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qu'un autre est civilement obligé envers lui tend à changer l'état ordinaire des choses, et il doit prouver le bien-fondé de sa prétention : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver» (art. 1315). En outre, on doit naturellement voir dans le fait de la possession le signe apparent du droit de propriété, et, de même que toute personne est présumée libre d'obligations jusqu'à preuve contraire, pareillement, tout possesseur doit être présumé propriétaire jusqu'à preuve contraire, et quiconque produira une allégation tendant à changer cet état de choses devra prouver que sa prétention est fondée. Une fois que le demandeur a justifié sa demande, le défendeur qui allègue une exception quelconque tend à changer la position acquise à son adversaire, et alors, devenant à son tour demandeur, il doit prouver la vérité de son allégation; reus excipiendo fit actor. « Rẻ

ciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le << payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obli<«<gation (art. 1315 2o). »

La personne qui allègue un fait nouveau doit, disons-nous, le prouver, et cela est vrai, que ce fait soit positif ou qu'il soit négatif. Mais, dit-on, comment prouver un fait négatif? Le néant n'échappe-t-il point, par sa nature même, à toute démonstration? Par exemple, comment prouver que telle femme n'est pas légitimement mariée avec tel homme? Évidemment la preuve d'un fait négatif n'est pas directement possible; mais elle l'est presque toujours indirectement, et par la preuve d'un fait positif, dont l'existence est incompatible avec celle du fait négatif. Ainsi, je prouverai que telle femme n'est pas légitimement mariée à tel homme, en prouvant qu'elle était légitimement mariée à tel autre qui vit encore, à une époque antérieure à celle où peut se placer son second mariage. Pareillement, je prouverai que vous n'avez pas de servitude sur mon fonds, en établissant que j'en ai la propriété libre et franche de toutes charges. Cependant il est certains faits négatifs que l'on ne peut prouver, parce qu'il

faudrait établir l'existence d'un nombre indéfini de faits positifs contraires. Ainsi, je ne puis prouver que je n'ai jamais vu telle maison de la ville où j'habite, car il me faudrait pour cela établir qu'à tout instant de ma vie, j'ai été en un lieu d'où je ne pouvais voir la maison, fait que, dans la plupart des cas, il sera impossible de démontrer. Dans cette hypothèse ou autres semblables, la preuve du fait négatif n'étant pas fournie, la prétention de celui qui l'allègue devra nécessairement être rejetée.

Disons un mot d'une question que nous avons soulevée à propos de l'art. 1132. Les obligations civiles sont valables, avons-nous dit, lors même que leur cause n'est pas exprimée dans l'acte. Ainsi, est valable le billet suivant : « Je vous payerai 10 le premier mai prochain. » Maintenant il s'agit de savoir si c'est au créancier à prouver que la cause existe, ou si c'est au débiteur à prouver qu'elle n'existe pas. Les uns prétendent que c'est au créancier à prouver que la cause existe, et voici comment ils raisonnent: aux termes de l'art. 1131, toute convention sans cause est nulle; or, d'un côté, l'acte ne mentionne aucune cause, et, de l'autre, rien n'autorise à la présumer. Le créancier doit donc en prouver l'existence, pour établir qu'il est véritablement créancier; il le doit d'autant plus, qu'il peut facilement prouver, par exemple, avoir remis au débiteur l'argent à raison duquel le billet a été souscrit, tandis que le débiteur ne peut véritablement pas prouver n'avoir jamais reçu d'argent. Les autres prétendent que c'est au débiteur à prouver l'inexistence de la cause, et ils argumentent ainsi : par cela seul que le débiteur a souscrit le billet, il a reconnu l'existence de la dette, et conséquemment celle de la cause. Lors donc qu'il vient alléguer avoir souscrit ce billet sans cause, il contredit un fait qu'il avait lui-même implicitement reconnu, et il tend à changer l'état de choses préexistant; il doit donc prouver l'absence ou la fausseté de la cause, puisque la présomption est qu'une cause a existé. Il est vrai que difficilement il pourra établir,

par exemple, que le créancier prétendu ne lui a pas remis l'argent à raison duquel il avait souscrit le billet; mais il est d'autant plus juste de lui faire supporter les suites de son imprudence, que le créancier lui-même serait le plus souvent dans l'impossibilité de prouver qu'il a prêté au débiteur l'argent dont il demande la restitution. Effectivement, les prêts ont presque toujours lieu sans témoins, le créancier livre la somme, et le débiteur livre le billet : la difficulté de la preuve est donc la même pour l'un et pour l'autre, et, dans le doute, on doit s'en tenir aux apparences, c'est-à-dire à la validité de l'obligation. Ce système nous paraît préférable. Ajoutons que, si l'on mettait le créancier dans la nécessité de prouver l'existence de la cause, il n'y aurait véritablement aucune raison de ne pas le mettre aussi dans la nécessité de prouver la capacité du débiteur. Or, une telle conséquence est évidemment inadmissible. Concluons donc que tout billet civil, quels que soient ses termes, est réputé valable, tant que le débiteur n'a pas démontré l'absence d'une cause licite de l'obligation. Il faut toutefois apporter un tempérament à ce système, et décider que, si le créancier n'est pas tenu de prouver l'existence de la cause, il doit cependant indiquer sa nature en effet, ou la cause est licite, et alors il aurait mauvaise grâce à ne pas la faire connaître ; ou elle est illicite, et alors il faut que, mis par la nature même de la cause dans la nécessité de faire un mensonge, il puisse être combattu par le débiteur, qui prouvera la fausseté de la cause indiquée. Une fois cette fausseté établie, ce sera évidemment au créancier à prouver l'existence d'une cause morale et licite s'il veut obtenir l'exécution de l'engagement.

Des DIFFÉRENTS MOYENS de constater les faits juridiques. La connaissance des faits juridiques peut nous être acquise de trois manières différentes.

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2o Par les PREUVES;

3° Par les PRÉSOMPTIONS.

L'ÉVIDENCE est la perception directe et immédiate d'un fait déterminé. Rarement elle existe dans les contestations judiciaires, car les faits qui leur servent de base se sont presque toujours passés hors de la présence des magistrats. Toutefois, si un serment est prêté, ou si un aveu est fait à l'audience, ce serment ou cet aveu sont évidents pour le tribunal. En dehors des faits qui se passent à l'audience, les juges ne peuvent parvenir à la vérité que par voie de preuves ou de présomptions.

La PREUVE est la conséquence que la loi ou le magistrat tirent d'un fait connu à un fait inconnu, lorsque le fait inconnu résulte directement et immédiatement du fait connu. L'induction conduit dans ce cas à la conviction, et fait naître une certitude morale qui équivaut à l'évidence. Ainsi l'écrit destiné à constater une dette est une preuve, puisque cet écrit et cette dette sont unis l'un à l'autre par un lien direct, par une corrélation immédiate et nécessaire. Une preuve peut être écrite ou verbale : écrite, elle résulte, soit d'actes authentiques, soit d'actes privés; verbale, elle résulte soit de l'aveu des parties intéressées, fait en présence de témoins ou en justice, soit du témoignage de tierces personnes.

La PRÉSOMPTION est la conséquence que la loi ou le magistrat tirent d'un fait connu à un fait inconnu, quand le fait inconnu ne résulte pas immédiatement et directement du fait connu. La présomption ne fait donc pas naître la certitude morale; elle établit seulement une sorte de probabilité. Nous reviendrons plus tard sur ce point.

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ART. 1317. L'acte authentique est celui qui a été reçu par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises.

1318. L'acte qui n'est point authentique par l'incompétence ou l'incapacité de l'officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écriture privée, s'il a été signé des parties.

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1319. L'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause. Néanmoins, en cas de plaintes en faux principal, l'exécution de l'acte argué de faux sera suspendue par la mise en accusation; et, en cas d'inscription de faux faite incidemment, les tribunaux pourront, suivant les circonstances, suspendre provisoirement l'exécution de l'acte.

1320. L'acte, soit authentique, soit sous seing privé, fait foi entre les parties, même de ce qui n'y est exprimé qu'en termes énonciatifs, pourvu que l'énonciation ait un rapport direct à la disposition. Les énonciations étrangères à la disposition ne peuvent servir que d'un commencement de preuve.

1321. Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes : elles n'ont point d'effet contre les tiers.

Observation. Le mot TITRE a, comme nous le savons, plusieurs significations: tantôt il exprime une qualité, « à titre d'héritier, » tantôt il exprime un fait juridique, « à tititre de vente ou de donation, » et tantôt un écrit, sens qui est celui de notre section.

Définition du TITRE AUTHENTIQUE.

«Le titre authenti« que est celui qui a été reçu par officiers publics, ayant le « droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et «< avec les solennités requises (art. 1317). » Les officiers publics sont très-nombreux, on peut citer les notaires, les avoués, les greffiers, les huissiers, etc. La compétence des notaires est générale; celle des autres officiers publics est spéciale à de certains actes. La compétence à raison du lieu doit coexister avec la compétence à raison de l'acte, pour que celui-ci soit entièrement régulier. Ainsi l'acte de l'état civil dressé par un notaire serait nul pour incompétence à raison de la matière, et l'acte de vente dressé à Paris par un notaire de Bordeaux serait nul pour incompétence à raison du lieu. Quant aux solennités requises pour les différents actes, elles sont déterminées par des lois particulières, et notam

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