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LUCILE.

Ah! tu me fais trembler.

LISETTE.

Et même ici quelqu'un peut-être nous épie.
Séparez-vous: rentrez, madame, je vous prie.
Nous allons concerter un projet important.

DORANTE.

Rassurez-moi d'un mot encore, en me quittant;
Ou déja mon espoir est tout prêt à s'éteindre.

LUCILE.

De vos rivaux, du moins, vous n'avez rien à craindre. Mon père pourra bien, en ce commun danger, Désapprouver mon choix, mais jamais le changer.

SCÈNE IX.

DORANTE, LISETTE.

DORANTE.

QUELQU'UN m'a desservi près de lui, je parie.

LISETTE.

Eh! ne vous en prenez qu'à votre étourderie,
Et surtout au mépris dont vous avez heurté
La rage qu'il avoit tantôt d'être écouté.

DORANTE.

Oui, j'ai tort, je l'avoue ; à présent il peut lire,
Je l'écoute, ou plutôt, sans cela, je l'admire;
Et m'offre, en trouvant beau tout ce qui lui plaira,
De me couper la gorge avec qui le niera.

LISETTE.

Ce n'est pas maintenant votre plus grande affaire.
Songez à profiter d'un avis salutaire.

Pourriez-vous nous trouver de ces perturbateurs
Du repos du parterre et des pauvres auteurs,
Contre les nouveautés signalant leurs prouesses,
Et se faisant un jeu de la chute des pièces?

DORANTE.

Que diable en veux-tu faire? Oui, pour un j'en sais trois.

LISETTE.

Courez les ameuter, pour aller aux François

Sur ce qui s'y jouera faire éclater l'orage.

La pièce est de l'auteur qui vous fait tant d'ombrage.
Le père de Lucile y vient d'aller...

DORANTE.

Tu veux...

LISETTE.

Ah! j'en serois d'avis, faites le scrupuleux !
Damis ne l'est pas tant, lui; car à votre père,
Il a de votre amour écrit tout le mystère.
Ce n'aura pas été pour vous servir, je croi.
Et vous le voudriez ménager? Et sur quoi?
Les plaisants intérêts pour balancer les vôtres!
Une pièce tombée, il en renaît mille autres.
Mais Lucile perdue, où sera votre espoir?
Monsieur de Francaleu, vous dis-je, va la voir.
Il n'a déja que trop ce bel auteur en tête.
S'il le voit triompher, c'est fait, rien ne l'arrête :
Il lui donne sa fille; et croiroit aujourd'hui
S'allier à la gloire, en s'alliant à lui.

DORANTE.

Ah! tu me fais frémir, et des transes pareilles
Me livrent en aveugle à ce que tu conseilles.

SCÈNE X.

LISETTE, seule.

AH! ah! monsieur l'auteur, avec votre air humain,
Vous endormez les gens; vous écrivez sous main;
Vous avez du manège; et votre esprit superbe
Croit déja, sous le pied, nous avoir coupé l'herbe!
Un bon coup de sifflet va vous être lâché;
Et vous savez alors quel est notre marché.

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SCÈNE I.

DAMIS, seul.

Je ne me connois plus aux transports qui m'agitent.
En tous lieux, sans dessein, mes pas sc précipitent.
Le noir pressentiment, le repentir, l'effroi,
Les présages fâcheux volent autour de moi.
Je ne suis plus le même, enfin, depuis deux heures.
Ma pièce, auparavant, me sembloit des meilleures :
Je n'y vois maintenant que d'horribles défauts,
Du foible, du clinquant, de l'obscur et du faux.
De là, plus d'une image annonçant l'infamie;
La critique éveillée; une loge endormie;
Le reste, de fatigue et d'ennui harassé;
Le souffleur étourdi; l'acteur embarrassé;
Le théâtre distrait; le parterre en balance,
Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence;
Mille autres visions, qui toutes dans mon cœur
Font naître également le trouble et la terreur.
Voici l'heure fatale où l'arrêt se prononce!
Je sèche. Je me meurs. Quel métier! J'y renonce.
Quelque flatteur que soit l'honneur que je poursuis,
Est ce un équivalent aux horreurs où je suis?
Il n'est force, courage, ardeur qui n'y succombe.
Car enfin, c'en est fait ; je péris, si je tombe.
Où me cacher? Où fuir? Et par où désarmer
L'honnête oncle qui vient pour me faire enfermer?

LA METROMANIE. ACTE V, SCÈNE. I. 109 Quelle égide opposer aux traits de la satire? Comment paroître aux yeux de celle à qui j'aspire? De quel front, à quel titre, oserois-je m'offrir, Moi, misérable auteur, qu'on viendroit de flétrir? (Il se tait quelque temps, et se promène à grands pas comme un homme extrémement agité. )

Mais mon incertitude est mon plus grand supplice.
Je supporterai tout, pourvu qu'elle finisse.

Chaque instant qui s'écoule, empoisonnant son cours,
Abrège au moins d'un an le nombre de mes jours.

SCÈNE II.

M. FRANCALEU, M. BALIVEAU, DAMIS.

M. FRANCALEU, à Damis..

Ea bien! une autre fois, malgré mes conjectures,
Vous fierez-vous encore à vos heureux augures,
Monsieur? J'avois donc tort, tantôt, de vous prêcher,
Que lorsqu'on veut tout voir, il faut se dépêcher?
Voilà, pourtant, voilà la nouveauté... flambée.

DAMIS, à part, comme un homme bien soulagé.
(Haut.)

Et mon sort décidé! Je respire. Tombée?

M. FRANCALEU.

Tout à plat.

DAMIS.

Tout à plat!

M. BALIVEAU.

Oh! tout à plat.

DAMIS.

C'est qu'ils auront joué comme des étourdis.

Théâtre. Coma en vers. 10.

Tant pis!

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