Page images
PDF
EPUB

CARIE.

Et depuis quand ?

LE GRAND PRÊT R E.

Depuis que tout le monde,

Grâce à votre Plutus, en richesses abonde.

Autrefois un Marchand qui rentroit dans le port,
Offroit des dons aux Dieux protecteurs de son fort;
Cet autre, appréhendant les yeux de la justice,
A Jupiter Sauveur faifoit un facrifice;

On me fêtoit auffi, &c.

par mettre fur

On fait bien pis; on finit
l'autel Plutus à la place de Jupiter :

Et plaçons fur l'autel le Dieu de la richesse.
Termine cette Pièce ingénienfe.

Les Fêtes de Cérès font prefque d'un bout à l'autre une fatyre contre Euripide, à qui il paroît qu'Ariftophane en vouloit beaucoup. Les femmes s'affemblent pour délibé rer fur le moyen de punir Euripide du mal qu'il dit fans ceffe de leur fexe dans fes Tragédies. Son beau père consent à s'habiller en femme, pour s'introduire parmi elles, & plaider la caufe de l'accufé. Il eft reconnu; mais après plufieurs incidens, Euripide luimême le préfente, & fait fa paix avec fes juges, en les menaçant de raconter leur conduite à leurs maris au retour de l'armée. Cette Pièce n'eft ni bien bonne ni décente.

Les Karniens, qui réuffirent beaucoup,

furent donnés par Ariftophane, pour engager les Athéniens à faire la paix. Les Athé niens couronnèrent le Poëte, & firent la guerre.

Euripide revient encore dans cette Comédie, & fournit même une Scène fort plaifante.

La Paix eft une autre Comédie qui a le même but, avec des moyens différens. Ariftophane avoit fait encore une autre Pièce du même fujet, & fous le même titre, qui ne nous eft point parvenue. Dans celle qui nous eft restée, Trygée monte fur un escarbot pour arriver au ciel; il y réuffit, ainsi qu'à délivrer la Paix, que la Guerre avoit mise en prifon. Après l'avoir affranchie, Trygée époufe la Paix, & la préfente aux Athéniens, qui lui font un doux accueil.

Ce n'eft pas fans intérêt qu'on rencontre dans cette Collection la Comédie des Guêpes, qui a fourni celle des Plaideurs. M. de Sivry n'a traduit que ce qu'a imité l'immortel Racine, c'est-à-dire, les trois premiers Actes; les deux derniers font inutiles à l'action, & fort étrangers à nos mours. L'Auteur des Plaideurs a fu ajouter à fon original une foule de traits charmans, comme il y en a qui lui ont échappé, ou qui n'ont pu entrer dans fon plan. Il eft plaifant de voir Philocléon, le Dandin d'Ariftophane, exhaler en hyperboles le chagrin qu'il a de fe voir enfermé par fon fils, qui l'empêche d'aller juger. Après mille

[ocr errors]

fouhaits extravagans adreffés à Jupiter, il ajoute: " ou tout au moins métamorphofe» moi en petite pierre à fuffrages, afin que quelque Juge fe ferve de moi pour con

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

"

damner quelqu'un en jugement. » Déterminé à fe fauver par la fenêtre, il dit à ceux qui l'attendent en bas: « s'il m'arri» voit de me rompre le cou, ne poulfez, je vous prie, aucun gémiffement, & daignez, fans bruit, m'enterrer fous le » banc où j'ai coutume de jager. Plus loin, après avoir eu l'air & même le defar d'entendre raifon & d'écouter fon fils, qui veut le guérir de fa manie, il s'écrie avec enthoufiafme: «emporte, emporte toutes » tes promeffes; je ne refpire que le Bar reau. Faites-moi, mes amis, entendre le cri de l'Appariteur, faites-moi voir la corbeille aux fuffrages. Quoi ! voudriezvous que je donnaffe mon fuffrage le dernier? O mon âme, quitte mon corps, & vas juger fans lui. Simple ombre, tu échapperas à mes geoliers! &, par Hercules! tu ne fouffriras pas que mon nom foit pointé en qualité d'abfent fur le tableau des Juges. Non, non, il ne fera pas dit que Cléon vole la République, » & que je ne l'aurai pas décrété. »

"

[ocr errors]

Telles font les Pièces que renferment ces quatre volumes, les feules que nous ayons d'Ariftophane, qui en avoit fait plus de cinquante. Ce Poëte joignoit les grâces du ftyle aux charmes d'une imagination vive &

brillante. Sa plume répand à grands flots dans fes vers ce qu'on appelle le fel attique ; & l'épigramme & le farcafme y jailliffent de toutes parts. Rien ne peut épuifer fa verve, encore moins l'intimider. Ce génie Républicain frappe, en les nommant, fur les tyrans de fon pays; il ne pardonne pas même à fes Dieux. Sans défendre le rire à Thalie, il lui a mis dans. les mains le fouer fanglant de la fatyre.

Celui de nos Auteurs Comiques, qui, par le farcafme, fe rapproche le plus d'Ariftophane, c'est l'Auteur de Crifpin Rival & de Turcaret; le Sage a fuivi parmi nous ce qu'on peut appeler à bon droit la Comédie Satyrique.

Une remarque affez fingulière, c'eft que dans les onze Pièces d'Ariftophane, il n'y en a pas une qui ait une intrigue amoureufe; au lieu qu'on reproche aux nôtres de finir. toutes par le mariage; différence qui tient bien moins au goût qu'aux mœurs. De tous les Ouvrages Littéraires, le Poëme Dramatique eft le plus fubordonné à l'influence des mœurs & du Gouvernement: delà un principe bien fimple, c'eft que jamais le Théâtre. d'une Nation ne peut reffembler parfaitement à celui d'une autre; même avec les mêmes principes de goût, les formes doivent varier.

Voilà qui explique l'extrême liberté avec laquelle écrivoit Ariftophane; c'eft qu'il écrivoit dans un pays Républicain, &, comme nous l'avons déjà dit, dans un pays

[ocr errors]

où la Mufe de la Comédie exerçoit, pour ainfi dire une cenfure publique ; elle s'immifçoit dans les affaires du Gouvernement; auffi tous les fujets des Comédies d'Ariftophane font pris fur les lieux même, & font même toujours analogues aux affaires du moment.

Voilà qui explique encore pourquoi dans les Comédies d'Ariftophane, on trouve fi fouvent le langage figuré. Qu'on y trouve de la Mythologie, rien de plus naturel, Athènes étoit le pays de la Mythologie; mais on y voit fouvent du merveilleux. C'eft qu'il écrivoit chez un peuple dont les organes étoient fi mobiles, fi fenfibles, & naturellement ami de la fiction. Les Grecs mettoient fouvent l'imagination à la place de la raison; ou, fi l'on aime mieux, la raifon chez eux n'étoit jamais dépouillée des grâces de l'ima gination. Peut-être avons nous donné dans un excès contraire; peut-être notre raison eft elle fouvent froide, sèche & trop févère.

Cependant, fi l'on peut, fans impiété, difcuter le nérite des anciens, il fera permis de dire, & il faut l'ofer, que notre Théâtre l'emporte fur celui des Grecs pour la perfection de l'art. On s'apperçoit, en lifant Ariftophane, que la réflexion n'avoit encore développé tous les fecrets de l'il Jufion dramatique. Les entrées de fes perfonnages font peu motivées; c'eft tel ou tel choeur d'une Comédie, fouvent très étranger à l'action, qui en détermine le titre ; il

pas

« PreviousContinue »