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avoit hérite des titres & des biens de Milord, Comte d'Umby fon oncle avoit la plus grande partie de fa fortune en Amérique. Sa préfence y étoit néceffaire. La Comtelfe d'Alifax, fa femme, qui aimoit tendrement fon mari, voulut l'accompagner. Ils emmenèrent avec eux Mil Fiore leur fille. Cet enfant, encore en bas âgé, étoit trop chère à fes père & mère pour qu'is confentiflent à s'en féparer pendant leur féjour à la Caroline. Tout étant difpofé, ils s'embarquèrent. Leur navigation fut fort heureuse jusqu'à l'embouchure du Fleuve Saint-Laurent: ce n'étoit pas directement leur chemin ; mais le Comte d'Alifax avoit pris la route du Canada pour terminer une discuffion immense avec un vieux Négociant qui venoit de fe retirer à Québec: ce détail demandoit abfolument les foins & la préfence du Comte. En entrant dans le fleuve, ils avoient obfervé, avec leurs télescopes, une multitude de canots raf femblés, qui formoient comme une petite flotte: ils reconnurent depuis que c'étoit une armée d'Iroquois, qui fe tenoit fur la défenfive contre les forces du Gouverneur de Canada, avec qui ils étoient en guerre. La crainte de tomber entre

les mains de ces barbares, eût peut-être troublé nos Voyageurs, fi la préfence d'un péril plus éminent ne les eût occupés. Dans le même inftant, un matelot cria qu'il voyoit une épaiffe fumée fortir d'une des écoutilles. Alifax commandoit le vaiffeau, & ne perdit point la tête : il employa toutes les refources humaines; mais malgré les foins, le feu éclata. Son époufe, pénétrée à ce terrible afpect de mille frayeurs, fe jera à fon col, en tenant fa fille par la main. Elle perdit bientôt toute connoiffance ; &, revenue à ellemême, elle fe trouva fur le rivage, environnée de Miff Flore, des trois femmes qui la fervoient & du Chevalier de Sommurs, dont les foins généreux la fauveFent da trépas. C'étoit à la pruden、e de cer ami que le Comte d'Alifax avoit confié fa femme & fa fille, qu'une chaloupe venoit de tranfporter fur le rivage. Pendant ce temps, Alifax donnoit tous fes foins à fon vaiffeau; mais fon activité fuc inutile, le bâtiment fauta avec fracas. Dans cette extrémité, par le hafard le plus heureux, une partie confidérable du grand mât fe préfenta au Comte; il eut la force de l'embraffer & de monter deffus. Aidé alors d'un courant & avec des efforts

incroyables, il gagna les bords d'une le inhabitée. Cependant la Comtelle, qui favoit le danger éminent auquel fon époux avoit été exposé, désespéroit de le revoir jamais. L'âge & la foiblelle de Mill Flore fa fille, & la crainte de fe trouver bientôt à la merci d'un peuple féroce & barbare, ou de moutir de faim & de misère, tendoient fa fituation encore plus cruelle, fituation que l'on jugera bien au-dellus du courage d'une femme de vingt & un ans. Le Chevalier de Sommers cherchoit à calmer les craintes de la Cointelle, dont les alarmes fe réalisèrent bientôt à la vue d'une troupe d'Iroquois qui venoit du milieu d'un bois épais. Cette troupe fondit fur eux. Une telle capture à laquelle ils ne s'attendoient pas, les charma. Ils forcèrent le Chevalier de Sommers & fa fuite de les fuivre. La Comteffe, fa fille & les femmes qui la fervoient, furent conduites dans une plaine où il y avoit une multitude de cabanes faites de branches d'arbres, doublées de peaux féchées au foleil. On les établit dans la plus grande fous la garde de deux femmes Iroquoifes, en leur recommandant de veiller exactement fur eux, mais de les traiter avec douceur. La Comteffe, cap

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tive de ces barbares, eut encore la douleur de fe voir féparée du Chevalier de Sommers. Ce Chevalier, qui n'avoit pû avoir la permillion de lui offrir fes fervi ces, obtint du moins que fon domestique reftât auprès d'elle. Ce domeftique, nom. mé Morback, étoit un jeune Iroquois, que la reconnoiffance tenoit depuis quelques années attaché au Chevalier de Sommers, ancien Officier de Marine. Morback avoit fuivi fon bienfaiteur en Angleterre; actuellement dans fon propre pays, dont il déteftoit les cruels ufages, & vêtu à l'Angloife., il ne fut point reconnu par fes compatriotes. Mais le gé néreux Chevalier avoit engagé fon fidele efclave à fe découvrir, pour obtenir la permiflion de fervir la Comtefle dans fa captivité. Morback obéit aux ordres de fon maître, & obtint le foin de garder la Comteffe. Il avoit tremblé plufieurs fois fur fon fort, dont alors elle n'envifageoit pas toute l'horreur. « Voici, s'étoit » écrié le chef des Iroquois, en regardant » ces femmes, voici des morceaux bien friands; nous en ferons plus d'un repas, quand elles feront répofées». C'étoit en effet ce barbare motif qui caufoir pour lors les ménagemens qu'elles éprouvoient.

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Le lendemain, la Comteffe enfermée dans fa cabane, déploroit fa deftinée, & ie confumoit d'inquiétude fur le fort de fon époux & fur celui de fa fille; lorfque Morback, qui avoit été fort accueilli de fes compatriotes en Alattant leur goût, fe présenta devant l'infortunée Lady : « belle Dame, lui dit il, (c'étoit ainfi » qu'il l'appeloit dans le vaiffeau) je » t'apporte de bonnes nouvelles, tous » les périls font paffés ». La Comtelle l'écoutoit avec une émotion extrême, fans pouvoir imaginer le danger auquel elle avoit été expofée. Morback lui répéta enfuite le propos terrible qu'il avoit entendu la veille. Apprenez,

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ajouta Morback, apprenez que vous » êtes fous la puitfance d'un peuple antropophage, & qu'ici on trafique la chair humaine comme le ma Guron à

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Londres ; déjà, continua til, l'un des » nôtres fe difpofoit à venir découper vos » membres délicats & ceux de Mil Flore » pour les chefs; vos trois femmes étoient » destinées à régaler le reste de la tronpè: quand, avec beaucoup de ménagement, » je leur ai repréfenté un point d'honneur » facré entre nous. Abandonnerons nous, » leur ai-je dit, entre les mains de nos

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