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DORISE.

Oui, je ris d'embarrasser Marine,

Elle qui passe ici pour adroite et pour fine.

MARINE.

Et moi je ne ris point, et voudrois bien savoir
Quand ce nouvel amant a pu vous venir voir;
Car je vous avertis que ce n'est pas le même
Pour qui je vous parlois...

DORISE.

Tu te trompes, et même

Je n'ai vu cet amant si tendre qu'avec toi.
Tu pourrois en agir autrement avec moi,
Et je crois que d'abord je devois être instruite.

MARINE.

De quoi parlez-vous donc ici?...

DORISE.

De ta conduite.

Je vois bien que mon père a la plus grande part
A l'intrigue qu'ici tu conduis avec art:
Mais pouvois-tu penser que sottement déçue,
Une si forte erreur ne frappât point ma vue?
Le cœur se trompe-t-il à ce qu'il doit aimer?
Il n'a pas dit un mot qui n'ait su me charmer;
Ta gaîté, tes propos, ses regards, son langage,
Mon trouble, tout enfin détruisoit ton ouvrage.
Et le voile tombé ne m'a fait voir en lui,
Que l'inconnu pour qui tu parlois aujourd'hui.
Ose me démentir...

MARINE.

Je n'en serois pas crue:

Ah! ah! pour une Agnès, vous avez bonne vue !

Mais, dites-moi, pourquoi trouver tant de défauts Dans tous nos jeunes gens? comment? à quel propos? En le reconnoissant quelle étoit votre envie?

DORISE.

Celle de le punir de sa supercherie.

MARINE.

O nature! à cet âge, et dès le premier pas,
Conter à son amant ce qu'on ne pense pas ;
Démêler d'un coup d'œil un pareil stratagème,
En voir tous les ressorts, et me jouer moi-même :
Vous irez loin un jour, et j'en suis caution.

DORISE.

Oh ! j'ai bien dans l'esprit une autre opinion.

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Dussé-je en vous manquant recevoir mon congé,
Je vous embrasserai : c'est le vieillard lui-même,
Dont mettant à profit le ridicule extrême,
J'ai trouvé le secret d'arrêter le bonheur;

Et vous,

et votre père, il vous croit dans l'erreur. Feignez de l'écouter, et de vous y méprendre,

En le laissant aller, et sans pourtant vous rendre:
Nous gagnerons le temps qu'il faut à mon dessein,
Et je verrai bientôt terminer votre hymen.

DORISE.

Que mon cœur est troublé !...

MARINE.

Trouble qu'on ne hait guère,

N'est-il pas vrai? Je sais sur nous ce qu'il opère;
Jouir de son ivresse est le bien le plus doux.
Gardons bien cependant ces secrets entre nous,
Et paroissez toujours docile, indifférente.
Votre père, trompé dans sa première attente,
Protège votre amant qu'il croit vieux comme lui;
Je veux qu'il vous le fasse épouser aujourd'hui.

DORISE.

Je tremble que lui-même il ne le reconnoisse;
Et comment a-t-il pu lui cacher sa jeunesse ?

MARINE.

Il n'y connoîtra rien, c'est un coup de mon art:
Allez, vous n'avez rien à craindre à cet égard.

DORISE.

Tu ne peux trop compter sur ma reconnoissance.

MARINE.

Je cherche le succès plus que la récompense.

FIN DU SECOND ACTE.

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J'entends parler quelqu'un, quel est ce grand pendard?

FRONTIN.

Quel est cet animal qui tremble en ma présence?
Sachons un peu de lui... Ciel! quelle ressemblance!
Ma foi, c'est la figure ou l'ombre de Crispin.

CRISPIN.

Il me nomme : que vois-je ?... Il a l'air de Frontin.
C'est lui même...

FRONTIN.

C'est lui...

CRISPIN.

Bon jour, cher camarade.

FRONTIN.

Ah! cher Crispin, reçois cette vive embrassade.

CRISPIN.

Tu viens de me tirer d'un maudit embarras;
Mais d'où viens-tu? Quel soin conduit ici tes pas?
Ton maître est-il ici?..

FRONTIN.

Que fait monsieur son père?

LA DOUBLE EXTRAV., ACT. III, SCÈNE I. 319 Seroit-il à Paris?... Mais qu'y viendroit-il faire? Pour se remarier seroit-il en ces lieux?

CRISPIN.

Peut-être en ce logis vous êtes amoureux?

FRONTIN.

Libertin autrefois, il n'est pas des plus sages.

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Quoi! Crispin appréhende

Que je puisse abuser d'un secret confié?

CRISPIN.

Quelle discrétion! où donc est l'amitié?

FRONTIN.

Rien qu'un mot.

CRISPIN, bas.

Tenons ferme.

FRONTIN, bas,

Usons d'un stratagème.

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