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Ils ne se quittent plus, et Géronte prétend
Qu'il doit à sa prudence un service important.
Enfin, vous le voyez, vous avez eu beau dire
Qu'on soupçonnoit Cléon d'une affreuse satire,
Géronte ne croit rien : nul doute, nul soupçon
N'a pu faire sur lui la moindre impression.....
Mais ils viennent, je crois: sortons; je vais attendre
Que Cléon soit tout seul.

SCÈNE V.

GÉRONTE, CLÉON.

GÉRONTE.

Je ne veux rien entendre;

Votre premier conseil est le seul qui soit bon,
Je n'oublîrai jamais cette obligation :

Cessez de me parler pour ce petit Valère;

Il ne sait ce qu'il veut, mais il sait me déplaire :
Il refusoit tantôt, il consent maintenant.
Moi, je n'ai qu'un avis, c'est un impertinent.
Ma sœur sur son chapitre est, dit-on, revenue:
Autre esprit inégal sans aucune tenue;
Mais ils ont beau s'unir, je ne suis pas un sot:
Un fou n'est pas mon fait, voilà mon dernier mot.
Qu'ils en enragent tous, je n'en suis pas plus triste.
Que dites-vous aussi de ce bon homme Ariste?
Ma foi, mon vieux ami n'a plus le sens commun;
Plein de préventions, discoureur importun,

Il veut que vous soyez l'auteur d'une satire

Où je suis pour ma part; il vous fait même écrire
Ma lettre de tantôt : vainement je lui dis

Qu'elle étoit clairement d'un de vos ennemis,

Puisqu'on vouloit donner des soupçons sur vous-même ;
Rien n'y fait; il soutient son absurde système :
Soit dit confidemment, je crois qu'il est jaloux
De tous les sentiments qui m'attachent à vous.

CLEON.

Qu'il choisisse donc mieux les crimes qu'il me donne ;
Car moi je suis si loin d'écrire sur personne,
Que, sans autre sujet, j'ai renvoyé Frontin
Sur le simple soupçon qu'il étoit écrivain ;
Il m'étoit revenu que dans des brouilleries
On l'avoit employé pour des tracasseries :
On peut nous imputer les fautes de nos gens,
Et je m'en suis défait de peur des accidents.
Je ne répondrois pas qu'il n'eût part au mystère
De l'écrit contre vous; et peut-être Valère,
Qui refusoit d'abord, et qui connoît Frontin
Depuis qu'il me connoît, s'est servi de sa main
Pour écrire à sa mère une lettre anonyme.

Au reste..... il ne faut point que cela vous anime
Contre lui; ce soupçon peut n'être pas fondé.

GÉRONTE.

Oh ! vous êtes trop bon : je suis persuadé,

Par le ton qu'employoit ce petit agréable,

Qu'il est faux, méchant, noir, et qu'il est bieu capable

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Du mauvais procédé dont on veut vous noircir.
Qu'on vous accuse encore! oh! laissez-les venir.
Puisque de leur présence on ne peut se défaire,
Je vais leur déclarer d'une façon très claire
Que je romps tout accord; car, sans comparaison,
J'aime mieux vingt procès qu'un fat dans ma maison.
SCÈNE VI.

CLÉON, seul.

QUE je tiens bien mon sot! mais par quelle inconstance Florise semble-t-elle éviter ma présence ?

L'imprudente Lisette auroit-elle avoué ?

Elle consent, dit-on, à marier Chloé.

On ne sait ce qu'on tient avec ces femmelettes :
Mais je l'ai subjuguée..... un mot, quelques fleurettes
Me la ramèneront..... ou, si je suis trahi,

J'en suis tout consolé, je me suis réjoui.

SCÈNE VII.

FLORISE, CLÉON,

CLÉON.

Vous venez à propos : j'allois chez vous,

madame.....

Mais quelle rêverie occupe donc votre ame?

Qu'avez-vous? vos beaux yeux me semblent moins sereins; Faite pour les plaisirs, auriez-vous des chagrins?

FLORISE.

J'en ai de trop réels.

CLÉON.

Dites-les-moi, de grace,

Je les partagerai, si je ne les efface.

Vous connoissez.....

FLORISE.

J'ai fait bien des réflexions,

Et je ne trouve pas que nous nous convenions.

CLÉON.

Comment, belle Florise? et quel affreux caprice
Vous force à me traiter avec tant d'injustice?
Quelle étoit mon erreur ! quand je vous adorois,
Je me croyois aimé.....

FLORISE.

Je me l'imaginois;

Mais je vois à présent que je me suis trompée,
Par d'autres sentiments mon ame est occupée;
Des folles passions j'ai reconnu l'erreur,
Et ma raison enfin a détrompé mon cœur.

CLÉON.

Mais est-ce bien à moi que ce discours s'adresse?
A moi dont vous savez l'estime et la tendresse,
Qui voulois à jamais tout vous sacrifier,

Qui ne voyois que vous dans l'univers entier ?
Ne me confirmez pas l'arrêt que je redoute;

Tranquillisez mon cœur: vous l'éprouvez, sans doute ?

FLORISE.

Une autre vous auroit fait perdre votre temps,

Ou vous amuseroit par l'air des sentiments;

Moi, qui ne suis point fausse.....

CLÉON, à genoux, et de l'air le plus affligés

Et vous pouvez, cruelle,

M'annoncer froidement cette affreuse nouvelle ?

FLORISE.

Il faut ne nous plus voir.

CLÉON, se relevant, et éclatant de rire.

Ma foi, si vous voulez

Que je vous parle aussi très vrai, vous me comblez.
Vous m'avez épargné, par cet aveu sincère,
Le même compliment que je voulois vous faire.
Vous cessez de m'aimer, vous me croyez quitté;
Mais j'ai depuis long-temps gagné de primauté.

FLORISE.

C'est trop souffrir ici la honte où je m'abaisse ;
Je rougis des égards qu'employoit ma foiblesse.

Eh bien ! allez, monsieur : que vos talents sur nous
Épuisent tous les traits qui sont dignes de vous;
Ils partent de trop bas pour pouvoir nous atteindre.
Vous êtes démasqué, vous n'êtes plus à craindre :
Je ne demande pas d'autre éclaircissement,
Vous n'en méritez point. Partez dès ce moment;

Ne me voyez jamais.

CLÉON.

La dignité s'en mêle !

Vous mettez de l'humeur à cette bagatelle !

Sans nous en aimer moins, nous nous quittons tous deux. Épargnons à Géronte un éclat scandaleux,

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