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» ennemis, des prifonniers de notre Na» tion? Les François tiennent captifs un grand nombre des nôtres; confervons » ces femmes pour faire un échange avan»tageux, nous en gagnerons vingt pour un; le François refpecte & adore ce » fexe. Le Ciel, je crois, agit alors fur » mes compatriotes; mon avis a été gé

néralement adopté ; l'exécution vient » d'en être jurée à haute voix, & les clameurs que vous avez dû entendre, vous en affurent : je fuis chargé, ajouta»til, de vous garder avec les deux fem» mes Iroquoifes, & de prendre foin de » votre sûreté ». Cette relation avoit faili la Comteffe d'horreur; mais la naiveté de Morback, en lui faifant cet affreux récit avec une froideur étonnante, me put, ainfi qu'elle l'avoue elle-même dans la fuite de cette hiftoire, s'effacer de fon efprit. Après un an de craintes & de louffrances, la guerre qui continuoit procura enfin à la Comteffe la douceur de voir deux Officiers de fa Nation. Son premier foin fat de leur demander des nouvelles de fon malheureux époux. Mais le récit qu'ils lui firent de l'incendie de fon vaiffeau, ne fervit qu'à confirmer les craintes de cette femme infortunée. Souftermond,

c'eft le nom d'un de ces Officiers, étoit un homme d'une probité reconnue ; il entendoit la langué des Iroquois, & s'étoit acquis de la confidération parmi les chefs, en leur promettant de les aider dans leur querelle auprès du Gouverneur du Canada. Ce fut à fes foins généreux que la Comteffe d'Alifax dut fa liberté. Le Gouverneur du Canada les recueillit l'un & l'autre dans fon Palais. Le caractère de Souftermond plut infiniment à ce Gouverneur ; & pour se l'attacher & le tirer de la misère où les malheurs l'avoient réduit, il lui confia un emploi honorable & très-avantageux, qui le mit au bout de deux ans fort à fon aife. Ce Gouverneur bienfaifant défrayoit libéralement la Comtefle, tandis qu'elle écrivoit lettres fur lettres en Angleterre, fans recevoir aucunes réponses : elle ignoroit que le fort obftiné à la perfécuter l'avoit encore privée de fon père & de fon oncle, & qu'un Intendant infidèle s'étoit emparé de tous leurs effets, fous prétexte d'attendre des éclairciffemens fur fa deftinée. Ses biens dans la Caroline lui demeuroient; mais ils exigeoient des foins dont elle n'étoit point capable. Cette détreffe, dont le Gouverneur fut touché, lui fit

imaginer un expedient qu'il lui propofa avec toute forte de ménagement: un jour fe trouvant feul avec elle, il lui demanda quels étoient fes projets pour la fuite de la vie : « je n'en puis former, lui répondit » la Comtelfe; abandonnée de ma pro» pre famille, privée d'un époux que » j'adorois, je n'ai plus qu'à traîner ici » une mourante vie; hélas ! je la perdrois fans regret, Gi Mi Flore pouvoit fe paf»fer de mon fecours; elle me perce » l'ame... Eh bien! reprit le Général, » il faut faire un effort pour elle; Souf

termond eft d'une noble origine, & » le plus galant homme que j'aie jamais » connu, fon refpect eft tel qu'il n'a » jamais ofé vous déclarer la paffion qu'il » reflent pour vous donnez un appui à » votre fille & à vous même en l'épou » fant...—Ah ciel ! s'écria la Comteffe, » que me propofez vous? Serois je capa»ble de faire cette injure à la mémoire » de mon cher Alifax, dont l'image eft » pour toujours gravée dans mon cœur ». Le Général ne la preffa point davantage alors; mais il revint tant de fois à la charge,lui alléguant fans ceffe les intérêts de Milf Fore & la néceffité d'être accom pagnée à la Caroline, qu'elle fe rendit &

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époufa Souftermond. La Comteffe eftimoit fincèrement ce nouvel époux qui ne fongeoit qu'à lui plaire, & donnoit à Mill Fiore les foins du père le plus tendre: cependant elle ne pouvoit lui accorder de l'amour. Ils fe difpofoient ferieufement à leur voyage de la Caroline lorfque dans une promenade un rayon de foleil frappa fi vivement la Comteile à la tête, que non feulement il changea pour toujours la couleur de fon teint, mais qu'il la réduific à l'extrémité par une fièvre violente, dont elle fut attaquée à l'heure même. Ce contre-temps, qui für fuivi d'une déclaration de guerre entre les François & les Anglois, ne leur permit plus de fonger à leur voyage. Le temps s'écouloit en Canada, & le trifte cœur de la Comteffe fentoit toujours la priva tion de ce qui lui avoit été fi cher; mais les tendres fentimens de Souftermond allégeant fes peines, elle lui favoit gré de J'entretenir fouvent de fon ami Alifax. Ce fut dans cette trifte occurrence qu'une maladie aiguë emporta Souftermond en trois jours, & lailla la Comteffe privée de toute confolation. Elle éprouva alors, ainfi qu'elle l'avoue dans le récit qu'elle fait de fes malheurs, que fans amour

on peut être vivement attaché. Lorfque Milady Soutermond faifoit ce récit, elle vivoit alors retirée depuis plufieurs années dans une folitude fituée en Ecoffe fur les bords de la mer. Et à qui racontoit-elle fes infortunes? Au Comte d'Umby, à Milord Alifax lui-même, à cet époux qu'elle ne ceffoit de regretter, & qu'elle venoit de recevoir chez elle comme un fimple étranger qui lui demandoit l'hofpitalité. Alifax, héritier du Comte d'Umby fon oncle, avoir pris fon nom ́, fes armes & jufqu'à fes livrées. Le Lecteur fera un peu furpris que ces deux époux, quoique féparés depuis plus de neuf ans, ne fe foient pas d'abord reconnus. Mais l'Hiftorien de cette anecdote a eu foin de nous prévenir que les infortunes, les fatigues, les maladies avoient beaucoup altéré leurs phyfionomies. La certitude où ces époux penfoient être que chacun d'eux avoit été la victime de fon malheureux fort, 'pouvoit encore les empêcher de fe reconnoître. Ces citconftances produifent ici une fituation qui n'eft cependant point fans exemple, & dont l'Auteur de cette nouvelle a fçu tirer parti. La reconnoiffance qui la termine, intéreffe particulièrement le Lec

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