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Et voit bien que c'est moi qui suis les cinq étoiles.
Oui! qu'à jamais pour moi, belle Mériadec,
Pégase soit rétif et l'Hippocrène à sec,

Si ma lyre, de myrte et de palmes ornée,
Ne consacre les nœuds d'un si rare hyménée!

MONDOR.

Je respecte, monsieur, un si noble transport.
Qui vous chicaneroit davantage auroit tort.
Mais prenez un conseil. Votre esprit s'exténue
A se forger les traits d'une femme inconnue.
Peignez-vous celle-ci sous quelque objet présent.
Lucile a, par exemple, un visage amusant...

J'entends.

DAMIS.

MONDOR.

Suivez, lorgnez, obsédez sa personne. Croyez voir, et voyez, en elle, la Bretonne...

DAMIS.

C'est bien dit. Cette idée échauffant mes esprits,
N'en portera que plus de feu dans mes écrits.
Le bon sens du maraud quelquefois m'épouvante.

MONDOR.

Molière, avec raison, consultoit sa servante.

DAMIS.

On se peint, dans l'objet présent et plein d'appas,
L'objet qu'on idolâtre, et que l'on ne voit pas.
Aussi-bien, transporté du bonheur de ma flamme,
Déja dans mon cerveau roule un épithalame,
Que, devant qu'il soit peu, je prétends mettre au net,
Et donner au Mercure, en paiement du sonnet.
Muse, évertuons-nous; ayons les yeux sans cesse,
Sur l'astre qui fait naître en ces lieux la tendresse ;

Cherche, en le contemplant, matière à tes crayons;
Et que ton feu divin s'allume à ses rayons.
Que cette solitude est paisible et touchante !
J'y veux relire encor le sonnet qui m'enchante.

(Il va s'asseoir à l'écart.)

MONDOR.

Quelle tête! Il faut bien le prendre comme il est.
Voyons ce qui naîtra de ce jeu qui lui plaît,

L'assiduité peut, Lucile étant jolie,

Lui faire de Quimper abjurer la folie.

SCÈNE IX.

DORANTE, LUCILE, DAMIS à l'écart et sans étre vu.

DORANTE.

A cet aveu si tendre, à de tels sentiments,
Que je viens d'appuyer du plus saint des serments,
A tout ce que j'ai craint, madame, à ce que j'ose,
A vos charmes enfin, plus qu'à toute autre chose,
Reconnoissez que j'aime ; et réparez l'erreur
D'un père qui m'exclut du don de votre cœur.
Je ne veux, pour tout droit, que sa volonté même.
Père équitable et tendre, il veut que l'on vous aime.
Ah! si c'est à ce prix qu'il a mis votre foi,

Qui jamais vous pourra mériter mieux que moi?

LUCILE.

Mais, monsieur, sur ce point, qu'importe qu'on l'éclaire, S'il ne vous en est pas pour cela moins contraire,

Et si, dès qu'il saura de qui vous êtes fils,

Nul espoir, près de moi, ne vous est plus permis?

DORANTE.

J'obtiendrai son aveu; rien ne m'est plus facile.
Mais, parmi tant d'amants, adorable Lucile,
N'auriez-vous pas déja nommé votre vainqueur?
LUCILE, tirant des vers de sa poche.
L'auteur seul de ces vers a su toucher mon cœur :
Je l'avoue, et pour lui me voilà déclarée.

DORANTE, apercevant Damis.

On nous écoute.

LUCILE.

Eh! c'est monsieur de l'Empyrée.

Lisons-les lui ces vers : il en sera charmé.

DORANTE, à part.

Est-ce lui, juste ciel ! ou moi qu'elle a nommé?
LUCILE, à Damis.

Venez, monsieur, venez, pour qu'en votre présence,
Nous discutions un fait de votre compétence;
Il s'agit d'une idylle, où j'ai quelque intérêt;
Et vous nous en direz votre avis, s'il vous plaît.

DORANTE.

Madame, on fait grand tort à messieurs les poëtes,
Quand on les interrompt dans leurs doctes retraites.
Laissons donc celui-ci rêver en liberté,

Et détournons nos pas de cet autre côté.

DAMIS.

Le plus grand tort, monsieur, que l'on puisse nous faire;
C'est de priver nos yeux de ce qui peut leur plaire.
Peut-on penser si bien, étant seul en ces lieux,
Qu'étant avec madame, on ne pense encor mieux?
Madame, je vous prête une oreille attentive.

Rien ne me plaira tant. Lisez ; et s'il m'arrive

:

Quelque distraction, dont je ne réponds pas,
Vous ne l'imputerez qu'à vos divins appas.

LUCILE.

Votre façon d'écrire élégante et fleurie
Vous accoutume au ton de la galanterie.

Allons, messieurs, passons sous ce feuillage épais,
Où, loin des importuns, nous puissions lire en paix.
(Damis lui donne la main qu'elle accepte au moment
que Dorante lui présentoit aussi la sienne.)
DORANTE, seul.

Est-ce un coup du hasard, ou de leur perfidie?
Voyons. Il faut, de près, que je les étudie,
Et que je sorte enfin de la perplexité

La plus grande où peut-être on ait jamais été.

FIN DU SECOND ACTE

SCÈNE I.

DORANTE, seul, et ramassant des tablettes,

QUELQU'UN regrette bien les secrets confiés
A ces tablettes-ci que je trouve à mes pieds.

(Il les ouvre.) ÉPITH ALAME. Ah! ah! j'en reconnois le maître, J'y pourrois bien aussi développer un traître... Lisons.

SCÈNE II.

DORANTE, LISETTE.

LISETTE.

SUIS-JE une fourbe? ai-je trahi vos feux? Le seul qu'on veut exclure, est-il si malheureux? Dès que je vous ai vu prêt d'aborder Lucile, Je me suis éclipsée, en confidente habile; Et je vous ai laissé le champ libre à l'instant. Eh bien! quelle nouvelle? En êtes-vous content?

DORANTE.

Ah! qu'elle est ravissante! et que ce tête-à-tête
Achève de lui bien assurer sa conquête!
Je l'aimois, l'adorois, l'idolâtrois : mais rien
N'exprime mon état depuis cet entretien.
Jusqu'au son de sa voix, tout me pénètre en elle;
Son défaut me la rend plus piquante et plus belle;

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