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rendre certains services, fur-tout à l'Armée & dans les Tournois. Telles font l'origine & la différence des Chevaliers & des Ecuyers.

Quand les premiers prirent le parti de fe retirer du Parlement, & d'abandonner une de leurs plus anciennes & illuftres prérogatives, qui étoit celle de juger les Peuples [ce qui arriva fous les règnes des premiers VALOIS], les Légiftes refterent seuls; car déja les Prélats étoient exclus de cette Affemblée, où ils avoient eu droit d'opiner. C'eft ce qui donna dès ces tems-là, c'est-à-dire vers le commencement du quatorzieme fiécle, à la Robe cette confidération dont elle a toujours joui depuis ; & de-là vient cette diftinction, qu'on ne connoiffoit point autrefois, de la Noblesse d'Epée & de la Nobleffe de Robe.

On dit que les premieres Lettres d'annobliffement furent données en 1270 par PHILIPPE le Hardi en faveur de Raoul l'Orfevre, mais on trouve des annobliffemens dès le tems de PHILIPPE AUGUSTE (e). CHARLES V accorda la Noblesse à tous les Bourgeois de Paris : elle leur fut confirmée par CHARLES VI, LOUIS XI, FRANÇOIS I & HENRI II; mais HENRI III reftreignit ce privilége,en 1577, aux feuls Prevôts des Marchands & aux Echevins. Il fut fupprimé en 1667, rétabli en 1707; fupprimé de nouveau en 1715, & rétabli enfin en 1716, tel qu'il fubfifte aujourd'hui.

Le Fief eft une efpéce de dignité, fur-tout quand il est titré; mais, quoiqu'héréditaire, il ne communique point la Nobleffe aux Roturiers. Avant l'Ordonnance de Blois, le Roturier qui achetoit un Fief noble, devenoit Noble : par l'Article 268 de cette Ordonnance, HENRI III fupprima ce privilége. On compte en France environ 70000 Fiefs, dont 3000 ou environ font des Fiefs titrés, tels, par exemple, que les Principautés, les Duchés, les Marquifats, les Comtés, Vicomtés & Baronnies, &c. On compte auffi 4000 Familles ou environ d'ancienne Nobleffe, & environ 90000 Familles nobles, qui

(e) Ce fut VICTOR BRODEAU, dont nous parlerons au Tome II de ce Dictionnaire, qui fut annobli par ce Prince, au camp devant Acre en Egypte, à caufe des belles actions de fon pere & des fiennes. La traduction de ces Lettres d'annobliffe ment commence par ces mots : PHILIPPE, PAR LA GRACE DE DIEU ROI DE FRANCE, SALUT : le principal foin des Princes étant de récompenfer le mérite des hommes illuftres, nous le faifons en accordant la Nobleffe à VICTOR BRODEAU, dont le pere a fait des actions éclatantes dans la guerre facrée, & nous voulons qu'il porte fur fon écu trois pals en chef fur la croix recroifetée; donné à Paris l'an 1191.

toutes donnent 400000 têtes ou perfonnes, dont 100000 ou environ font toujours prêtes à marcher au premier ordre le fervice du Roi & la défense de la Patrie.

pour

La profeflion des Armes annobliffoit autrefois ceux qui l'exerçoient; mais HENRI IV, qui devoit cependant beaucoup à tant de braves Capitaines qui l'avoient fervi fi glorieufement, déclara, par fon Edit de 1600, qu'elle cefferoit d'annoblir & qu'elle ne feroit pas cenfée avoir annobli ceux qui n'avoient exercé cette profellion des Armes que depuis l'an 1.563, c'està-dire depuis l'époque des guerres de Religion en France. Mais Louis XV, en rétabliffant ce droit par fon Edit donné à Fontainebleau au mois de Novembre 1750, a prouvé le cas qu'il fait de la profeffion des Armes (ƒ).

De quelque maniere donc qu'on ait acquis la Noblesse, elle paffe aux defcendans de ceux qui l'ont obtenue. Mais cette grace, qui n'étoit d'abord accordée qu'à des fervices fignalés, fans fe tranfmettre par le fang, & qui continue d'être héréditaire par la bonté du Prince, rend les Nobles redevables eavers l'État, & fait qu'ils lui doivent les fervices perfonnels pour lefquels ils n'ont reçu prématurément une récompenfe fi honorable & fi utile, que pour les porter à donner aux autres Sujets l'exemple de l'amour, de la fidélité, de l'attachement & du zèle que nous devons tous au Roi & à la Patric.

Par ce que nous venons de dire, on voit que les diftinetions ont formé la Nobleffe perfonnelle; que de celle-ci eft fortie la Nobleffe héréditaire, cette Nobleffe de nom & d'armes d'origine qui a commencé au premier LEUDE, FIDÉLE OU ANSTRUSTION, dont l'origine n'étoit fouillée d'aucune tache de fervitude; car alors l'antiquité feule faifoit les Nobles, ou plutôt les Nobles étoient ceux qui fe diftinguoient par les fer

(f) Par l'Article X de cet Édit, tout Officier né en légitime mariage, dont le pere & l'ayeul auront acquis par leurs fervices l'exemption de la Taille, fera Noble de droit, après toutefois qu'il aura été créé Chevalier de Saint-Louis; fervi le tems prefcrit par les Articles IV & VI, ou profité de la difpenfe accordée par l'Artiele VIII; & ce, à compter du jour & de la date du Certificat. Cette Nobleffe, acquife par les Articles ci-deffus cités, paffe de droit, fuivant l'Article XI, aux enfans du dernier. Il y a une Déclaration du Roi, donnée à Verfailles le 22 Janvier 1752 interprétative de cet Edit du mois de Novembre 1750; voyez l'un & l'autre. Nous ajouterons feulement que les Articles I & II de l'Edit confere la Nobleffe aux Officiers Généraux, non nobles, à compter de la date de leurs Lettres ou Brevets de fervices, & demeurent annoblis avec toute leur poftérité, née & à naître en légitime mariage. Du nombre de ces derniers Officiers Généraux qui ont profité de cet Edit, étoit M. DE CHEVERT, dont la poftérité auroit été annoblie, s'il en avoit laiffé.

vices rendus à la Patrie. Ainfi quand un attachement à une ancienne Nobleffe eft le principe d'un amour inviolable pour la vertu, on ne peut trop en maintenir l'idée. Elle contribue au bonheur de l'humanité, mais l'orgueil & la vanité en sont fouvent le fruit.

La Nobleffe fe perd par le trafic & par le tenement des Terres à ferme, ainfi qu'il eft porté par l'Article 119 de la Coutume d'Orléans, Louis le Grand ayant voulu rétablir le Commerce maritime, donna une Déclaration qui permet expreffément aux Gens de qualité d'entrer dans le Commerce de Mer fans déroger, & Louis XV vient de le renouveller. En Bretagne, les Gentilshommes qui veulent trafiquer, laisfent dormir leur Nobleffe, & ceffent de jouir des priviléges qui y font attachés, pendant tout le tems que leur commerce dure; mais, dès qu'ils le quittent, ils reprennent leur Noblesse fans avoir besoin de Lettres de Réhabilitation. Une simple déclaration faite au Greffe, par laquelle ils renoncent au commerce, leur fuffit.

:

Un Noble qui déroge, perd fa Nobleffe, & ne peut être relevé que par une grace fpéciale du Prince. Les Auteurs ne s'accordent point entr'eux fur le degré jufqu'auquel des Lettres de Réhabilitation peuvent être accordées. LE BRET affure que cela fe peut jufqu'au feptieme degré; CHARLES D'HOZIER n'admet que le troifieme à demander cette grace; & LA ROQUE veut que ce foit jufqu'à l'infini, parce que, dit-il, les graces du Prince ne peuvent pas être plus bornées que fa puiffance.

HENRI IV aimoit beaucoup fa Nobleffe, & un jour un Ambaffadeur d'Efpagne lui ayant marqué fa furprise de ce qu'il étoit fouvent environné d'une foule de Gens de qualué & de condition, ce Monarque lui répondit : fi vous m'aviez vû un jour de bataille, ils me preffent bien davantage. Quel éloge de la Nobleffe de France, forti de la bouche de HENRI IV!

Plufieurs tournent en ridicule la délicateffe des Allemands en matiere de Noblesse, mais ils ignorent de quelle conféquence il eft en Allemagne de ne pas fe méfalier. AMIOT-DELA-HOUSSAYE dit dans fes Mémoires qu'on voit à la porte de la fale où s'affemble le Chapitre de Trèves, encore un vieux tableau prefqu'effacé qui représente un fils naturel de l'Empereur CONRAD III, demandant un Canonicat de cette Eglife. Le Prevôt ou le Doyen lui répond au nom du Chapitre :

Domine, te filium Imperatoris effe credimus, proba te effe utrinquè Nobilem: " Seigneur, nous ne doutons pas que vous foyez fils de l'Empereur, mais prouvez-nous que vous êtes "Noble des deux côtés ".

כי

Pour être éligible aux Chapitres de Trèves, de Mayence & de Strasbourg, il faut faire preuve de feize quartiers de nobleffe paternelle & maternelle, fans méfalliance; & nous avons peu de Maisons en France qui puffent fournir des Chanoines à ces trois Chapitres, depuis fur-tout que l'ancienne Nobleffe n'a pas dédaigné de s'allier avec la Finance.

Les idées Espagnoles fur la Noblesse font à-peu-près auffi féveres que celles des Allemands. Dans leur efprit, il fuffit d'être Espagnol pour être Noble, fur-tout parmi les Caftillans, qui fe croient une efpéce d'hommes fupérieurs aux autres.

Quand le Duc de VENDÔME fit figner les Chefs de la Nobleffe Efpagnole en faveur de PHILIPPE V, plufieurs ajouterent à leur fignature, Noble comme le Roi. Le Duc qui ne vouloit préjudicier en rien aux affaires du Prince pour lequel il agiffoit, les laifla faire; mais il perdit patience, quand l'un d'entr'eux, allant encore plus loin que les autres, ajouta à la qualité de Noble comme le Roi, cet mots: un poco piu, UN PEU DAVANTAGE; apparemment, lui dit le Duc de VENDÔME, vous ne révoquez pas en doute la nobleffe de la Maifon de France, la plus ancienne de l'Europe?.... Non, Seigneur Duc, reprit l'Espagnol, mais PHILIPPE V eft FRANÇOIS, & moi je fuis CASTILLAN.

On compte quatre claffes de Nobleffe; la premiere, est celle des Princes du Sang; la feconde, celle de la Haute Noblesse; la troifieme, celle de la Nobleffe ordinaire; & la quatrieme, celle des nouveaux annoblis. Cette division n'est pas nouvelle, beaucoup d'Écrivains s'en font fervi. Mais depuis que FRANÇOIS I voulut bien fe qualifier de premier Gentilhomme de fon Royaume, quelqu'augufte que foit la naissance des Princes du Sang, on peut, fans craindre de leur déplaire, les placer à la tête de la Noblesse.

Plufieurs Auteurs mettent de la différence entre Gentilhomme, Homme de qualité & Homme de condition. Le fils d'un Homme annobli, difent-ils, est Gentilhomme, & fa fille Demoiselle; & les enfans de la haute Nobleffe & d'ancienne Race, mais fans illuftration, font Gens de condition.

Pour nous, nous nous bornons à diviser la Noblesse, en

Nobleffe de race & Nobleffe de naifance. Ceux dont les ancêtres ont toujours paffé pour Nobles, & dont on ne peut découvrir l'origine, font Nobles de race; ceux dont les ancêtres ont été annoblis, quand même leur annobliffement remonteroit jufqu'au regne de PHILIPPE-AUGUSTE, qui eft l'épodes premiers, ne font Nobles que de naiffance; car leur acte d'annobliffement prouve qu'ils ont été Roturiers, au lieu la Noblele de race n'eft fondée que fur la poffeffion; & que fi le titre paroiffoit, il la détruiroit.

que

Il y a en France des Charges confidérables, qui, quoiqu'elles ne foient pas Charges de la Couronne, donnent rang parmi la haute Nobleffe: telles font celles des premiers Gentilshommes de la Chambre du Roi, celles des Capitaines de fes Gardes, &c. La haute Nobleffe comprend auffi les Chevaliers du Saint-Esprit ; ceux qui commandent la Nobleffe, comme les Maréchaux de France, les Gouverneurs des Provinces, les Lieutenans-Généraux, &c. Il y a encore certaines Familles illuftres, mais qui, fans pofféder aucune Charge, ont auffi rang parmi la haute Nobleffe.

En Normandie, ceux qui font dans l'ordre de la Nobleffe ordinaire, font appellés Nobles; &, dans la plus grande partie des autres Provinces du Royaume, ils ne font qualifiés que d'Ecuyers. Cependant il y en a dont la manie est de se titrer de Chevaliers, de Marquis, Comtes, &c. même de HAUTS & PUISSANTS SEIGNEURS; qualifications auffi que des Tabellions de Campagne, ou le Bailli d'un petit Seigneur, donne à cet Ecuyer, qui fouvent n'a pas cent ans de Nobleffe. LE SAGE & DESTOUCHES [ ces célebres Comiques], l'un dans sa Comédie de Turcarel, & l'autre dans celle du Glorieux, ainfi que BOURSAULT dans fon Mercure Galant, en ont bien fait la critique.

Quoi qu'il en foit, nous allons donner dans cette nouvelle Édition du Dictionnaire de la Nobleffe, les GÉNÉALOGIES des Nobles de race & des Nobles de naiffance, d'après les Mémoires qu'on nous a fait paffer, & nos recherches, tant fur les Familles qui fubfiftent, que fur celles qui font éteintes. Il eft inutile, comme nous l'avons dit ailleurs (g), de re

(8) Dans le Prospectus de cet Ouvrage, publié au mois de Mars 1769.

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