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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

&

THEATRE d'Ariftophane, traduit en François, partie en vers, partie en profe, avec les Fragmens de Ménandre & de Philémon, par M. Poinfinet de Sivry, Penfionnaire de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans, Membre de la Société Royale des Sciences & Belles-Lettres de Lorraine. A Paris, chez Didot le jeune, Imprimeur Libraire, Quai des Auguftins; Barrois l'aîné, Mérigot le jeune, Onfroy, Barrois jeune, Libraires, Quai des Auguftins, & Durand, rue Galande.

ON n'avoit pas encore en François de Traduction complette du Théâtre d'Ariftophane. M. Poinfinet de Sivry étoit appelé à cette entreprise par une profonde connoiffance de la langue Grecque, & par plufieurs fuccès dans ce genre de Littérature. Il a fait plufieurs découvertes qui éclairciffent des détails jusqu'à préfent inintelligibles; il a redreffé plufieurs fauffes interprétations; & quand il s'agit d'Auteurs auffi anciens & d'un auffi grand mérite qu'Ariftophane, rectifier une erreur, c'eft fouvent rétablir une foule de beautés.

Il faut avouer que peut-être aucun Auteur Dramatique n'étoit plus digne qu'Ariftophane

de trouver un Interprète qui sût connoître, apprécier & faire fentir fes beautés. Il fuffiroit de jeter un coup d'œil rapide fur les Pièces que renferment ces quatre Volumes, pour faire l'éloge tout à-la-fois du Poëte & du Traducteur. Ce qui frappe furtout dans la lecture de ce Théâtre, c'est le fel de plaifanterie, la verve fatyrique, & une liberté qui n'eft permife & ne peut convenir qu'à un génie Républicain. La Comedie dans Athènes étoit une efpèce de cenfure pu blique: quelle arme entre les mains d'un Poëte auffi mordant, auffi hardi qu'Ariftophane, & dans une ville où le moindre Citoyen avoit le droit de demander compte de fa conduite à l'homme puiffant & honoré !

Un exemple bien mémorable de cette liberté, de ce cynisme utile à la patrie, mais dangereux, même pour la vertu, c'est la fameufe Comédie des Nuées. On fait que le divin Socrate, le plus fage des hommes, èft le ridicule Héros de cette Pièce ; & qu'Ariftophane eut la hardieffe de vouer à la rifée publique, un Sage qui a mérité le respect de fes contemporains, & l'admiration des fiècles. M. de Sivry s'efforce de juftifier ce procédé, & n'y voit qu'un acte de courage & de patriotifme. Il regarde ce Philofophe comme convaincu d'une doctrine dangereufe & d'un fanatisme puniffable; mais même en adhérant à cette inculpation, fi M. Poinfinet de Sivry n'eft

pas accufé d'injuftice envers Socrate, on lui reprochera toujours un excès d'indulgence envers Ariftophane; car en fuppofant que ce dernier ait fait l'office d'un citoyen zelé & courageux en attaquant la doctrine de Socrate, n'a t'il pas paffé les bornes lorsqu'il lui a fait dire de ce Philofophe:

A l'aide d'un long croc (fans qu'on l'ait pu furprendre) Du mur de la Paleftre il détache un manteau.

Donner à Socrate le talent de décrocher des c'eft pouffer un peu loin le zèle & le patriotifme.

manteaux

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Au refte, cette Comédie eut le fuccès qu'elle devoit avoir chez un peuple auffi malin & auffi railleur que celui d'Athènes. On y trouve des traits bien étrangers à nos mœurs & même à notre goût dramatique: Socrate qui s'enlève dans des nuées; un chœur de Nuées qu'on entend fur la Scène; tout cela fur nos Théâtres nous paroîtroit au moins bien étrange; mais il y a nombre de traits malins & plaifans, tels que celui ci, qu'on a imité depuis: As tu de la mémoire, demande Socrate à un de fes Élèves; & l'Élève lui répond :

Oui, de par Proferpine!

Si quelqu'un m'a fait un billet,

Je m'en fouviens très-bien; mais le voudrez-vous croire ?

Cette excellente & sûre-& rapide mémoire," Lorfque c'est moi qui dois; m'abandonne tout net.

On voir que cette Comédie eft traduite en vers; elle le meritoit, ne fûr ce que par fa célébrité. Nous n'omettrons pas ici un détail qui prouve la fagacité du Traducteur: dans un endroit le chœur eft pieux; il eft impie dans un autre. M. Poinfinet de Sivry explique cette contradiction en diftinguant deux fortes de choeurs; l'ordinaire, & celui que le Poëte adaptoit au fujet. Cette 'explication eft claire & vraifemblable.

dans

M. de Sivry a mérité le même éloge pour la Comédie des Grenouilles laquelle l'Auteur fait difcuter lequel doit avoir la préférence, comme Poëte Tra gique, d'Efchyle où d'Euripide. La queftion ne fe décide pas à l'avantage de ce dernier, qui, là, comme dans d'autres Pièces d'Ariftophane, eft traité de la manière la plus injurieufe. Ces deux Poëtes y font fuppofés morts; mais le Traducteur croit, avec raifon, contre l'opinion reçue jufqu'ici, qu'Eu ripide étoit encore vivant; & il prouve

que le fel de cette fi pofition eft de faire » entendre qu'Euripide n'a plus aucun talent pour la Scène; que fa verve eft étein» te; qu'en un mot, il eft mort de fon

» vivant. »

Le titre de cette Pièce n'eft tiré que d'un incident qui eft vers la fin du premier Acte, & dont il n'eft plus queftion dans le refte de l'Ouvrage; d'un concert de grenouilles. dont Bacchus eft régalé en paffant la barque de Caron. Cela prouve qu'Ariftophane n'y

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regardoit pas de bien près pour intituler fes Comédies.

Il y a plus de jufteffe dans le titre des Chevaliers. (Les Chevaliers formoient à Athènes la feconde claffe de l'État.) Le perfonnage joué dans cette Comédie, n'étoit rien moins que Cléon, Général de l'Armée, & Tréforier de l'Épargne, jouiffant alors de tout fon crédit, malgré la haine des Chevaliers, qui n'avoient pas vû fans chagrin le fils d'un Corroyeur s'élever par la brigue aux premiers grades de l'Etat. Aucun Comédien n'ayant été affez hardi pour jouer le rôle de Cléon, ni aucun Ouvrier pour faire fon mafque, le Poëte le fut affez pour s'en charger lui-même, en fe barbouillant le vifage de lie.

Ariftophane perfonnifie le peuple Athénien, & en fait un vieillard imbécille, & dupé par fon efclave de confiance, qui eft Cléon, & qu'il appelle Paphlagon, c'est-àdire, efclave correcteur. Deux autres efclaves, Nicias & Démosthène, font foumis à celui-ci, qui abufe de fon pouvoir; ils cherchent à le perdre auprès du maître, & 'ils y réuffiffent. On ne fera pas fâché de voir ici dans quels termes on parle de Cléon, ce perfonnage fi important. L'Auteur fuppofe un Oracle qu'il fait tomber dans les mains de Démosthène, qui le lit ainfi:

Nota. Les Acteurs en Scène avoient un masque reffemblant à la perfonae qu'ils vouloient jouer.

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