Page images
PDF
EPUB

Prophete, quoique vivant au milieu de la Cour d'Affyrie, ne connoiffoit point la flatterie, ni fes détours, il expliqua à Balthazar le fens de ces mots; il apprit à ce Prince que le premier mot, mané, qui fignifie nombre, faifoit connoître que Dieu avoit compté les jours de fon regne; que le fecond mot, thecel, c'est-à-dire, poids, marquoit qu'ayant été pesé dans la balance, il avoit été trouvé trop léger : & que le troifieme, phares, c'eft-à-dire, divifion, marquoit que fon Royaume alloit être partagé entre les Medes & les Perfes.

Cependant, Cyrus inftruit du jour de cette fête, & de la maniere dont les Babyloniens la paffoient, avoit fait ouvrir une tranchée de chaque côté du fleuve qui traversoit la ville, tant en-deçà qu'au-delà. Au moment dont on étoit convenu, l'efpace de terre qui féparoit le fleuve de la tranchée ayant été ouvert, les eaux s'y jetterent, & l'Euphrate fut bientôt à fec. Auffi-tôt fes troupes le traverfent fans peine, trouvent les portes de la ville ouvertes par la négligence des habitans, pénetrent dans la place, fe jettent dans le Palais, font main-baffe fur tout ce qu'ils rencontrent. Dans cette confufion Balthazar eft tué. A cette époque on voit finir l'Empire Babylonien, & ainfi s'accompliffent les prédictions des Prophetes.

Dès le lendemain, les habitans fe rendirent à Cyrus. Ce Prince leur ordonna d'apporter leurs armes. Ils obéirent, fe trouvant heureux d'en être quitte à cette condition. Enfuite il parla à fes Officiers de la maniere la plus obligeante fur la conduite qu'ils avoient tenue dans l'exécution de ce coup important. Il établit les plus expérimentés & les plus fages pour Gouverneurs des Provinces qu'il avoit fubjuguées, car il étudioit avec foin le caractere des hommes, il favoit les employer chacun felon fon talent; & il étoit toujours attentif à honorer & à récompenfer le mérite. Dès lors, il ne fut occupé que de donner la meilleure forme poffible au Gouvernement de fes États. Il établit un nouvel ordre dans les armées & dans la perception des tributs. Il étoit le premier à donner l'exemple, & vouloit être comme une loi vivante; car il étoit perfuadé qu'un Prince doit avoir plus de lumieres & de vertus que fes fujets, & qu'une conduite pleine de fageffe & d'honnêteté étoit le plus fûr moyen de s'attirer leur refpect. II avoit une grande idée de la libéralité, elle lui paroiffoit une vertu vraiment digne d'un Roi: auffi regardoit-il fes richeffes comme bien moins à lui qu'à fes fujets. Il ne faifoit pas moins de cas de la bonté & de l'humanité; mais il préféroit à tout le culte des Dieux & de la Religion.

Après avoir donné ordre à tout ce qui regardoit le Gouvernement, il alla en grande pompe & avec une grande magnificence aux principaux temples de la ville, pour y offrir des facrifices aux Dieux, & leur rendre graces de fes victoires. Il prit, pour cette cérémonie, un habillement à la maniere des Medes. C'étoit une longue robe de différentes couleurs & brodée d'or & d'argent. Il voulut que fes Officiers en priffent de femblables: il favoit que le commun des hommes fe laiffe éblouir par ce qui frappe

leurs

leurs yeux, & il lui fembloit que la parure extérieure contribuoit en partie à imprimer le refpect que des fujets doivent avoir pour leur Roi. Pour lui, il étoit monté fur un char, & revêtu d'un grand manteau de pourpre. Il portoit fur fa tête une espece de thiare ceinte d'un diadême. Après qu'on eut égorgé les victimes & fatisfait aux cérémonies des facrifices. ce Prince ordonna des courfes de chevaux & de chariots, & proposa des prix aux vainqueurs. Lui-même voulut avoir part à ces jeux, & remporta le prix de la courfe. Il termina cette fête par un feftin Royal, après lequel il fit de riches préfens aux principaux Officiers, tant à ceux des Perfes que des Medes.

Se voyant maître de cette ville, Cyrus n'imita pas la vie molle de la plupart des Princes affis avant lui fur le Trône de Babylone. Il partit pour la Médie, fe rendit chez fon oncle Cyaxare, & voulut partager avec lui ce vafte Empire, quoiqu'il l'eut conquis par fa propre valeur. De concert avec lui, il le divifa en cent vingt Provinces, & il en donna le gouvernement à ceux de fes Officiers qui lui avoient rendu de plus grands fervices. Mais il établit fur eux trois Surintendans qui devoient résider à la Cour, & à qui ils devoient rendre compte. Daniel fut choifi le premier des trois, à caufe de la réputation de fa fageffe qui étoit répandue dans tout l'Orient.

Ce Prince étant revenu à Babylone, voulut connoître l'état de fes forces; &, ayant fait la revue de ses troupes, elles fe trouverent monter à cent vingt mille hommes de pied, cent vingt mille chevaux, & deux mille chariots armés de faulx, Après les avoir diftribuées en différentes garnisons, il paffa en Syrie. Cyaxare étant mort vers le même temps, Cyrus réunit ainfi à l'Empire des Perfes celui des Medes & des Babyloniens, dans lequel avoit été fondu celui des Affyriens fous Nabuchodonofor.

[ocr errors]

Ce fut dans la premiere année de fon regne, c'eft-à-dire après la mort de Cyaxare, qu'il donna ce célébre édit (a), qui permettoit aux Juifs de retourner à Jérufalem, après avoir été captifs à Babylone pendant foixantedix ans il leur fit même remettre tous les vafes du Temple, & leur donna des marques fignalées de fa bonté.

Après cela, Cyrus jouit en paix du fruit de fes travaux & de fes victoires. Son vafte Empire étoit terminé à l'Orient par l'Inde, au Nord par la mer Cafpienne, au Couchant par la mer Egée, au Midi par l'Ethiopie. Il établit fa demeure au milieu du pays de fa domination: il paffoit l'hiver à Babylone, le printems à Suze, l'été à Ecbatane, & faifoit tous les ans un voyage en Perfe. Ce Prince admirable conferva jufqu'à la fin une fanté forte & robufte. C'étoit le fruit de fa vie fage & frugale. Sentant approcher sa fin, il fit venir fes enfans & les Grands du Royaume,

(a) I. Efdr. I. 4.

Tome XV.

C

& déclara pour fon fucceffeur Cambyfe fon fils aîné. Après lui avoir donné d'excellentes leçons, ainfi qu'à fes autres enfans, ce Prince termina fa carriere à l'âge de foixante-dix ans, & fut regretté de tous les peuples.

On a vu quelle étoit la fageffe de Cyrus, fa modération, fon courage, la nobleffe de fes fentimens, la connoiffance qu'il avoit de l'art militaire, fon adreffe à s'infinuer dans les efprits; &, ce qui eft au-dessus de tous les éloges, un foin continuel à contribuer au bonheur des peuples. En effet, il difoit lui-même qu'un Prince doit fe regarder comme un pafteur; qu'il doit en avoir la vigilance & la bonté; qu'il doit veiller à ce que les peuples foient en fureté, écarter tout ce qui peut leur nuire, mettre fa joie à les voir croître & multiplier, que c'étoit là la juste image d'un bon Roi. Ce Prince favoit être grand jufques dans les plus petites chofes, mais il favoit maintenir fa grandeur par un mérite réel: bien plus, il avoit des amis, parce qu'il favoit l'être lui-même; vivant & converfant familiérement avec eux, & ne retenant alors de fa dignité que ce que les bienféances demandoient mais il exigeoit d'eux de n'avoir rien de caché pour lui, & de lui dire librement leurs penfées. Auffi étoitil le premier à les confulter, lorfqu'il s'agiffoit de quelque entreprise ou de faire quelque changement. Selon le témoignage de Cicéron (a), il ne lui échappa jamais, pendant tout le temps de fon regne, une feule parole de colere & d'emportement louange qui prouve combien ce Prince favoit être maître de lui-même. Au milieu d'une profpérité conftante, il n'oublia jamais qu'il étoit homme, & conferva toujours une crainte secrette dans la vue de ce qui pouvoit lui arriver: ainfi on ne le vit jamais s'abandonner à un folle joie, ni à une fierté infolente. Quoiqu'on ne puiffe pas l'excufer fur l'ambition, à la vue de fes conquêtes, on doit remarquer qu'elles furent le fruit des victoires remportées fur Créfus, Roi de Lydie, & contre le Roi de Babylone; que ces deux Princes poffédoient à eux deux la plus grande partie de l'Afie, & qu'ils furent les aggreffeurs. Quoi qu'il en foit, & tout balancé, le regne de Cyrus peut être regardé comme un gouvernement à-peu-près auffi bon que la foibleffe humaine & les circonftances le permettoient.

Q

Abrégé de la Cyropédie de Xénophon.

UAND je confidere (c'eft Xenophon qui parle) combien de particuliers ont péri en fe voulant élever à la fuprême puiffance; & que dans les familles mêmes il fe trouve des maîtres qui ont de la peine à fe faire obéir d'un petit nombre d'enfans & de domeftiques; & d'autre part, quand je fais réflexion à la docilité des bœufs & des chevaux envers leurs conducteurs je conclus qu'il n'y a point d'animal plus difficile à gouver

(«) Cic. Lib. 3, Ep. ad Qu. Frat.

ser que l'homme. Mais enfuite quand je me repréfente que Cyrus s'eft fait obéir par tant & tant de millions d'hommes, & qu'il a tenu fous font empire tant de villes & tant de nations différentes ; je fuis contraint de changer d'avis, & de reconnoître qu'il n'eft point impoffible, ni même fort difficile, de commander aux hommes, quand on s'y prend avec adreffe. En effet, on a vu les peuples les plus éloignés, fe venir euxmêmes offrir à Cyrus, bien que la plupart ne l'euffent jamais vu, & que d'autres fuffent affurés de ne le jamais voir. Ils vouloient être du nombre de fes fujets, à quelque prix que ce fût. Cela eft cause qu'il n'y a point de Prince héréditaire, ni de conquérant qui puiffent entrer en comparaifon avec lui pour l'étendue de la domination. Car le Roi des Scythes, bien qu'il poffede un grand pays, ne fe voit point pourtant en état de commander à fes voifins; & il fe trouveroit feulement affez heureux de demeurer paisible Seigneur de fa nation. Il en eft de même du Roi de la Thrace, du Roi de l'Illyrie, & de tous les autres Princes. Delà vient qu'il y a dans l'Europe tant d'Etats qui fe gouvernent chacun felon fes loix, & qui n'ont point de correfpondance les uns avec les autres. Cependant, bien que Cyrus foit venu en un temps où l'Afie étoit ainfi partagée, s'étant mis en campagne avec une petite armée de Perfes, il attira, premiérement à fon parti, les Medes & les Hircaniens; & fubjugua enfuite les Syriens, les Affyriens, les Arabes, les peuples de la Cappadoce, ceux de l'une & de l'autre Phrygie, les Lydiens, les Cariens, les Phéniciens les Babyloniens. 11 fe rendit maître de la Bactriane; des Indes, de la Cilicie, du pays des Saques, de la Paphlagonie, de la Megadine, & d'un nombre infini d'autres Provinces de qui les noms font connus à peine. Il fut encore Seigneur des Grecs habitans dans l'Afie & defcendant vers la mer, il conquit l'Ifle de Chypre & l'Egypte. Lui feul a gouverné tous ces peuples & s'en eft fait obéir quoiqu'ils n'entendiffent point fon langage, & qu'eux-mêmes ne s'entendiffent point entre eux. La feule crainte de fon nom, a fait ployer tout le monde fous la loi, fans que perfonne ait jamais rien ofé entreprendre contre fon autorité : ce qui eft le plus étonnant, c'eft qu'il ait pu être en même temps fi redouté & fi aimé, qu'il ait pu fi bien fe rendre maître des cœurs, que chacun s'efforçat de lui plaire, & fe crût heureux de dépendre de lui. C'est ce qui lui donna moyen d'unir fous un même Empire, un fi grand nombre de Provinces, qu'il feroit très-mal aifé d'en faire le dénombrement, à commencer de la capitale de fes Etats, foit qu'on tournât vers le Septentrion ou vers le Couchant, vers l'Orient ou vers le Midi. C'eft pourquoi, comme ce grand perfonnage m'a toujours paru digne d'admiration; j'ai pris plaifir à rechercher fa naiffance; quel a été fon naturel; de quelle façon il a été élevé, pour connoître par quels moyens il a pu devenir un fi excellent Prince : & je me hafarderai maintenant de rappeller ce que j'ai pu en apprendre.

Le pere de Cyrus étoit Roi de Perfe, & s'appelloit Cambyfe. Il étoit de la maifon des Perféides, qui tire fon origine de Perfée. Sa mere, nommée Mandane, étoit fille d'Aftyage, Roi des Medes; c'eft l'opinion commune de cette nation, que Cyrus étoit fort beau de corps, d'un efprit fort doux & fort docile; & tellement amoureux de l'honneur, qu'il ne s'eft jamais effrayé d'aucun péril ni rebuté d'aucun travail, quand il s'agiffoit d'acquérir de la gloire. Il fut élevé, dans fa jeuneffe, fuivant les coutumes des Perfes, lefquelles femblent principalement s'être propofé l'utilité publique. Les autres Républiques laiffent aux particuliers la libre difpofition de leurs enfans, & permettent à chacun de vivre comme bon lui femble. Elles fe contentent fimplement de défendre de dérober, d'ufurper le bien d'autrui, de forcer les maisons, de frapper injuftement, de débaucher les femmes mariées, de défobéir aux Magiftrats, & elles ordonnent des peines pour ceux qui violent ces défenses; mais les loix des Perfes ont cela d'excellent, qu'elles vont au-devant du mal, & qu'elles empêchent même que les particuliers ne deviennent méchans. Elles ont donc ftatué, (& ce réglement a lieu pour toutes les douze tribus qui compofent la nation,) que les enfans dont les peres auroient un bien fuffifant pour donner à leurs fils une éducation civile, ne pourroient afpirer aux grades militaires & aux divers poftes de l'Etat, qu'après avoir été élevés en commun fous les yeux du Miniftere, dans une grande fobriété, dans l'étude de la justice, & dans celle de la guerre; dans l'exercice de toutes les vertus fociales & patriotiques, dans une grande horreur de tous les vices, principalement de l'ingratitude, que les loix de Perfe puniffent comme un crime, & dans une noble émulation pour la gloire. Ces éleves de la patrie paffent ainfi fucceffivement par quatre fortes de claffes, celle des enfans & celle des adolefcens ; celle des hommes faits, & celle des vieillards. Ceux de la feconde claffe fe tiennent durant dix années toutes les nuits, dans leurs corpsde-garde, tant pour la fureté de la ville, que pour s'accoutumer à la fatigue. Le jour ils fe préfentent à leurs Gouverneurs pour recevoir leurs ordres; & s'il eft néceffaire, ils fe tiennent tous aux quartiers. Quand le Roi fort pour aller à la chaffe, ce qu'il fait plufieurs fois le mois, il prend avec lui la moitié de ces jeunes hommes; & il faut que chacun d'eux porte le carquois plein de fleches, l'épée au côté, ou la hache, un bouclier & deux javelots, l'un pour lancer, l'autre pour s'en fervir à la main. Le Roi eft à leur tête, comme s'il marchoit contre l'ennemi, & prend garde que chacun faffe son devoir, parce que la chasse est la véritable image de la guerre.

Cyrus fut élevé jufqu'à fa douzieme année ou environ, felon ces coutumes, dans cette excellente école; & il ne trouvoit point fon égal entre tous les compagnons, foit pour la facilité d'apprendre, foit pour le courage, ou pour l'adresse à exécuter tout ce qu'il entreprenoit. Quand il fut parvenu à l'âge que nous avons dit, Aftyage, fon grand-pere maternel,

« PreviousContinue »