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fit promener en triomphe chez tous les Princes fes Tributaires, ordonnant qu'on le fervit fplendidement jufqu'à ce qu'il revînt fubir le fort qu'on lui préparoit. Le moment fatal étoit enfin arrivé. Le Capitaine Smith étoit déjà couché devant le foyer du Roi Sauvage, la tête placée fur une large pierre pour recevoir le coup de la mort, lorfque Pocahunta, la plus jeune, la plus chérie des filles de Powhatan, fe jeta les bras étendus fur le corps du Capitaine Smith, & déclara que fi la fentence cruelle étoit exécutée, elle recevroit les premiers coups dont on voudroit le frapper. Tous les Sauvages, y compris les defpotes & les tyrans, font plus fenfibles aux pleurs d'un enfant qu'à la voix de l'humanité : Powhatan ne put réfifter aux larmes, aux prières de fa fille. Le Capitaine Smith obtint donc la vie, à condition qu'il payeroit fa rançon; mais comment pouvoit-il le procurer la quantité de moufquets, de poudre & d'uftenfiles de fer qu'on lui demandoit? On ne vouloit pas le laiffer retourner à JamesTown; on ne vouloit pas non plus que les Anglois fuffent où il étoit, de crainte qu'ils ne le redeman-. daffent les armes à la main. Le Capitaine Smith, qui n'avoit pas moins de tête que de courage, dit au Roi que s'il vouloit feulement ordonner à un de fes fujets de porter à James-Town une petite planche qu'il lui remettroit, ti feroit trouver fous un arbre à jour & à heure nommés tout ce qu'on exigeoit pour fa rançon Powhatan y confentit fans ajouter foi à ces promeffes, & croyant que c'étoit un artifice du Capitaine pour prolonger fa vie ; mais celui-ci avoit gravé fur la planche quelques lignes qui fuffifoient pour rendre compte de fa fituation. Le messager revint, on envoya au lieu indiqué, & on fut bien furpris d'y trouver tout ce qu'on avoit demandé. Powhatan ne pouvoit concevoir qu'il y eût un moyen de tranfmettre ainfi fa penfée, & le Capitaine Smith

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fut déformais regardé comme un grand Magicien, à qui on ne pouvait trop témoigner de refpect I laila les Sauvages dans cette opinion, & fe hâta de les quitter. Mais deux ou trois ans après, quelques dif-" férends étant encore furvenus entre-eux & les An- ́ glois, Powhatan, qui ne les croyoit p'us forci.rs, mais qui ne les en redoutoit pas moms, trama un affreux complot pour le débarraffer d'eux. Il devoir les attaquer au fein de la paix, & les égorger tous. La nuit même que ce complot devoit s'exécuter Locahunta profita de l'obfcurité & d'un orage af· freux qui retenoit les Sauvages dans leurs cabañes, elle s'échappa de la maison de fon père, avertit les Anglois de fe tenir fur leurs gardes, mais les conjura d'épargner fa famille, de paroître ignorer ce qu'elle leur avoit appris, & de terminer toute querelle par un nouvel accommodement. Il feroit trop. log de raconter tous les fervices que cet Ange de paix rendit aux deux Nations. Je dirai feulement les Anglois, je ne fais par quel motif, mais affuré ment contre toute bonne-foi & contre toute équité, s'avisèrent de l'enlever à fon père. Elle pleura beaucoup & long-temps; mais ce fut une confolation pour elle de retrouver le Capitaine Smith, qui lui tine lieu de père: on la traita avec beaucoup de re pect, & en la maria à un Colon appelé Roff, qui bientôt après l'amena en Angleterre. C'étoit fous le règne de Jacques Premier. On prétend que ce Monarque' pédant & ridicule en tous points, étoit fi infatuë des prérogatives de la Royauté, qu'il trouva mauvais qu'un de fes Sujets eût ofé époufer la fille d'un Roi Sauvage. Il ne fera peut- être pas difficile de décider. fi dans cette occafion c'étoit le Roi Sauvage qui étoit. honoré de fe trouver placé fur une même ligne avec Je Prince Européen, cù le Monarque Anglois, qui, par fon orguei! & les préjugés le mettoit au niveau d'un Chef de Sauvage. Quoi qu'il en soit, le Capi

que

taine Smith, qui étoit retourné à Londres avant Barrivée de Pocahunta, fut empreffé de la revoir, mais n'o'a pas la traiter avec la même familiarité qu'à James Town. Dès qu'elle l'avoit apperçu, elle s'étoit jetée dans les bras en l'appelant fon père; mais voyant qu'il ne répondoit pas affez à fes careffés, & qu'il ne l'appeloit pas fa fille, elle détourna la tête, pleura anèrement, & fut long-temps fans qu'on put obtenir d'elle une feule parole. Le Capitaine Smith lui demanda plufieurs fois ce qui pouvoit l'affliger. Quoi, lui dit elle enfin, n'ai je pas fauvé tes jours en Amérique? Lorfque j'ai été arrachée du fein de ma famille & conduite parmi tesi frères, ne m'as tu pas promis de me tenir leu de père? Ne m'as tu pas dit que fi j'allois dans ton pays tu ferois mon père & que je ferois ta file? Tu m'as, trompé, & je me trouve ici étrangère & orpheline. On conçoit aifément qu'il ne fu: pas difficile au Capitaine de faire fa paix avec cette charmante créa türe, qu'il aimoit tendrement Il la préfenta ausd perfonnes les plus confidérables des deux fexes; mais it n'ofa la mener à la Cour, dont elle reçut pourtant! des bienfaits. Enfin, après avoir paffé plufieurs an nées en Angleterre, où elle donna des preuves cont tinuelles de vertu, de- piété & d'attachement à fon mari, elle mourut comme elle étoit prête à s'embarger pour retourner en Amétique. Elle n'avoit e qu'un fils; ce fils s'eft marié, & n'a laiffé que des filles, celles-là que d'autres filles ; & c'eft anfi, par une defcendance féminine, que le fang de l'aimable Pocabunta coule maintenant dans les veines de la eune & aimable Mme Bowling.

SPECTACLE S.

CONCERT SPIRITUEL.

LA Symphonie de M. Candeille, qui a

commencé le Concert du Jeudi 10 Juin, a. paru d'un bon effet; on ne peut que l'inviter à cultiver ce genre de compofition. M. l'Abbé le Sueur, nouvellement nommé Maître de Mulique des Saints Innocens, a fait entendre un Motet qui juftifie le choix qu'on a fait de fes talens: un chant aimable, une harmonie pure, un ftyle clair & concis, font les qualités qu'on y a diftinguées, chacun des morceaux a été fort applaudi. Ce Motet a été très bien exécuté par M. Rouffeau, dont les progrès fe font de plus en plus admirer; par M. Chéron, dont la fuperbe voix fait toujours un nouveau plaifir, & par M. Murgeon, qui gagne chaque jour fur l'opinion du Public à mefure qu'il fe fait connoître. M. Zandonati a exécuté un Concerto de Violoncelle. La manière dont il tient fon archet nuit extrêmement à la beauté, à la netteté du fon qu'il tire de cet inftrument; mais on a pu diftinguer qu'il avoit beaucoup de précision & de jufteffe. Les autres morceaux que nous ne détaillons pas, parce qu'ils n'offrent aucune nouveauté, ont cependant été applau

dis avec plus de vivacité qu'à l'ordinaire; mais nous ne devons pas oublier une charmante Symphonie concertante de M. Davaux, rendue avec la plus grande perfection par M. de Vienne pour la Flûte, & par MM. Guérillor & Gervais pour le Violon.. L'Ouvrage & l'exécution ont eu le fuccès le plus brillant & le mieux mérité.

COMÉDIE ITALIENNE.

LE Vendredis de ce mois, on a donné, pour la première fois, le Temple de l'Hymen, Comedie Epifodique en trois Actes & en vers libres, par M. Desforges.

Acte I. Le Théâtre repréfente une avenue, qui conduit au Temple de l'Hymen. L'A.. mour & Momus ouvrent la Scène. Celui ci porte un habit taillé en découpures, dans la manière des Arlequins, Jupiter l'a envoyé près de l'Hymen, dans le deffein de l'égayer; mais jufqu'ici fes efforts ont été inutiles, & le Dieu, toujours trifte & chagrin, toujours plus affecté des maux qu'on lui reproche, s'eft propofé d'interdite aux humains, l'approche de fon Temple, Momus engage l'Amour à guérir l'Hymen de fa mélancolie, en fe réuniffant à lui. Le fonds du Théâtre s'ou vre. L'Hymen fort de fon Temple; il s'avance lentement, les yeux tournés vers la terre, & fans appercevoir Momus & l'Amour qui l'écoutent. Il parle tout haut du projet qu'il

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