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M. FRANCALEU, revenant vers Damis comme pour lui confier un secret bien important.

Attendez-vous à voir quelque chose de beau.
J'achève de brocher une pièce en six actes.
La rime et la raison n'y sont pas trop exactes;
Mais j'en apprête mieux à rire à mes dépens.

(Il rentre dans la maison.)

SCÈNE V.

DAMIS.

Er je n'armerois pas contre ce guet-apens?
Ce devroit être fait. Qu'il reste à sa campagne,
Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne.
L'amour m'y tend les bras. Mon cœur m'a devancé.
C'est un noeud que de loin l'esprit a commencé.
Il est temps que la vue et l'achève et le serre.
Partons.

SCÈNE VI.

DAMIS, MONDOR.

MONDOR, rendant une lettre à Damis,
AH! grâce au ciel! enfin je vous déterre.

Je vous cherche, monsieur, depuis huit jours entiers;
Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers.
J'ai craint au bord de l'eau vos visions cornues;
Que cherchant quelque rime et lisant dans les nues,
Pégase imprudemment, la bride sur le cou,
N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Cloud.
DAMIS, à part, en resserrant la lettre qu'il a lue.
Oh, oh! bon gré, malgré, voici qui me retarde.

MONDOR.

Écoutez donc, monsieur; ma foi, prenez-y garde.

Un beau jour...

DAMIS.

Un beau jour ne te tairas-tu point?

MONDOK.

A votre aise. Après tout, liberté sur ce point.
Enfin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez étre ?
Mais personne, monsieur, ne veut vous y connoître ;
Et dans ce vaste enclos, que j'ai tout parcouru,
Je vous manquois encor, si vous n'eussiez paru.

DAMIS.

De mes admirateurs tout cet enclos fourmille :
Mais tu m'as demandé par mon nom de famille?

MONDO R.

Sans doute; comment donc aurois-je interrogé?

Je n'ai plus ce nom-là,

DAMIS,

MONDOR.

Vous en avez changé?

DAMIS.

Oui; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères.
Sous leur nom véritable ils ne s'illustrent guères;
Et, parmi ces messieurs, c'est l'usagé commun
De prendre un nom de terre, ou de s'en forger un.

MONDOR.

Votre nom maintenant, c'est donc?

DAMIS.

De l'Empyrée,

Et j'en oserois bien garantir la durée.

MONDOR.

De l'Empyrée? oui-da! N'ayant, sous l'horizon,
Ni feu ni lieu qui puisse alonger votre nom,
Et ne possédant rien sous la voûte céleste,
Le nom de l'enveloppe est tout ce qui vous reste.
Voilà donc votre esprit devenu grand terrien.
L'espace est vaste : aussi s'y promène-t-il bien :
Mais quand il va là-haut, lui seul à sa campagne,
Que le corps, ici bas, souffre qu'on l'accompagne!

DAMIS.

que

moi,

Et crois-tu donc qu'un homme à talents, tel
Puisse régler sa marche et disposer de soi?
Les gens de mon espèce ont le destin des belles :
Tout le monde voudroit nous enlever comme elles.
Je me laisse entraîner chez monsieur Francaleu,
Par un impertinent que je connoissois peu.
C'est lui qui me présente; et dupe du manège,
Je sers de passe-port au fat qui me protège.
On tenoit table encore: on se serre pour nous.
La joie, en circulant, me gagne ainsi qu'eux tous.
Je la sens : j'entre en verve; et le feu prend aux poudres.
Il part de moi des traits, des éclairs et des foudres.

J'ai le vol si rapide, et si prodigieux,

Qu'à me suivre, on se perd, après moi, dans les cieux : Et c'est là qu'à grands cris, je reçois des convives,

Ce nom qui va du Pinde enrichir les archives.

MONDOR.

Qui va nous appauvrir, à coup sûr, tous les deux.

DAMIS.

Ensuite un équipage et commode et pompeux
Me roule, en un quart-d'heure, à ce lieu de plaisance,
Où je ris, chante et bois; le tout, par complaisance.

MONDO R.

Par complaisance? soit. Mais vous ne savez pas?

Eh quoi?

DAMIS.

MONDOR.

Pendant qu'aux champs vous prenez vos ébats,

La fortune, à la ville, en est un peu jalouse.

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Sans croire, sans vouloir que vous en sachiez rien.

DAMIS.

Pourquoi donc me le dire?

MONDOR.

Ah! quelle indifférence! Et rien est-il pour vous de plus de conséquence? Un oncle riche et vieux, dont votre sort dépend, Qui, du bien qu'il vous veut, sans cesse se repent: Prétendant sur son goût régler votre génie ;

De vos diables de vers détestant la manie;

Et qui, depuis cinq ans bien comptés, dieu merci,
Pour faire votre droit, nous pensionne ici.

Attendez-vous, monsieur, à d'horribles tempêtes.
Il vient incognito pour voir où vous en êtes.
Peut-être il sait déja que vous donnant l'essor,
Vous n'avez pris ici d'autre licence encor,

Que celles qu'il craignoit, et que dans vos rubriques,

Vous nommez, entre vous, licences poétiques,

Ah! monsieur, redoutez son indignation!

Vous aurez encouru l'exhérédation.

Ce mot doit vous toucher, ou votre âme est bien dure. DAMIS, donnant tranquillement un papier à Mondor. Mondor, porte ces vers à l'auteur du Mercure.

MONDOR, refusant de le prendre,

Beau fruit de mon sermon!

DAMIS.

Digne du sermoneur.

MONDOR.

Et que doit nous valoir ce papier?

DAMIS.

De l'honneur.

MONDOR, Secouant la tête,

Bon! de l'honneur,

DAMIS.

Tu crois que je dis des sornettes?

MONDOR.

C'est qu'on n'a point d'honneur à mal payer ses dettes, Et qu'avec celui-ci vous les paierez très mal.

DAMIS.

Qu'un valet raisonneur est un sot animal!

Eh! fais ce qu'on te dit.

MONDOR.

Aussi, ne vous déplaise,

Vous en parlez, monsieur, un peu trop à votre aise.

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