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Car étant né poëte au suprême degré,
Lucile va d'abord le trouver à son gré.
Monsieur de Francaleu déja l'aime et l'estime.
Du père de Dorante il n'est pas moins l'intime :
Et je porte un billet, à ce père adressé
Qu'après s'être battu, sur l'heure, il a tracé.
Sachant des deux vieillards la mésintelligence,
Il mande à celui-ci, selon toute apparence,
De rappeler un fils, qui fait ici l'amour,
Et dont l'entêtement croîtroit de jour en jour.
Il saura, là-dessus, le rendre impitoyable.
S'il aime enfin Lucile, ainsi qu'il est croyable,
Prends de mes almanachs, et tiens pour assuré,
Que le bonheur de l'autre est fort aventuré.

LISETTE.

Mais cet autre, avec qui je suis de connivence,
A pris, depuis un mois, terriblement l'avance.
J'ai vu pâlir Lucile, au récit du combat;
D'une tendre frayeur le cœur encor lui bat.
Lucile s'est émue : et c'est pour lui, te dis-je.
Il a visiblement tout l'honneur du prodige.
Depuis même, ils se sont entretenus long-temps;
Et s'étoient séparés, l'un de l'autre contents;
Lorsque, dans cet esprit soupçonneux à la rage,
Ma présence équivoque a ramené l'orage;
Mais le calme ne tient qu'à l'éclaircissement,
Et va couler ton maître à fond dans le moment.
MONDOR.

Je réponds de la barque, en dépit de Neptune.
Songe donc qu'elle porte un poëte et sa fortune!
Telle gloire le peut couronner aujourd'hui,
Qui mettroit père et fille à genoux devant lui.

Théâtre. Com. en vers. 10.

8

De ce coup décisif l'instant fatal approche.

L'amour m'arrache un temps, que l'honneur me reproche. devant nous tout s'abaisse en ce jour, Et que tous nos rivaux tremblent à mon retour!

Adieu : que

SCÈNE II.

LISETTE, seule.

TELLE gloire le peut couronner... J'ai beau dire,
Dorante pourroit bien avoir ici du pire.

Faisons la guerre à l'œil ; et mettons-nous au fait
De ce coup, qui doit faire un si terrible effet.

SCÈNE III.

M. FRANCALEU, DAMIS, LISETTE.

M. FRANCALEU, à Lisette, qu'il ne voit que par derrière,

LUCILE, redoublez de fierté pour Dorante.

Vous n'êtes pas encore assez indifférente;

Vous souffrez qu'il vous parle, et je défends cela ;
Tout net! entendez-vous, ma fille?

LISETTE, se retournant, et faisant la révérence.

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Lui ressemblé-je assez? Jouerai-je bien son rôle ?
L'œil du père s'y trompe; et je conclus d'ici,
Que bien d'autres, tantôt, s'y tromperont aussi.

M. FRANCALEU, à Damis.

Admirez en effet comme elle lui ressemble!

LISETTE.

Quand commencera-t-on ?

M. FRANCALEU.

Tout à l'heure : on s'assemble.

Cependant, va chercher ta maîtresse, et l'instruis
Des dispositions où tu vois que je suis.

Si j'eus une raison, maintenant j'en ai trente,

Qui doivent à jamais disgracier Dorante.

(Elle s'en va.)

SCÈNE IV.

M. FRANCALEU, DAMIS:

M. FRANCALEU.

La coquine le sert indubitablement,

Et m'en a, sur son compte, imposé doublement.
Sur quoi donc, s'il vous plaît, vous a-t-il fait querelle?

DAMIS.

Sur un mal-entendu, pour une bagatelle.

M. FRANCALEU.

Ce procédé l'exclut du rang de vos amis?

DAMIS.

Quelque ressentiment pourroit m'être permis,
Mais je suis sans rancune; et ce qui se prépare,
Va me venger assez de cet esprit bizarre.

M. FRANCALEU.

Ce que j'apprends encor lui fait bien moins d'honneur.

Quoi donc ?

DAMIS.

M. FRANCALEU.

Qu'il est le fils d'un maudit chicaneur,

Qui n'écoutant prière, avis, ni remontrance,
Depuis dix ou douze ans me plaide à toute outranee.
Des sottises d'un père un fils n'est pas garant;

Mais le tort que me fait ce plaideur est si grand,
Que je puis, à bon droit, haïr jusqu'à sa race.
Ce procès me ruine en sotte paperasse;

Et sans le temps, les pas, et les soins qu'il y faut,
J'aurois été poëte onze ou douze ans plus tôt.
Sont-ce là, dites-moi, des pertes réparables?

DAMIS.

Le dommage est vraiment des plus considérables.
Il faut que le public intervienne au procès,
Et conclue, avec vous, de gros intérêts.
Et Dorante n'a-t-il contre lui que son père?

M. FRANCALEU.

Pardonnez-moi, monsieur, il a son caractère.
Je lui croyois du goût, de l'esprit, du bon sens ;
Ce n'est qu'un étourdi; cela tourne à tous vents.
Cervelle évaporée; esprit jeune et frivole,

Que vous croyez tenir au moment qu'il s'envole;

Qui me choque en un mot ; et qui me choque au point,
Que chez moi, sans ma pièce, il ne resteroit point.
Mais il le faut avoir, si je veux qu'on la joue;
Et voilà trop de fois que mon spectacle échoue.
A propos, ce bon-homme, avec qui vous jouez,
Plaît-il? que vous en semble? excellent! avouez.

DAMIS.

Admirable!

M. FRANCALEU.

A-t-il l'air d'un père qui querelle ?

Heim! comme sa surprise a paru naturelle!

DAMIS.

Attendez à juger de ce qu'il peut valoir,

Que vous en ayez vu ce que je viens d'en voir.
Il est original en ces sortes de rôle.

M. FRANCALEU.

Pour un mois, avec nous, il faut que je l'enrôle.

DAMIS.

De l'humeur dont il est, j'admire seulement
Qu'il daigne se prêter à nous pour un moment.

M. FRANCALEU.

C'est que je l'ai flatté du succès d'une affaire.
Tirons-en donc parti, tandis qu'à nous complaire
Et qu'à nous ménager il a quelque intérêt.

DAMIS.

La troupe ne sauroit faire un meilleur acquet.

M. FRANCALEU.

Si vous le souhaitez, c'est une affaire faite.

DAMIS.

Personne plus que moi, monsieur, ne le souhaite.

M. FRANCALEU.

Et personne, monsieur, n'y peut mieux réussir.

DAMIS.

Que moi?

M. FRANCALEU.

Que vous.

DAMIS.

Par où? Daignez m'en éclaircir.

M. FRANCALEU.

Vous pouvez à la cour lui rendre un bon office.

DAMIS.

Plût au ciel! il n'est rien que pour lui je ne fisse.

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