 34 de la caufe 27, question 2, le paffage ne fe trouve dans aucun de ces Conciles. Si on confulte M. Baluze dans fes notes fur Réginon, S. 22, & dans celles fur les capitulaires, on trouvera beaucoup d'autres exemples de cette efpece. Il n'y a qu'une feule occafion où Bouchard cite les capitulaires de Charlemagne, favoir au liv. II. chap. cclxxxj. & même il ne le fait que comme ayant été confirmés par les Evêques affemblés à Aix-la-Chapelle. On ne peut rendre d'autre raison de cette conduite, finon que dans la décadence de la race de Charlemagne, l'Empire des François étant divifé en partie orientale & occidentale, & l'Allemagne s'étant fouftraite à la domination des Rois Carlovingiens, un Allemand rougiffoit de paroître refpecter les Décrets des Rois & des Prélats de France. Enfin cette collection eft parfemée de fauffes décrétales; mais en ceci Bouchard n'a fait que fuivre le torrent de fon fiecle, pendant lequel l'autorité de ces décrétales s'établisfoit de plus en plus.

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L'importance & la multiplicité de ces imperfections n'ont point empê

ché Sigebert, ch. cxlj. de fcriptor. ecclef. de prodiguer à cet ouvrage les éloges les plus outrés, comme fi en effet Bouchard n'eut jamais employé que des monumens authentiques, & qu'il eût apporté à cet égard la plus fcrupuleuse exactitude. Mais telle étoit l'ignorance de ces temps-là, qu'on recevoit fans aucun examen tout ce qui étoit recueilli par des auteurs de quelque réputation. Il n'eft donc pas étonnant fi ceux qui ont fait après lui de nouveaux recueils de canons, ont négligé de remonter aux véritables fources, & ont par cette raison conservé les mêmes erreurs dans leurs compilations. Paffons maintenant au Décret d'Yves de Chartres.

Yves de Chartres, né au diocefe de Beauvais d'une famille illuftre, entra dans fa jeuneffe dans l'abbaye du Bec, & y fit de tels progrès dans l'étude de la théologie fous le célébre Lanfranc, qu'il fut bientôt en état de l'enseigner. Guy, Evêque de Beauvais, ayant raffemblé des chanoines dans un monaftere qu'il avoit fait bâtir en l'honneur de S. Quentin, il mit Yves à leur tête cet Abbé renouvella avec zele les pratiques aufteres de la vie canoniale, qui étoit tombée dans le relâchement. Dans la fuite, Urbain II après avoir dépofé Geoffroi, Evêque de Chartres, nomma Yves à fa place, & le facra Evêque plufieurs Prélats, fur-tout l'Archevêque de Sens, s'oppoferent d'abord à cette entreprise du Pape, & chafferent Yves de fon fiege; mais il y fut rétabli. Dans le temps qu'il gouvernoit l'Eglife de S. Quentin à Beauvais, & qu'il y enfeignoit la théologie, il compofa vers l'an 1110, fon grand recueil des canons, connu fous le nom de Décret, quoiqu'il l'eût intitulé, Excerptiones ecclefiafticarum regularum. Ce titre étoit d'autant plus convenable, qu'on ne trouve dans ce recueil aucun Décret d'Yves de Chartres, mais feulement des extraits tirés, foit des actes de divers conciles, foit des lettres des fouverains Pontifes, des écrits des SS. Peres, ou bien enfin des ordonnances des Princes chrétiens. La préface qu'il y a jointe, annonce dans quelle vue il a ramaffé ces monumens: c'eft, dit-il, afin que ceux qui font hors d'état de fe procurer tous ces écrits, puifent dans cette collection ce qui peut leur être utile; nous commençons, ajoute-t-il, par ce qui concerne la foi, comme étant la bafe de la religion Chrétienne; nous mettons enfuite fous différens titres ce qui regarde les facremens, la morale, la difcipline : & de cette façon chacun trouvera facilement ce qu'il lui importe de connoître. Cette préface mérite d'être lue; elle montre un grand fonds d'érudition dans fon auteur, & fait fentir avec force combien il eft néceffaire aux Prélats d'être verfés dans la difcipline eccléfiaftique. L'ouvrage eft divifé en dix-fept parties, dont chacune renferme un nombre confidérable d'articles: elles répondent aux vingt livres de Bouchard, & font rangées à peu près dans le même ordre. La premiere partie traite du Baptême & de la Confirmation. La feconde, de l'Euchariftie, du facrifice de la Meffe, & des autres Sacremens. La troifieme, de l'Eglife & des chofes qui lui appartiennent, & du refpect qu'on doit avoir pour elles. La quatrieme, des fêtes, des

jeûnes,

jeûnes, des écritures canoniques, des coutumes, & de la célébration du concile. La cinquieme, de la primatie de l'Evêque de Rome, du droit des primats, des métropolitains, & des Evêques. La fixieme, de la vie, de l'ordination, & de la correction des clercs, & des cas où elle a lieu. La feptieme, de la tranquillité & de la retraite prescrites aux religieux & religieuses, & des peines que méritent ceux qui n'ont point gardé le vœu de continence. Dans la huitieme, il eft parlé des mariages légitimes, des vierges, & des veuves non voilées, de ceux qui les raviffent, des concubines. Dans la neuvieme, des différentes efpeces de fornication, du degré dans lequel fes fideles peuvent fe marier, ou doivent être féparés. Dans la dixieme, des homicides volontaires ou involontaires. Dans la onzieme, de la magie, des forciers. Dans la douzieme, du menfonge, du parjure, des accufateurs, des juges, des faux témoins. Dans chacune de ces parties, on voit auffi quelle eft la pénitence qu'on impofe à ceux qui font dans l'un de ces différens cas. Les voleurs, les médifans, l'ivrognerie, les furieux, & les Juifs, font la matiere de la treizieme. La fuivante traite de l'excommunication, des caufes pour lesquelles on l'encourt, & de la procédure fuivant laquelle elle doit être lancée. La quinzieme, de la pénitence de ceux qui font en fanté ou malades, & comment elle peut être adoucie. La feizieme des devoirs & des caufes des laïques. Enfin la derniere contient les fentences des SS. PP. fur la foi, fur l'espérance & la

charité.

Yves a emprunté dans fa collection beaucoup de chofes de Bouchard de Wormes; fouvent même il fe contente de le copier mot à mot, & il ne l'abandonne totalement qu'en deux circonftances; 1°. fur ce qui regarde l'opinion de Berenger qui s'étoit élevée de fon temps, & qu'il veut réfuter en rapportant dans fa feconde partie beaucoup de paffages des conciles & des SS. PP. pour foutenir le dogme Catholique fur la présence réelle de Jefus-Chrift dans le Sacrement de l'Euchariftie: au lieu que Bouchard a gardé fur cette matiere un profond filence: 2°. en ce que dans fa feizieme partie à l'occasion des caufes des laïques dont il parle, il cite fouvent le code Théodofien, les pandedles, le code, les novelles, les inftituts de Juftinien, & les capitulaires des Rois de France; ce que Bouchard n'a point fait. Yves eft même regardé comme le premier qui dans l'Occident ait joint le droit civil au droit canonique; il a été imité en cela par les compilateurs qui l'ont fuivi.

Nous avons un autre recueil de canons d'Yves de Chartres, divifé en huit livres, qui porte le nom de pannormie. Ce nom eft compofé des mots grecs a & véuos, ou, à la place de ce dernier, du mot latin nor

& il indique que cette compilation renferme toutes les regles de la difcipline eccléfiaftique : quelques-uns doutent que cette collection foit d'Yves de Chartres, & ils fe fondent, 1°. fur ce que la préface est la mê→ -me que celle du Décret, d'où ils concluent que l'un des deux ouvrages Tome XV.

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n'eft point de cet auteur: 2°. fur ce qu'on y trouve des Décrets des Papes Calixte II & Innocent II, qui n'ont cependant occupé le faint fiege que depuis la mort d'Yves de Chartres: 3°. fur ce que les livres de Juftinien y font cités. Or ces livres n'ont été recouvrés, fuivant Jacques Godefroi in manuali juris, qu'en l'année 1136 dans les ruines de Melphi, ville de la Pouille, lorfque l'Empereur Lothaire II chaffa les Normands d'Italie, & Yves de Chartres eft mort en 1115: ainfi ils croient qu'il faut l'attribuer à un certain Hugues de Châlons-fur-Marne, ou à quelqu'autre écrivain qui aura fait un extrait du Décret d'Yves. Ils alleguent le témoignage de Vincent de Beauvais, qui dit lib. XXV. fpeculi hiftorialis, cap lxxxiv. que d'après le Décret d'Yves de Chartres, Hugues a compofé un petit livre portatif, intitulé la fomme des Décrets d'Yves de Chartres. Mais M. Baluze, dans fa préface fur les dialogues d'Antoine Auguftin, de emendatione Gratiani, rapporte qu'il a confulté un manufcrit très-ancien de l'abbaye de S. Victor de Paris, & deux autres manufcrits du monaftere de S. Aubin d'Angers; que cette collection y eft appellée par-tout pannormie, & jamais fomme des Décrets d'Yves; d'où il paroît, dit-il, que le livre dont Vincent de Beauvais fait mention, eft différent de celui-ci. Il préfume même que le manufcrit de S. Victor eft antérieur au temps d'Hugues de Châlons, & il juge ainfi fans doute par le caractere de l'écriture: ajoutez à cela que, felon la remarque d'Antoine Auguftin, Evêque de Lérida, puis Archevêque de Tarragone en Efpagne, la pannormie ne peut être un extrait du Décret d'Yves, puifque ces deux collections fe reffemblent en très-peu de choses.

Quant aux objections précédentes, on répond à la premiere qui naît de la répétition de la préface, qu'elle n'eft point dans plufieurs exemplaires de la Pannormie; voyez Antoine Auguftin, liv. I. de emendat. Gratiani, cap. j. D'ailleurs l'auteur a pu fe fervir de la même préface pour deux ouvrages qui ont le même objet, quoique diftribués & traités différemment. La feconde objection eft détruite par le P. Mabillon : ce favant Bénédictin, dont on ne peut fans injuftice foupçonner la bonne foi, affure avoir vu deux manufcrits très-anciens de ce recueil, où le nom d'Yves de Chartres eft écrit, & où les Décrets des Papes Calixte II & Innocent II, ne font point. En troifieme lieu, fi les livres de Juftinien fe trouvent cités dans ce recueil, cela prouve fimplement qu'ils ont été connus en France avant la prife de Melphi, quoique ce foit à l'époque où on ait commencé à les enfeigner publiquement dans les écoles. Nous ne balançons donc point à reconnoître la Pannormie pour être d'Yves de Chartres, mais on ignore fi elle a précédé le Décret ou non; on eft obligé de s'en tenir fur ce fujet à des conjectures bien légeres. Les uns difent qu'il eft affez vraifemblable que la Pannormie étant d'un moindre volume, & fon auteur fa voyant reçue favorablement, & entre les mains de ceux qui s'appliquoient à l'étude du droit canonique, il fe foit dans la fuite pro

pofé un plus grand ouvrage, tel que le Décret, pour y traiter les choses avec plus d'étendue. Les autres prétendent au contraire que par cela même que la Pannormie eft plus abrégée, il y a lieu de croire qu'elle a été faite depuis, & avec plus de foin. D'ailleurs elle a, dit-on, dans plufieurs exemplaires cette infcription, Decreta parva Yvonis, qui femblent avoir rapport à quelqu'ouvrage antérieur plus confidérable, qu'on aura fimplement appellé Decreta. Quoi qu'il en foit, ces deux compilations d'Yves de Chartres font recommandables, en ce qu'il y traite avec précision tout ce qui regarde la difcipline Eccléfiaftique, & qu'il les a enrichies de décifions tirées du droit civil, comme nous l'avons déjà obfervé: de plus, elles font d'un grand usage pour réformer Gratien; & Dumoulin, profes feur en droit de Louvain, qui nous a donné, en 1561, la premiere édition du Décret d'Yves de Chartres, déclare s'en être utilement fervi à cet égard. Mais Yves de Chartres eft repréhensible d'avoir fuivi les fauffes décrétales, & de n'avoir pas confulté les véritables fources. Ce que nous venons de dire fur ces deux collections nous paroît fuffire; nous nous étendrons davantage fur celle de Gratien comme plus importante, & faifant partie du corps du droit canonique.

Gratien de Chiufi en Tofcane, embraffa la regle de S. Benoît dans le monaftere de S. Félix de Boulogne. Vers l'an 1151, fous le Pontificat d'Eugene III, & le regne de Louis VII, dit le-Jeune; il publia un nouveau recueil de canons, qu'il intitula la concorde des canons difcordans parce qu'il y rapporte plufieurs autorités qui femblent oppofées, & qu'il fe propofe de concilier. Dans la fuite il fut appellé fimplement Décret. La matiere de ce recueil font les textes de l'Ecriture, les canons des Apôtres, ceux d'environ 105 conciles, favoir des neuf premiers conciles écuméniques, en y comprenant celui de Trulle ou de Quini-Sexte, & de 96 conciles particuliers; les décrétales des Papes; les extraits des SS. PP. comme de S. Ambroife, S. Jérôme, S. Auguftin, S. Grégoire, Ifidore de Seville, &c. les extraits tirés des auteurs Eccléfiaftiques, les livres pénitentiaux de Théodore, de Bede, & de Raban-Maur, Archevêque de Mayence; le code Théodofien, les fragmens des jurifconfultes, Paul & Ulpien les capitulaires des Rois de France, l'Hiftoire Eccléfiaftique, le livre appellé Pontifical, les mémoires qui font reftés fur les Souverains Pontifes le Diurnal & l'Ordre Romain. A ces autorités il joint fréquemment fes propres raisonnemens, dont la plupart tendent à la conciliation des canons : il met auffi à la tête de chaque diftinction, cause ou queftion, des efpeces de préfaces qui annoncent en peu de mots la matiere qu'il va traiter. Au refte l'énumération des fources qu'emploie Gratien, prouve qu'il étoit un des hommes les plus favans de fon fiecle, malgré le grand nombre de fautes qu'on lui reproche avec raison, comme nous le démontrerons inceffamment. L'ouvrage de Gratien eft divifé en trois parties. La premiere renfermé cent & une diftinctions; il nomme ainfi les différentes fections de cette

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