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rité de plufieurs Rois, avant que CÉSAR entrât dans leur pays. Le Comte de BoULAINVILLIERS préfume que la dignité de la Nobleffe étoit auffi ancienne parmi ces Peuples, que leur Gouvernement. Mais il n'y avoit chez eux pour gens de diftinction que les Druïdes [ leurs Prêtres] & les Chefs de la Nation. Ce fut CALIGULA qui fit ouvertement la guerre aux Nobles de la Gaule. Cet Empereur & fes Succeffeurs ayant, par leur violente domination, éteint ce qu'il y avoit d'ancienne Nobleffe dans les Gaules, on vit naître en fa place de nouveaux Nobles, formés par la Magiftrature fuivant le Droit Romain. Ceux-ci ne laifferent pas de s'attirer quelque confidération dans l'efprit des peuples; mais l'arrivée des Francs, depuis nommés François, diffipa dans peu toute leur grandeur.

Ces nouveaux Conquérans leur ôterent bientôt toutes les Magiftratures, & leur défendirent expreffément l'exercice des armes. C'est ce qui fit que la plupart d'entre les principaux Gaulois embrafferent l'état eccléfiaftique, ne trouvant point d'autre objet à leur ambition que ce genre de dignité, qui n'étoit pas en ufage chez les François, à caufe de leur ignorance du latin, qu'ils n'apprirent jamais affez bien pour le parler en public.

Ces François, dans leur origine, étoient un Peuple du Nord, étranger à l'égard des Gaulois & des Romains, & par conféquent compté au nombre des Barbares. Ils méritoient affez ce nom par la groffiereté de leurs mœurs. Les anciens Auteurs les dépeignent amateurs de la liberté, vaillans, légers, avides de gain, inquiets & impatiens. A mesure qu'ils étendirent leurs conquêtes, la puiffance de leurs Chefs ou Rois s'éleva de même à proportion, & ces Peuples s'affujettirent en quelque forte, dans leur élection, à garder l'ordre fucceffif, de la maniere qu'elle fut pratiquée fous la premiere & la feconde race.

L'Hiftoire marque expreffément qu'il y avoit entre les François, des Seigneurs au fervice defquels le Peuple fe dévouoit, foit que ce degré de fupériorité fût un droit de leur naiffance, foit qu'il fût le fruit de leurs belles actions, ce qui paroît le plus probable. L'engagement que les inférieurs prenoient en cette occafion, étoit d'aider, de fervir, de mourir avec leurs Seigneurs dans les périls; & celui de ces Seigneurs, alors feulement Nobles de diftinction, étoit de défendre leurs Sujets & leurs Coutumes, & de les exempter de toute autre fervitude que de la leur. On voit, dès le berceau de la Monarchie, dans la perfonne de nos Rois tout l'éclat & la grandeur réelle qui

appartient au Chef d'une Nation fi belliqueufe, & en même tems les droits & les avantages que cette Nation a acquis & confervés fous la conduite & la protection de ces mêmes Rois.

Les Nations voisines de la nôtre, encore plus attachées que nous ne le fommes à la distinction des rangs, ont auffi confervé à leur Nobleffe l'idée de la fupériorité comme due à la naiffance, & prife dans le fang des Conquérans.

Hidalgos, fils de Goth, fignifie parmi les Espagnols la même chofe que Noble & Gentilhomme parmi nous, parce que les Goths ont été les Conquérans de l'Espagne, comme les François de la Gaule; &, entre ceux-là, les Aragonois ont confervé dans la plus importante de leurs cérémonies, qui eft celle du Couronnement de leurs Rois, un formulaire qui fait connoître que les Nobles ne prétendoient point fe donner un Roi pour augmenter leurs priviléges & leurs dignités, mais pour conferver ceux qu'ils poffédoient au droit de leur naiffance, en choififfant un de leurs pareils pour Chef de tous les autres, afin qu'il les conduisît & les gouvernât conformément aux Loix établies.

Les Maifons diftinguées du Royaume d'Angleterre cherchent leur origine dans le fang des Normands & des Saxons, & elles justifient leur antiquité par l'étymologie de leurs noms, qu'ils tirent de la Langue de ces deux Peuples.

Ceux qui, comme les Allemands, fe croient Aborigènes (b), font monter fi baut le commencement de leur Nobleffe, que la mémoire des hommes, qui conserve à peine l'hiftoire des grands événemens, eft facilement confondue dans ces recherches particulieres, & ne préfente au-deffus des titres, qui font affez modernes, qu'une tradition à laquelle on fait tenir la place d'une preuve dans une telle antiquité. Tant il est vrai que toute l'Europe Occidentale concourt dans un fentiment commun de caractériser la Nobleffe par l'avantage du fang, aussi ancien que la Royauté. En effet, quand on remonte à l'origine de ces Peuples, qui ont formé les différens États dont nous venons de parler, on voit que cette dif tinction du fang fut la récompenfe du mérite & des fervices rendus à la Patrie, généralement reconnus de tous. C'est ainfi que l'amour de la gloire produifoit fans ceffe d'excellens Citoyens, & groffiffoit toujours la claffe des Nobles.

(5) Terme formé du greco, Montagne, & ylvos, Genus, comme qui diroit Race de montagnes, hommes qui femblent produits par les montagues qu'ils habitent.

Dans la fuite, l'enthousiasme ayant fait paffer les diftinctions de l'homme qui avoit bien mérité de fa Patrie, jufques fur fes fils, dans l'efpérance d'exciter davantage leur émulation; ces fils formerent ce qu'on appelle la Noblesse d'origine, & il arriva que, jouiffant de cet honneur par leur naiffance, ils négligerent fouvent de marcher fur les traces de leurs peres. Cette Nobleffe d'origine fut inconnue aux François fous les Rois de la premiere Race, & long-tems fous ceux de la feconde. Cependant il y avoit dans l'Etat deux claffes différentes de Citoyens; mais toutes les familles vivoient dans le même ordre: les diftinctions & les prérogatives n'étoient que perfonnelles & non héréditaires; & voilà cette Nobleffe de diftinction beaucoup plus ancienne que la Noblesse d'origine, puifqu'elle remonte à la naiffance des Peuples, ou du moins à celle des différentes Monarchies.

Si parmi les François quelque Citoyen fe diftinguoit par des actions éclatantes à la guerre, ou par un mérite fupérieur, le Roi le faifoit ANSTRUSTION OU LEUDE (c). On ne trouve point dans les anciens Écrivains les cérémonies que l'on pratiquoit à la réception d'un LEUDE; ils apprennent feulement que, pour prêter ferment de fidélité entre les mains du Prince, il étoit tiré de la claffe commune des Citoyens, & entroit dans un ordre fupérieur, dont tous les Membres, revêtus d'une No·bleffe perfonnelle, avoient des priviléges particuliers, tels, par exemple, que d'occuper dans les Affemblées générales de la Nation [appellées le Champ de Mars & dans la fuite le Champ de Mai] une place diftinguée; de former le Confeil toujours fubfiftant de la Nation [Cour de Juftice] dont le Roi étoit le Préfident, & où l'on réformoit les Jugemens rendus par les Seigneurs particuliers; & de ne pouvoir être jugés dans leurs différends que par le Prince & ce Confeil de la Nation (d).

(c) L'Auteur de l'Efprit des Loix dit que les LEUDES étoient ces Volontaires qui, chez les Germains, fuivoient les Princes dans leurs entreprifes. TACITE les défigne par le nom de Compagnons, Comites; la LOI SALIQUE par celui d'Hommes qui font fous la foi du Roi, qui funt in trufte Regis; les Formules de MARCULFE par celui d'ANSTRUSTIONS du Roi, du mot Trew, qui fignifie Fidèle chez les Allemands; & chez les Anglois True, Vrai. Nos premiers Hiftoriens le sont défignés par celui de LEUDES, de FIDELES, en latin Leudes, Fideles. Les autres qui les ont fuivis, par ceux de VASSAUX & de SÉNIEURS, en latin Fideles & Seniores.

(d) Les Ducs & Pairs du Royaume repréfentent ces anciens LEUDES, & forment, avec les Chambres affemblées du Parlement de Paris, le Confeil fubfiftant de la Nation, où le Roi préfide, quand il plaît à SA MAJESTE, comme quand il tient fon Lit-de-Juftice.

Leur Nobleffe, qui ne fe tranfmettoit point alors par le fang, laiffait leurs enfans dans la claffe commune des Citoyens, jufqu'à ce qu'ils euffent mérité, par des fervices perfonnels, d'être eux-mêmes admis à prêter le ferment de fidélité au Roi pour être reçus au nombre des LEUDES. Cette fage politique excitoit l'émulation, & donnoit de l'ardeur aux moins actifs. Mais l'amour de la gloire commença à s'affoiblir, lorsque la dignité de LEUDE ne fut plus attachée au mérite, & que les plus riches & les plus adroits à plaire y furent affociés: toute émulation même fut éteinte, quand des Efclaves, que leurs Maîtres venoient d'affranchir , y furent fcandaleufement élevés.

par

Chez les Romains, dans le tems de la République, une fimple Couronne flattoit infiniment ceux qui l'avoient méritée leurs belles actions. Chez les François, au commencement de la Monarchie, le don d'une Epée ou d'un Cheval, fait par le Prince, flattoit aufli infiniment le cœur d'un nouveau LEUDE; mais ces marques de diftinction, pour des fervices rendus à la Patrie, ne furent plus de faifon, quand la cupidité s'empara des cœurs; & alors nos Rois fe trouverent contraints d'y fubftituer une partie de leurs domaines.

Bientôt des Courtifans flatteurs & intriguans, fans être faits LEUDES, obtinrent les mêmes dons, qui ne furent d'abord qu'amovibles, & ils cefferent de l'être par le Traité de Paris de 695, qui contribua beaucoup à l'affoibliffement de la Puiffance Monarchique, parce que nos Rois alors, continuant toujours de donner, fe virent [après la mort des enfans de CHARLEMAGNE ] prefque fans domaines, & par conféquent prefque hors d'état de rien donner. C'est la juste remarque de tous nos Hiftoriens.

Ce Traité de Paris produifit encore un abus manifeste; les dons du Roi étant devenus héréditaires, les defcendans de ceux qui les avoient reçus, prétendirent que les prérogatives de la Noblesse y étoient attachées. Nos Rois, dont la foibleffe avoit befoin d'appui, n'arrêterent pas cette ufurpation dans l'efpoir que l'indulgence qu'ils faifoient paroître, attacheroit davantage à leurs perfonnes; & peu-à-peu on s'accoutuma à penfer que les fils des LEUDES tenoient de leur naissance les mêmes droits dont leurs peres avoient joui; & l'on commença à diftinguer dans l'État deux ordres, celui des François Nobles, & celui des François qui n'étoient pas Nobles.

Le titre de Chevalier, exprimé en latin par celui de Miles,

commença à paroître fur la fin de la feconde Race, & fut donné dans certains actes à quelques Seigneurs. Ce ne fut cependant que fous les premiers Rois de la troisieme, que ces Chevaliers commencerent à former un fecond corps, tant dans l'État que dans les Armées. Il y avoit alors une espèce de Jurifprudence qui régloit leur rang, leurs droits, leurs prérogatives, l'âge, les qualités & les autres conditions néceffaires pour parvenir à cette dignité. Ce qu'on appelloit Miles fous PHILIPPE - AUGUSTE, étoit un homme qui avoit fait preuve de Nobleffe par de bons titres, par fa valeur & fes belles actions, & à qui la Chevalerie avoit été conférée avec certaines cérémonies qu'on peut lire dans les Mémoires fur l'an cienne Chevalerie, de M. DE LA CURNE-SAINTE-PALAYE.

Ce n'étoit pas affez de la naissance pour parvenir à la Chevalerie, c'est-à-dire des preuves de Nobleffe de nom & d'armes [dont cependant nos Rois difpenfoient quelquefois] ; il falloit encore avoir l'âge de majorité, c'est-à-dire vingt-un ans, & avoir fait preuve de fon courage. C'est ce qui fait que dans nos Historiens on trouve beaucoup de Seigneurs de la premiere qualité qui n'ont que le titre d'Ecuyer. GUILLAUME LE BRETON, parlant du Seigneur de la Tourelle, qui s'étoit fignalé à la bataille de Bouvines, dit de lui:

Qui fieri Miles & origine dignus & actu.

Ce Seigneur de la Tourelle étoit à la vérité d'une grande naissance, mais il n'étoit point encore Chevalier. Nos Rois accordoient quelquefois la difpenfe d'âge, fur-tout aux enfans des Princes, Le Sire DE JOINVILLE écrit que SAINT-LOUIS fit Chevalier le fils du Prince D'ANTIOCHE, qui n'avoit que feize ans. Il fe trouve quantité d'autres exemples femblables.

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Ces Chevaliers avoient fous eux des Ecuyers: ceux-ci étoient de deux fortes, les uns portoient ce nom à caufe de la qualité de leurs Fiefs; & il y en avoit beaucoup de cette elpéce, fur-tout dans les États du Roi d'Angleterre. Ecuage eft appellé en latin fcutagium, c'est-à-dire fervitium fcuti, & tel tenant que tient fa Terre par écuage, tient par fervice de Chevalier.

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Les autres Ecuyers étoient généralement tous les Gentilshommes qui faifoient le fervice auprès des Chevaliers avant de parvenir eux-mêmes à cette derniere dignité: on les appelloit en latin Scutarii, Scutiferi, Armigeri. Leurs fonctions étoient d'être affidus auprès des Chevaliers, & de leur

rendre

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