AN. R. foient contre les Loix, & condannés 619. Av. J. C. 133. à reftituer tous les fruits qu'ils en avoient perçus injustement, il se contenta d'ordonner qu'ils en sortiroient après avoir reçu du public le prix de ces terres qu'ils retenoient, & que les citoyens qui avoient besoin d'être foulagés y entreroient en leur place.. Plaintes Il paroissoit au Peuple, que les Riches des ri- devoient être bien contens qu'on ne ches contre leur impofât aucune peine pour le Tibé- paffé, & qu'on exigeât d'eux seulerius. ment qu'ils laissassent rentrer dans Appian leurs biens ceux qu'ils avoient dé Civil.l.1. 'pouillés. Mais les Riches eux-mêmes étoient bien éloignés de penser ainfi. Ils représentoient que ces terres étoient des biens qui étoient d'un tems immémorial dans leurs familles; qu'ils y avoient bâti, qu'ils les avoient plantées, qu'ils y avoient les tombeaux de leurs péres. C'étoient des partages entre fréres, ou bien ils avoient employé la dot de leurs femmes pour les acquérir, ils les avoient données en mariage à leurs enfans: ou enfin ils avoient emprunté sur ces fonds, qui se trouvoient hypothéqués pour le payement de leurs dettes. Grandes difficultés sans doute, & qui nous don nent lieu de penser que c'est avec rai- AN. R. fon que Lélius dans son Tribunat ayant 619. Av. J.C. eu la même idée que Tibérius, l'aban133. donna, & mérita par cette circonspection le surnom de Sage, qui lui a fait tant d'honneur dans la postérité. Les Riches donc justement allarmés s'élevoient contre la Loi, & pafsoient même jusqu'à attaquer la personne du Législateur, entreprenant de perfuader au peuple que Tibérius ne proposoit ce nouveau partage des terres que pour susciter de grands troubles dans la République, & pour la mettre en combuftion. Ils ne gagnérent rien par tous leurs cris & toutes leurs plaintes. Tibérius les battoit en ruine : & foutenant une cause dont le coup d'œil étoit toutà-fait honnête & juste, avec une éloquence qui auroit pu en faire passer une injuste & mauvaise, il se rendoit terrible à ses adversaires, lorsque tout le Peuple étant assemblé autour de la Tribune aux harangues, il venoit à faire valoir en faveur des pauvres des raisons spécieuses & populaires, qui ne pouvoient manquer d'être applaudies par un auditoire intéressé à les trouver bonnes. Les bêtes sauvages. 619. AN. R. qui font répandues dans les montagnes dans les forêts de l'Italie, disoit-il, Av. J.C. ont chacune leurs forts & leurs taniéres 133. pour s'y retirer: mais ces braves Romains, qui combattent & qui s'exposent à la mort pour la défense de l'Italie, ne jouissent que de la lumière & de l'air qu'on ne peut leur ravir, & ne possédent ni toit ni chaumière qui puiffe les mettre à couvert de l'injure du tems. Sans maisons, fans retraite, ils errent dans le sein même de leur patrie avec leurs femmes & leurs enfans, comme de malheureux bannis. Leurs Généraux dans les combats les exhortent à combattre pour leurs tombeaux & pour leurs dieux domestiques : parmi tout ce grand nombre de Romains, il n'y en a pas un seul qui ait ni autel paternel, ni tombeau de ses ancêtres. Ils ne font la guerre & ne meurent que pour entretenir le luxe & pour augmenter les richeffes des autres; & l'on ne rougit point de les appeller les maîtres de l'Univers, lors qu'effectivement ils n'ont pas un feul pouce de terre qui leur appartienne. A ces paroles, qu'il prononçoit avec une forte d'enthousiasme, qui marquoit a qu'elles partoient du cœur, & qu'il étoit vivement touché des AN. R. malheurs du Peuple, il n'y avoit au-619. Av. J.C. cun de ses adversaires qui osat rien opposer. Les inconvéniens du renversement des fortunes, & de la ruine des premiéres familles de Rome & de l'Italie, pouvoient sans doute frapper des esprits capables de raisonner & de réfléchir. Mais une multitude amorcée par l'espérance d'établissemens commodes & gratuits, & prévenue de raisons telles que nous venons de les voir étalées par l'éloquent Tribun, étoit absolument fermée à tout ce qu'on auroit pù lui représenter de plus fort au contraire.. Ainsi les Riches abandonnant le parti de répondre à Tibérius, s'adressérent à M. OctaOtavius, l'un des Tribuns, jeune hom-vius un me grave dans ses mœurs, plein de des Col legues modération & de sagesse, & d'ailleurs de Tiami particulier de Tibérius. Aussi berius, Octavius, par considération pour lui, s'opporefusa-t-il d'abord de s'opposer à fon Loi. Ordonnance. Mais la plupart des Grands de Rome le pressant & le conjurant de les seconder, enfin, comme entraîné par cette violence, il s'éleva contre Tibérius, & s'opposa à sa Loi. Or l'opposition d'un seul 133 fe à fa AN. R. Tribun arrétoit tout, & tant qu'el619. le subsistoit on ne pouvoit paffer Av. J.C. 133. Tibé gagner outre. Tibérius, irrité de cet obstacle, rius ta-retira cette loi dans laquelle, comme che de nous l'avons remarqué, il avoit gardé fon Col des ménagemens, & en proposa une légue autre, plus sévére contre les riches, par dou- &, par cette raison, plus agréable au mais in-Peuple. Elle ordonnoit que tous ceux utile- qui poffédoient plus de terres que les anciennes Loix ne le permettoient, les quitteroient sur le champ, fans parler d'aucun dédommagement. ceur, ment. Tous les jours il se livroit des combats entre lui & Cctavius dans la Tribune. Mais quoiqu'ils parlassent avec la derniére véhémence, ils ne se dirent jamais l'un à l'autre rien d'offensant, & dans la colére il ne leur échapa pas un mot que l'on pût taxer d'indécence: tant la bonne éducation a de force sur les esprits pour les contenir dans les bornes de la sagesse & de la modération! Tibérius craignant qu'une vue particulière d'intérêt ne fit agir Octavius, parce qu'il possédoit lui-même une affez grande quantité de ces terres qui relevoient de la République, pour l'enga |