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Si c'est une donation de biens présents qu'un futur époux fait à son conjoint, elle ne sera point, aux termes de l'article 1092, censée faite sous la condition de survie du donataire, et, si ce donataire vient à prédécéder, les biens qu'il a reçus passeront à ses héritiers même en ligne collatérale, et ne retourneront pas au donateur. En d'autres termes, l'article 1092 applique aux donations de biens présents, faites entre époux par contrat de mariage, le droit commun admis pour les donations ordinaires de biens présents. Mais alors pourquoi s'est-il sur ce point formellement expliqué? C'est que, d'après les principes du droit écrit, les donations, même de biens présents, étaient faites sous la condition de survie de l'époux donataire à l'époux donateur. Le droit coutumier suivait la règle contraire, et le Code l'a reproduite. Au surplus il n'y a là qu'une présomption, et l'époux donateur peut très-bien faire la libéralité, sous la condition de survie de l'époux donataire.

Lorsque les futurs époux se font une donation, soit de biens à venir, soit de biens présents et à venir, soit sous des conditions potestatives de la part du donateur, on doit appliquer les mêmes règles et suivre les mêmes formes que lorsque c'est un tiers qui leur fait la donation. Il faut toutefois admettre deux exceptions à cette identité de règles. D'abord les donations qui étaient présumées faites en faveur des enfants à naître du mariage ne seront plus ici soumises à cette présomption. La loi va même plus loin, et elle déclare que la donation faite par un époux à l'autre n'est point transmissible aux enfants, en cas de décès de l'époux donataire,avant l'époux donateur (art. 1093). La raison de cette différence entre la donation faite par un tiers aux époux, et celle faite par un époux à l'autre, est facile à saisir; c'est que la donation faite par un tiers ne profiterait pas aux enfants en cas de prédécès de l'époux donataire, si ces enfants n'étaient pas subsidiairement appelés à la recueillir. Au contraire, lorsque la donation est faite par un époux à son futur conjoint, les

biens resteront toujours dans la famille, que la donation soit ou non caduque par le prédécès du donataire, car les enfants sont les héritiers du donateur qui reprend l'objet de la libéralité, tout comme ceux du donataire dont le prédécès rend cette libéralité caduque. Ils retrouveront dans le patrimoine du premier ce qu'ils eussent trouvé dans la patrimoine du second, et voilà toute la différence. Ce n'est point que leur substitution à l'époux donataire n'eût pu leur être utile. En effet, elle eût empêché le retour des biens entre les mains de l'époux donateur, qui peut-être les dissi pera; mais le Code a craint, avec raison, que la puissance paternelle appartenant à ce dernier ne fût trop affaiblie par l'appréhension immédiate de la libéralité par les enfants, et il a voulu prévenir ce grave inconvénient au moyen de la caducité dont il frappe la donation.

Faisons en second lieu observer que la donation dont il s'agit n'est pas, comme celle faite par un tiers aux époux, révocable pour cause de survenance d'enfants. La raison en est que les enfants du donateur sont aussi les enfants du donataire, et que la révocation eût intéressé l'époux donataire à n'avoir point d'enfants.

En vertu de la règle habilis ad nuptias, habilis ad nuptiarum consequentias, le mineur pourra faire ou recevoir toutes les donations dont nous venons de parler, à la seule condition d'être assisté de ceux dont le consentement est nécessaire pour la validité de son mariage (art. 1095).

Des donations faites ENTRE ÉPOUX PENDANT le mariage. Ces donations étaient prohibées par le droit romain et par un grand nombre de coutumes, parce qu'elles peuvent être le résultat d'une passion aveugle ou d'obsessions irrésistibles. Le Code les autorise, mais à la condition qu'elles soient et restent essentiellement révocables (art. 1096). A côté du danger se trouve donc le remède. La révocation pourra être expresse ou tacite expresse, elle résultera d'une déclaration soit par acte sous seing privé, soit par acte

authentique. Tacite, elle résultera de tout acte incompatible avec le maintien de la donation; par exemple, d'une donation postérieure, d'un legs, d'une aliénation quelconque, etc.

Pour que la révocation soit plus facile, il est interdit aux époux de se faire des donations par un seul et même acte (art. 1097).

Toutes les donations que les futurs époux peuvent se faire par leur contrat de mariage sont permises entre époux pendant le mariage. Toutefois, il existe plusieurs différences entre les donations faites entre futurs époux par contrat de mariage, et les donations qu'ils se font pendant le mariage.

Ainsi : 1° les donations faites avant le mariage sont essentiellement irrévocables, et cela se comprend : en effet, à ce moment les parties sont encore complétement indépendantes l'une de l'autre, et d'ailleurs la présence des personnes qui les assistent dans leur contrat de mariage est de nature à augmenter cette indépendance réciproque. On ne peut donc pas croire que ces donations n'aient été faites en pleine liberté, et il n'existe dès lors aucun motif de les déclarer révocables. Les donations faites pendant le mariage, au contraire, sont essentiellement révocables, et avec raison, comme nous l'avons dit précédemment.

2o Les premières donations sont dispensées de l'acceptation expresse; cette dispense n'existe point pour les se condes.

3o Enfin les donations de biens présents ne sont pas censées faites sous la condition de survie du donataire, lorsqu'elles le sont par contrat de mariage; il en est différemment, selon nous, de celles faites pendant le mariage, car ces donations sont révocables au gré du donateur. Or, comme les donations de biens à venir, de biens présents et à venir, ou sous des conditions potestatives de la part du donateur, sont, ainsi que nous l'avons vu, caduques par le prédécès du donataire, précisément parce que celui-ci n'avait point un droit défini

tif, à plus forte raison doit-il en être de même des donations qui sont absolument et directement révocables 1.

Les donations entre époux ne doivent pas, quoique révocables, être confondues avec les legs. En effet, la donation suppose deux volontés, et le testament n'en suppose qu'une. D'ailleurs pourquoi l'article 1096 aurait-il dit que ces libéralités ne sont pas révocables pour cause de survenance d'enfants, s'il n'y avait pas vu une véritable donation, car il est notoire que les legs ne sont pas soumis à cette cause de révocation? De là plusieurs conséquences. La première est que les biens passent actuellement, du moins quand la donation a pour objet des biens présents, dans le patrimoine du donataire, et sont ainsi soustraits, sauf le cas de fraude, aux créanciers du donateur; la deuxième, que le mineur âgé de plus de seize ans ne peut pas faire de donation à son conjoint, quoiqu'il puisse tester; la troisième, que la donation ne sera réduite qu'après le complet épuisement des legs; la quatrième, que la donation sera soumise, non pas aux formes du testament, mais à celles des donations.

La transcription ne sera pas inutile, quoique le donateur, maître de révoquer expressément ou tacitement la donation, puisse valablement disposer des biens. Elle aura pour effet d'empêcher que les créanciers du donateur puissent saisir les biens donnés, et que des hypothèques légales ou judiciaires les grèvent du chef de ce dernier.

De la quotité DISPONIBLE entre ÉPOUX. - C'est au décès du donateur que la quotité disponible doit être fixée; peu importe, d'ailleurs, que les libéralités soient faites avant ou pendant le mariage, par acte entre-vifs ou par testament.

La quotité disponible varie suivant que l'époux donateur ou testateur a laissé, soit un ou plusieurs ascendants, soit des enfants issus du mariage actuel, soit des enfants issus d'un mariage précédent.

1 Sic Poujol, art. 1096, n. 7.- Contrà, Troplong, t. IV, n. 2659. — Tou · louse, 26 fév. 1861.

Dans le premier cas, l'époux peut donner à son conjoint toute la quotité disponible ordinaire, plus l'usufruit des biens réservés aux ascendants (art. 109410); disposition étrange en effet, les ascendants étant presque toujours plus âgés que les époux, ils ne jouissent jamais des biens qui leur sont réservés.

Dans le second cas, l'époux peut donner à son conjoint, soit la moitié de ses biens en usufruit, soit un quart en pleine propriété et un quart en usufruit. Cette quotité estelle extensive ou restrictive de la quotité disponible ordinaire? Elle est extensive si l'époux peut donner à son conjoint ou cette quotité, ou la quotité disponible ordinaire, suivant que la première excède la seconde ou que la seconde excède la première. Elle est au contraire restrictive, s'il ne ́ peut jamais donner plus que cette quotité, puisque dans le cas où il existe un seul enfant, elle est inférieure à la quotité disponible ordinaire fixée par l'article 913 à la moitié des biens du disposant en pleine propriété.

Sur cette question, deux systèmes sont en présence : l'un soutient le sens extensif et l'autre le sens restrictif de la quotité disponible entre époux.

Le premier système se fonde sur trois arguments principaux, que voici :

1° Il serait absurde que l'un des époux ne pût pas toujours donner à l'autre au moins ce qu'il peut donner à un étranger, et qu'une qualité de laquelle dérivent tant de liens réciproques fût précisément un obstacle à une libéralité permise par le droit commun.

2o L'article 1094, qui règle la quotité disponible entre époux, était primitivement calqué sur les art. 913 et 916, qui fixaient à un maximum du quart la quotité disponible ordinaire seulement il ajoutait au quart en pleine propriété un quart en usufruit, étendant ainsi le disponible ordinaire. Maintenant les articles 913 et 916 ont été changés, et ils ont porté le maximum de ce disponible à la moitié des biens du

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