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SCÈNE IV.

MARINE, seule.

IL a, ma foi, raison, je suis une insensible.
Avec quelle rigueur j'ai traité cet amant,
Qu'autrefois j'aurois plaint et servi sûrement!
Je ne me conçois pas : l'hymen le plus bizarre,
Le plus fou, le plus sot, à mes yeux se prépare,
Et je vois de sang-froid que l'on fait le malheur
D'une enfant que j'immole aussi par ma tiédeur.
Je l'aime, et cependant je la vois la victime
D'un père qui s'arroge un droit illégitime.
Non, ne le souffrons pas : osons la garantir
De ce coup qui contr'elle est tout prêt à partir;
Elle a trop de vertu pour n'être pas à plaindre
Dans cet état affreux où l'on veut la contraindre.
Comme je la connois, avec un vieux mari
Elle croiroit devoir n'exister que pour lui.
Cependant j'ai laissé trop avancer l'affaire,
Et pour parer le coup, je ne sais comment faire.
Mais quelqu'un vient, rentrons...

SCÈNE V.

MARINE, CRISPIN.

CRISPIN.

LA peste, quel minois!

Me voilà pris d'emblée; avançons toutefois.

Ma belle... (car ce nom est le vôtre sans doute)
Vous voyez... Vous voyez mon esprit en déroute;
Je ne puis m'expliquer, tant je suis interdit.

MARINE.

Que voulez-vous? Ici qu'est-ce qui vous conduit?

CRISPIN.

Doucement. Il est vrai que je viens pour un autre,
Mais en fait d'intérêt le plus vif est le nôtre.
Mettons de l'ordre à tout, et commençons par moi.
Je suis pétrifié de tout ce que je voi ;

Et pour dire en un mot tout ce qui me transporte,
Je t'aime, mon enfant, ou le diable m'emporte.
Je ne sais d'où tu viens, d'où tu sors, où tu vas;
Mais dès ce moment-ci je m'attache à tes pas,
Et tu me permettras au moins d'être ton ombre.

Le ton est familier.

MARINE,

CRISPIN.

Ton accueil un peu sombre.

Idole de mon cœur, adoucis tes regards,

Vois les miens...

MARINE.

Dis ton nom, ton dessein, ou je pars.

CRISPIN.

Attends, ne sais-tu pas ici certaine fille

Que l'on doit marier?...

MARINE.

Oui...

CRISPIN.

Fort jeune et gentill

MARINE.

Que t'importe?...

CRISPIN.

Beaucoup. Fille d'un commerçant,

Que l'on appelle Orgon...

MARINE.

Je la sers.

CRISPIN,

Je viens pour t'épouser...

MARINE.

Justement,

Parle donc, eh! bélître,

Je te ferai bientôt finir sur mon chapitre.

On ne m'épouse point.

Finis.... ou....

CRISPIN.

Je suis pourtant ton fait.
MARINE.

CRISPIN.

Tu le veux, je suis donc le valet

D'un quidam arrivé pour épouser Dorise.

Ergo, moi je t'épouse..... Eh bien ! quelle surprise!

MARINE.

Mais on ne l'attendoit au plus tôt que demain.

CRISPIN.

L'amour, comme tu sais, abrège le chemin :

C'est lui qui nous amène...

MARINE, à part.

O ciel! que dois-je faire?

Écoute. A tes discours, je vois que tu veux plaire, Je t'en tiens compte; mais il me faut un portrait.

CRISPIN.

Je te comprends: il faut peindre mon maître en laid.

MARINE.

Non: fais-le tel qu'il est, c'est tout ce que j'exige.

CRISPIN.

Mais songe, mon enfant, à quoi l'honneur m'oblige.

Théâtre. Com. en vers. 10.

24

Et l'amour...

MARINE.

CRISPIN.

Il est vrai, cette dette prévaut,
Et je vais l'acquitter: d'abord, son grand défaut
Est de s'aimer lui-même autant qu'un petit-maître,
Veillant sans cesse aux soins de conserver son être.
Il se croit en amour encore dangereux,

Galant, même coquet, quoiqu'il soit assez vieux
Pour devoir renoncer, je pense, au mariage.

Bon...

MARINE.

CRISPIN.

Cachant tant qu'il peut ses rides et son âge, Se croyant jeune encor, quoiqu'on lui sache un fils Grand comme père et mère, et qui court le pays; Dupe le plus souvent pour être trop crédule, Enfin, comme tu vois, un parfait ridicule. Mais le voici lui-même...

MARINE, à part.

Il me vient un projet.

Bien singulier, bien fou, nous en verrons l'effet.

SCÈNE VI.

LÉANDRE PÈRE, MARINE, CRISPIN.

LÉANDRE.

SAIT-ON mon arrivée? as-tu vu le beau-père?

CRISPIN.

Pas encor.

LÉANDRE.

Comment donc?

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Ah! monsieur, tout va-t-il suivant notre souhait?
Du père, je le sais, vous avez la promesse :
Mais si je connois bien l'esprit de ma maîtresse,
Quoique simple, et n'ayant aucune passion,
Elle aura pour votre âge un peu d'aversion :
Et je crains qu'en voulant lui faire violence,
On ne pousse son coeur à quelque extravagance.

CRISPIN.

La crainte est de bon sens.

LÉANDRE.

Suis-je si fort âgé?

Je sais cent jeunes gens qui n'ont pas l'air que j'ai.

MARINE.

C'est ce qui me surprend, et me donne une idée
Bizarre en apparence, et cependant fondée.

LÉANDRE.

Quelle est-elle?

MARINE.

D'abord, elle paroît un jeu ;

Mais, à vous dire vrai, j'y compterois un peu :

Ma maîtresse est bien neuve,

et par rapport au père,

Il est si bon, ma foi...

CRISPIN, à part.

Quel diantre de mystère?

MARINE.

Plus je vous envisage, et plus j'en suis d'avis,

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