Page images
PDF
EPUB

LISETTE.

Il est vrai.

MONDOR.

M'y voilà.

Damis doit être ici, chaque mot me le prouve : Quand le diable en seroit, il faut que je l'y trouve.

LISETTE.

Sa mine, ses habits, son état, sa façon ?

MONDOR.

Oh! c'est ce qui n'est pas facile à peindre : non.
Car selon la pensée où son esprit se plonge,
Sa face, à chaque instant, s'élargit ou s'alonge.
Il se néglige trop, ou se pare à l'excès :
D'état il n'en a point, ni n'en aura jamais.
C'est un homme isolé qui vit en volontaire :
Qui n'est bourgeois, abbé, robin, ni militaire :
Qui va, vient, veille, sue, et se tourmentant bien,
Travaille nuit et jour, et jamais ne fait rien.
Du reste, rassemblant dans sa seule personne
Tous les originaux qu'au théâtre on nous donne,
Misanthrope, étourdi, complaisant, glorieux,
Distrait... ce dernier-ci le désigne le mieux :
Et tiens, s'il est ici, je gage mes oreilles,
Qu'il est dans quelque allée, à bayer aux corneilles,
S'approchant pas à pas d'un ha-ha qui l'attend,
Et qu'il n'apercevra qu'en s'y précipitant.

LISETTE.

Je m'oriente... on a l'homme que tu souhaites. N'est-ce pas de ces gens que l'on nomme poëtes?

Oui.

MONDOR.

[blocks in formation]

Le personnage en tout ressemble au tien :

Sinon que ce n'est pas Damis que l'on le nomme.

MONDOR.

Contente-moi, n'importe; et montre-moi cet homme.

LISETTE.

Cherche. Il est à rêver là bas, dans ces bosquets.
Mais vas-y seul on vient, et je crains les caquets.

SCÈNE II.

DORANTE, LISETTE.

LISETTE

DORANTE ici! Dorante!

DORANTE.

Ah Lisette! ah ma belle!

Que je t'embrasse! hé bien ! dis-moi donc la nouvelle;
Félicite-moi donc. Quel plaisir ! L'heureux jour!
Que ce jour a tardé long-temps à mon amour!
De la chose avant moi tu dois être avertie :
Que ne me dis-tu donc que Lucile est sortie?
Que je vais... Que je puis... Conçois-tu ?.. Baise-moi.

LISETTE.

Mais vous n'êtes pas sage, en vérité.

DORANTE.

Pourquoi ?

LISETTE.

Si monsieur vous trouvoit? Songez donc où vous êtes!
Y pensez-vous, d'oser venir comme vous faites,
Chez un homme avec qui votre père en procès...

DORANTE.

Bon! m'a-t-il jamais vu ni de loin ni de près?
Je vois le parc ouvert : j'entre.

LISETTE.

Vous le dirai-je ?

Eussiez-vous cent fois plus d'audace et de manège,
Lucile même à nous daignât-elle s'unir,

Je ne sais trop comment vous pourrez l'obtenir.

DORANTE.

Oh! je le sais bien, moi. Mon père m'idolatre:
Il n'a que moi d'enfant je suis opiniâtre :

Je le veux. Qu'il le veuille. Autrement, (j'ai des mœurs)
Je ne lui manque point; mais je fais pis. Je meurs.

LISETTE.

Mais si le grand procès qu'il a...

DORANT E.

Qu'il y renonce ;

Le père de Lucile a gagné. Je prononce.

[blocks in formation]

LISETTE.

Croyez-vous donc, monsieur, vous seul avoir un père ?

Le nôtre y voudra-t-il consentir?

[blocks in formation]

Quand je t'en vois douter, tu me perces le cœur.

LISETTE.

Je vous l'ai dit cent fois ; c'est une nonchalante
Qui s'abandonne au cours d'une vie indolente;
De l'amour d'elle-même éprise uniquement,
Incapable en cela d'aucun attachement;

Une idole du nord, une froide femellé,

Qui voudroit qu'on parlât, que l'on pensât pour elle; Et sans agir, sentir, craindre ni désirer,

N'avoir que l'embarras d'être et de respirer.

Et vous voulez qu'elle aime! Elle avoir une intrigue!
Y pensez-vous, monsieur? Fi donc ! cela fatigue.
Voyez, depuis un mois que le cœur vous en dit,
Si votre amour vous laisse un moment de répit.
Et c'est, ma foi, bien pis chez nous que chez les hommes.

DORANTE.

Enfin depuis un mois, sachons où nous en sommes.

LISETTE.

Elle aime éperdument ces vers passionnés,

Que votre ami compose et que vous nous donnez;
Et je guette l'instant d'oser dire à la belle,

Que ces vers sont de vous et qu'ils sont faits pour elle,

DORANTE.

Qu'ils sont de moi! Mais c'est mentir effrontément.

LISETTE.

Eh bien! je mentirai; mais j'aurai l'agré nent
D'intéresser pour vous l'indifférence même.

DORANTE.

Lucile en est encore à savoir que je l'aime !
Que ne profitions-nous de la commodité
De ces vers amoureux dont son goût est flatté?
Un trait pouvoit m'y faire aisément reconnoître :
Et, mieux que tu ne crois, m'eûît réussi peut-être.

LISETTE.

Eh non! vous dis-je, non ; vous auriez tout gâté :
L'indifférence incline à la sévérité.

Il a fallu d'abord préparer toutes choses;

De l'empire amoureux lui déplier les roses ;

« PreviousContinue »