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(A part.)

A demain, scélérat! Si jamais tu rimailles,

Ce ne sera, morbleu ! qu'entre quatre murailles.

SCÈNE VIII.

DAMIS, seul.

Il ne veut m'avouer qu'après l'évènement.
Nous nous sommes ici rencontrés plaisamment.
La scène est théâtrale, unique, inopinée.
Je voudrois, pour beaucoup, l'avoir imaginée.
Mon succès seroit sûr : du moins profitons-en,
Et songeons à la coudre à quelque nouveau plan.
J'en ai plusieurs. Voyons. Cù sont donc mes tablettes?
La perte, pour le coup, seroit des plus complètes.
Tout à l'heure, à la main, je les avois encor.
Ah! je suis ruiné! J'ai perdu mon trésor!
Nombre de canevas, deux pièces commencées,
Caractères, portraits, maximes ét pensées,
Dont la plus triviale, en vers alexandrins,
Au bout d'une tirade, eût fait battre des mains.
Mais j'ai regret surtout à mon épithalame.

Hélas! ma muse, au gré de l'espoir qui m'enflamme,
Dans un premier transport, venoit de l'ébaucher.
Deux fois du même enfant pourra-t-elle accoucher?

SCÈNE IX.

DORANTE, DAMIS.

DAMIS.

AЯ! monsieur, secourez les muses attristées!
Mes tablettes, là-bas, dans le bois sont restées.
Suivez-moi, cherchons-les, aidons-nous.

DORANT E.

Les voilà.

DAMIS.

Je ne puis exprimer le plaisir...

DORANTE.

Brisons lå.

DAMIS.

Vous me rendez l'espoir, le repos et la vie.

DORANT E.

Mon dessein n'est pas tel; car je vous signifie
Qu'il faut en ce logis ne plus vous remontrer;
Et vous faire une affaire, ou n'y jamais rentrer.

DAMIS.

L'étrange alternative! Un ami la propose!
Ne puis-je, avant d'opter, en demander la cause?

DORANTE.

Eh fi! l'air ingénu sied mal à votre front,
Et ce doute affecté n'est qu'un nouvel affront.

DAVIS.

C'est la pure franchise. En vérité j'ignore...

DORANTE.

Quoi, monsieur, que Lucile est celle que j'adore?

DAMIS.

Non. Quand j'ai vu tantôt mes vers entre ses mains...

DORANTE.

Vous m'avez insulté ; c'est de quoi je me plains.

DAMIS.

En quoi donc?

Moi ?

DORANTE.

Oui, c'est vous qui les lui faisiez lire.

DAMIS.

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DORANTE.

Vous. Plus je souffrois, plus je vous voyois rire.

DAMIS.

De ce qu'innocemment la belle, malgré vous,
Révéloit un secret, dont vous étiez jaloux.

DORANTE.

Non. Mais de la noirceur de cette âme cruelle,
Et du plaisir malin de jouir, avec elle,
De la confusion d'un rival malheureux,
Que vous avez joué de concert tous les deux.
C'est à quoi votre esprit, depuis un mois, s'occupe;
Mais je ne serai pas jusqu'au bout votre dupe;
Je veux de mon côté mettre aussi les railleurs;
Et votre épithalame ira servir ailleurs.

DAMIS.

Ah! ce mot échappé me fait enfin comprendre...

DORANTE.

Songez vite au parti que vous avez à prendre.

Dorante!

DAMIS.

DORANTE.

Vous voulez temporiser en vain.

Renoncez à Lucile, ou l'épée à la main.

DAMIS.

Opposons quelque flegme aux vapeurs de la bile.
La valeur n'est valeur qu'autant qu'elle est tranquille
Et je vois...

DORANTE.

Oh! je vois qu'un versificateur

Entend l'art de rimer, mieux que le point d'honneur.

DAMIS.

C'en est trop. A vous-même un mot eût pu vous rendre.

Je ne le dirois plus, voulussiez-vous l'entendre.
C'est moi qui maintenant vous demande raison.
Cependant on pourroit nous voir de la maison.
La place, pour nous battre, ici près est meilleure.
Marchons.

SCÈNE X.

M. FRANCALEU, DORANTE, DAMIS.

M. FRANCALEU, prenant Dorante par le bras et ne le láchant plus.

EH! venez donc, monsieur; depuis une heure Je vous cherche partout, pour vous lire mes vers.

DORANTE.

A moi, monsieur?

M. FRANCALEU.

A vous.

DAMIS, à part.

Autre esprit à l'envers!

M. FRANCALEU.

Vous désirez, dit-on, ce petit sacrifice?

DORANTE.

Et qui m'a, près de vous, rendu ce bon office?

C'est Lisette.

M. FRANCALEU.

DORANTE, à Damis.
C'est vous qu'elle veut servir.

M. FRANCALEU.

Lui!

Il voudroit qu'on fût sourd aux ouvrages d'autrui.

DAMIS.

Loin de l'en détourner, c'est moi qui l'y convie.

DORANTE, à Damis.

Je lis dans votre cœur, et je vois votre envie.

M. FRANCALEU.

Vous dites bien; l'envie! Oui, c'est un envieux,
Qui voudroit sur lui seul attirer tous les yeux.

DAMIS.

Mon ami, par bonheur, est là pour me défendre.
Tantôt je l'exhortois encore à vous entendre.

DORANTE, bas, à Damis.

Vous osez m'attester?

DAMIS, bas, à Dorante.

Je songe à votre amour.

Songez, si vous voulez, à faire votre cour.

M. FRANCALEU.

On me voudroit pourtant assurer du contraire.

DAMIS.

Lisez, et qu'il admire; il ne sauroit mieux faire.

DORANTE, bas.

Tu crois m'échapper? Mais...

DAMIS, à M. Francaleu.

D'autant plus que monsieur

A besoin maintenant d'un peu de belle humeur.

M. FRANCALEU, tirant un gros cahier de sa poche: Ah! quelque humeur qu'il ait, il faudra bien qu'il rie: Et pour cela d'abord je lis ma tragédie.

DAMIS.

Rien ne pouvoit pour lui venir plus à propos.

M. FRANCALEU.

Pourvu que les fâcheux nous laissent en repos,
DAMIS, bas, à Dorante.

Dès que vous le pourrez, songez à disparoître.

Je vous attends,

(Il s'en va.)

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