néglige quelquefois les moyens d'illufion les plus fimples & les plus faciles; par exem.. ple, page 32 & fuivantes du Tome Ier Nicias quitte la Scène pour aller chercher du vin; il revient, & en rapporte fans que l'Ac-. teur qui eft refté, ait dit un mot. Il eft cláir que, ou ce dernier a eu le temps de parler, ou l'autre n'a pas eu le temps d'aller chercher du vin. Cependant, pour faire dif paroître cette négligence, il n'en eût coûté à l'Auteur qu'un monologue. Mais ce qui frappe bien davantage, c'est de voir très fouvent les Acteurs en pour-, parler avec les Spectateurs. On est tout étonné d'entendre le choeur, vers la fin du premier Acte des Nuées, dire au Public: Spectateurs éclairés, que ce grand jour raffemble, &c; Et plus loin: Nous voulons vous apprendre, honorable assemblée, &c. Molière n'a fait cette faute, ou ne s'eft donné cette liberté qu'une fois, dans fon Avare, où Harpagon demande au Parterre des nouvelles de fon voleur. Ces irrégula rités, qui fembleroient ne devoir appartenir qu'à l'enfance de l'art, détruisent toute illufion. Une action dramatique eft cenfée n'avoir aucun témoin; ce qui fait fentir le ridi cule (G commun encore aujourd'hui) des Acteurs qui adreffent au Public leurs à parte, c'eft à dire, ce qui eft censé n'être entendu de perfonne, D'après ces réflexions, que nous pour fions étendre davantage, ayons l'orgueil & la juftice de convenir que c'eft la France, que c'eft Molière qui a perfectionné l'Art de la Comédie; que la Comédie par excellence celle de caractère, nous appartient; mais convenons auffi que la belle Nature a pré fidé aux Ouvrages de l'antiquité; que les · Grecs font des modèles auxquels il faut tou jours revenir; & que c'eft d'eux mêmes qu'il nous a fallu apprendre à les furpaffer. M. Poinnet de Sivry a joint au Théâtre d'Ariftophane des Fragmens de Ménandre & de Philémon. Quoiqu'il nous foit resté trop peu de ces deux Poëtes, pour pouvoir les juger comme Auteurs Comiques, ces Frag. mens font de beaux & précienx débris dignes, d'être confervés. Ils donnent un nouveau prix à cette Edition, qui doit occuper une place honorable dans nos Bibliothèques, & ajouter à nos richelles Dramatiques. M VARIÉTÉS. ONSIEUR, LE Public a paru voir avec intérêt le Portrait du Général Washington tracé par un des Chefs qui ont commandé nos Troupes dans le Nouveau Monde. Voici un morceau de la même main', extrait du même Ouvrage, mais d'un autre genre. On croit lire Homère ou Plutarque quand on confidère les mœurs & le caractère de M. Nelfon, qu'on va connoître que connoître en lifant le morceau fuivant. C'eft la même fimplicité de mœurs & la même élévation; c'est une de ces âmes qui ne peuvent naître & le former dans les Sociétés libres & naiffantes. A côté de ces vertus fociales on verra auffi fans doute avec plaifir le caractère fauvage, mais fenfible & touchant de la jeune Pocahunta. Pecahunta & Nelfon honorent infiniment la Société & la Nature; & il eft doux de connoître les vertus quelles peuvent nous donner. On a dit tant de mal & de la Na-, ture & de la Société ! J'ai l'honneur d'être, Monfieur, GARAT. EXTRAIT du Journal d'un Voyage fait de Williamsburg en Virginie, & Petersburg, &c. Après cette petite digreffion, pour laquelle on aura fans doute quelque indulgence, il eft difficile de trouver une tranfition qui me conduife à parler d'un vieux Magiftrat, dont les cheveux blancs, la taille élevée & la figure noble, commandent le respect & la vénération; le Secrétaire Nelfon, dont il s'agit maintenant, doit ce titre à la place qu'il occupoit fous le Gouvernement Anglois, en Virginie. Le Secrétaire, chargé de conferver les registres de tous les actes publics, étoit membre néceffaire du Confeil dont le Gouverneur étoit le Chef. M. Nelfon a occupé cette place pendant 30 ans. Il a vû l'aurore du beau jour qui commençoit à fe lever fur fon pays; il a vû fe former les orages qui l'ont troublé; il n'a cherché ni à les raffembler ni à les conjurer: trop avancé en âge pour defirer une révolution, trop prudent pour l'arrêter fi elle étoit nécessaire, & trop fidèle à fes Concitoyens pour féparer fes intérêts des leurs, il a choifi pour le retirer des affaires l'époque même de leur changement. Ain No. 25, 19 Juin 1784..' F defcendant du Théâtre lorfque de nouveaux Drames demandoient de nouveaux Acteurs, il a pris ta place parmi les Spectateurs, content de faire des vaux pour le fuccès de la Pièce, & d'appiau ir à ceux qui joueroient bien leur rôle. Mais dans la dernière campagne le hafard l'a remis fur la scène, &lui a denné une funcfte célébrité. Il habiteit à Yorck, cù il s'étoit fait bâtir ene très belle maison. Le goût, & même le luxe Européen n'en avoient pas été exclus; on admiroit fur tout une cheminée & quelques bas reliefs, de très-beaux marbres & trèsbien travaillés, lorfque la deftinée conduifit Lord Cornwalis dans cette ville pour le défarmer, ainfi que fes Troupes, jusques là victorieufes. Le Secré taire Nellon ne crut pas devoir fuir les Anglois, à qui il ne pouvoit être odieux, ni infpirer aucun ombrage. Il fut bien traité par le Général, qui choifit fa maifon pour y établir fon logement; mais cette maifon, placée fur une hauteur dans la fituation de la ville la plus agréable, étoit aufli placée près des fortifications les plus importantes, c'étoit le premier objet qui frappât les regards lorfqu'on appro choit d'Yorck. Bientôt au lieu de l'attention des Voyageurs, elle attira celle des Canoniers & des Bombardiers; bientôt elle fut prefqu'entièrement détruite. M. Nelfon l'occupoit encore au moment où nos batteries effayant leurs premiers coups, tuèrent un de ses Nègres à très-peu de diftance de? lui. Lord Cornwalis lui même fut obligé de chercher un autre alyle; mais quel asyle auroit pu convenir à un vieillard que la goutte privoit pour lors de l'ufage de fes jambes? Quel afyle fur-tout auroit pu le défendre contre les angoiffes horribles qu'éprouvoit un père affiégé par fes propres enfans; car il en avoit deux dans l'armée Américaine; de forte que chaque boulet qui étoit tiré pouvoit porter la mort dans fon fein, foit qu'il partît de la ville, foit qu'il vint de la tranchée. J'ai été témoin de · l'anxiété cruelle d'un de ces malheureux jeunes gens, lorfqu'après avoir envoyé un Flag* pour redemander fon père, il tenoit les yeux fixés fur la porte de la ville par laquelle ce Flag devoit fortir, & fembloit attendre la propre fentence de la réponse qu'il recevroit. Lord Cornwalis n'eut pas l'inhumapité de se refufer à une demande fi jufte. Je ne puis me rappeler fans émotion d'avoir vu ce vieillard, au moment où il venoit de defcendre chez le Gé néral Washington; il étoit affis, parce que fon attaque de goutte continuoit encore; & tandis que ́› nous étions debou: autour de lui, il nous racontoit, avec un vilage ferein, quel avoit été l'effet de nos batteries, dont fa maifon avoit éprouvé les premiers coups. La tranquillité qui a fuccédé à ces temps malheureux, en lui donnant le loifr de compter fes pertes, ne lui en a pas rendu le fouvenir plus amer. Il vit heureux dans une de fes plantations, où il ne lui faut pas fix heures d'avertiffement pour raffembler une trentaine de fes enfans ou petits enfans, neveux ou petits neveux, qui font au nombre de foixante-dix, tous habitans la Virginie. Le rapide accroiffement de fa propre famille justifie ce qu'il me difoit de la population générale. Les emplois qu'il a occupés toute la vie l'ont mis à portée d'en avoir des notions exactes. En 1742, les perfounes tailiables de LÉtat de Virginie, c'eft-à-dire, les mâles blancs au deffus de 16 ans, & les mâles & femelles noires au-deffus du même âge, étoient au nombre *Flag fignifie proprement un Pavillon; a Flag of Bruce, eit un pavillon de trêve. Envoyer un Flag, c'eft envoyer à l'ennemi un pavillon neutre ou Parlementaire. Cette expreffion eft paffée du fervice de mer celui de terre. Tout Officier qui est chargé d'une commiffion pour 'ennemi reçoit métaphysiquement le nom de Flag. |