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ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

CHLOÉ, LISETTE.

CHLOÉ.

Oui, je te le répète, oui, c'est lui que j'ai vu;
Mieux encor que mes yeux mon cœur l'a reconnu :
C'est Valère lui-même. Et pourquoi ce mystère ?,
Venir sans demander mon oncle ni ma mère,
Sans marquer pour me voir le moindre empressement !
Ce procédé m'annonce un affreux changement.

LISETTE.

Eh! non, ce n'est pas lui; vous vous serez trompée.

CHLOÉ.

Non, crois-moi; de ses traits je suis trop occupée
Pour pouvoir m'y tromper, et nul autre sur moi
N'auroit jamais produit le trouble où je me voi:
Si tu le connoissois, si tu pouvois m'entendre,
Ah! tu saurois trop bien qu'on ne peut s'y méprendre;
Que rien ne lui ressemble, et que ce sont des traits
Qu'avec d'autres, Lisette, on ne confond jamais.
Le doux saisissement d'une joie imprévue,

Tous les plaisirs du cœur, m'ont remplie à sa vue

J'ai voulu l'appeler, je l'aurois dû, je crois;
Mes transports m'ont ôté l'usage de la voix,
Il étoit déjà loin...... Mais dis-tu vrai, Lisette?
Quoi! Frontin.......

LISETTE.

Il me tient l'aventure secrète;

Son maître l'attendoit, et je n'ai pu savoir.....

CHLOÉ.

Informe-toi d'ailleurs; d'autres l'auront pu voir;
Demande à tout le monde..... Eh! va donc.

LISETTE

Patience!

Du zèle n'est pas tout, il faut de la prudence :
N'allons pas nous jeter dans d'autres embarras;
Raisonnons : c'est Valère, ou bien ce ne l'est pas :
Si c'est lui, dans la règle il faut qu'il vous prévienne;
Et si ce ne l'est pas, ma course seroit vaine

On le sauroit; Cléon, dans ses jeux innocents,
Diroit que nous courons après tous les passants :
Ainsi, tout bien pesé, le plus sur est d'attendre
Le retour de Frontin, dont je veux tout apprendre.....
Seroit-ce bien Valère?..... Eh! mais, en vérité,
Je commence à le croire..... Il l'aura consulté:
De quelque bon conseil cette fuite est l'ouvrage.
Oui, brouiller des parents le jour d'un mariage,
Pour prélude chasser l'époux de la maison,
L'histoire est toute simple, et digne de Cléon :

Plus le trait seroit noir, plus il est vraisemblable.

CHLOÉ.

Il faudroit que ce fût un homme abominable :

Tes

soupçons vont trop loin. Qu'ai-je fait contre lui? Et pourquoi voudroit-il m'affliger aujourd'hui ? Peut-il être des cœurs assez noirs pour se plaire A faire ainsi du mal pour le plaisir d'en faire ? Mais toi-même pourquoi soupçonner cette horreur ? Je te vois lui parler avec tant de douceur !

LISETTE.

Vraiment, pour mon projet, il ne faut pas qu'il sache
Le fonds d'aversion qu'avec soin je lui cache.
Souvent il m'interroge, et du ton le plus doux
Je flatte les desseins qu'il a, je crois, sur vous:
Il imagine avoir toute ma confiance,

Il me croit sans ombrage et sans expérience;
Il en sera la dupe : allez, ne craignez rien ;
Géronte amène Ariste, et j'en augure bien.
Les desseins de Cléon ne nuiront point aux nôtres :
J'ai vu ces gens si fins plus attrapés que d'autres ;
On l'emporte souvent sur la duplicité

En allant son chemin avec simplicité,

Et.....

FRONTIN, derrière le théâtre.

Lisette !

LISETTE, à Chloé.

Rentrez; c'est Frontin qui m'appelle.

SCÈNE II.

FRONTIN, LISETTE.

FRONTIN, Sans voir Lisette.

PARELEU, je vais lui dire une belle nouvelle!

On est bien malheureux d'être né

pour servir : Travailler, ce n'est rien : mais toujours obéir !

LISETTE.

Comment! ce n'est que vous ? Moi, je cherchois Ariste.

FRONTIN.

Tiens, Lisette, finis, ne me rends pas plus triste;

J'ai déjà trop ici de sujet d'enrager,

Sans que ton air fâché vienne encor m'affliger.
Il m'envoie à Paris, que dis-tu du message?

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Comment, rien ! un mot, pour le moins.

LISETTE.

Bon voyage:

Partez, ou demeurez, cela m'est fort égal.

FRONTIN.

Comment as-tu le coeur de me traiter si mal?

Je n'y puis plus tenir, ta gravité me tue;
Il ne tiendra qu'à moi, si cela continue,
Qui..... de mourir.

Théâtre. Com. en vers. 19

17

LISETTE

Mourez.

FRONTIN.

Pour t'avoir résisté

Sur celui qui tantôt s'est ici présenté.....

Pour n'avoir pas voulu dire ce que j'ignore.....

LISETTE.

Vous le savez très bien, je le répète encore :
Vous aimez les secrets; moi, chacun a son goût,
Je ne veux point d'amant qui ne me dise tout.

FRONTIN.

Ah! comment accorder mon honneur et Lisette ?
Si je te le disois ?

LISETTE.

Oh la paix seroit faite,

Et pour nous marier tu n'aurois qu'à vouloir

FRONTIN.

Eh bien, l'homme qu'ici vous ne deviez pas

Ĺtoit un inconnu... dont je ne sais pas l'âge...

voir

Qui, pour nous consulter sur certain mariage
D'une fille... non, veuve... ou les deux... au surplus
Tout va bien.., M'entends-tu?

LISETTE.

Moi? non.

FRONTIN.

Ni moi non plus

Si bien que pour cacher et l'homme et l'aventure...

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