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Il faut traiter le genre humain
Comme une coquette maîtreЯe
Qu'on aime un jour avec tendrefle
Et que l'on fuit le lendemain,
Qu'on querelle & qu'on fuit fans cefle
Si vous avez des ennemis,

Croyez-moi, c'eft un bien fuprême;
La bouche qui vous dit: Je t'aime,
En eft pour vous d'un plus grand prix.

LES SEURS DE LAIT.

Drame de Société.

PERSONNAGES.

Madame BEAUPRÉ, veuve.

JULIE, filles de Mde Beaupré, HENRIETTE, âgées de 12 à 14 ans. MATHURINE, Nourrice des filles de Mde Beaupré.

filles de Mathutine & fœurs MADELON Sde lait des filles de Mada

BABET,

S

me Beaupré.

La Scène eft chez Madame Beaupré.

Le Théâtre repréfente une Salle baffe de la Maifon de Madame Beaupré.

SCÈNE I.

Madame BEAUPRÉ, HENRIETTE.

Madame BEAUPRÉ traverse le Théâtre pour fortir: dans le même inftant Henriette le traverfe du côté oppofé; fa mère l'arrête.

V

ENEZ ici, Henriette; où eft votre fœur? HENRIETTE. Elle eft dans le jardin, où je crois qu'elle s'amufe à courir après des papillons.

Mde BEAUPRÉ. La belle occupation! Votre fœur est bien folle, bien légère ; elle n'eft cependant plus une enfant, & il me déplaît fort de la voir ainfi courir de minucies en minucies, avec autant d'ardeut que l'on en auroit pour les chofes les plus férieufes. Pour vous, Henriette, je fuis plus contente de vous; quoique vous ne foyez que la cadette, vous montrez plus de raifon, & vous êtes moins évaporée. Que faifiez-vous là haut?

HENRIETTE. Ma chère mère, je repaffois ma leçon de clavecin d'hier, parce

que mon maître m'a dit qu'il ne pouvoit pas venir aujourd'hui.

Mde BEAUPRÉ. C'est bien fait. Je fors pour quelques affaires; lorfque votre fœur fera rentrée, je vous charge de lui témoigner mon mécontentement. Je veux que vous lui donniez des leçons; &, comme vous avez plus de raifon qu'elle, j'entends qu'elle ait des égards pour vous, qu'elle vous écoute avec docilité. Diteslui cela de ma part; entendez-vous ? HENRIETTE. Oui, ma chère mère. (Mde Beaupré fort).

SCÈNE I I.

HENRIETTE feule.

(Mde Beaupré eft à peine fortie, qu’Henriette fe redreffe & fe regarde dans les glaces en fe donnant des airs).

Pour cela, Mademoiselle Julie, je vais bien rabattre votre caquet. Quoique vous foyez mon aînée, il faudra que vous m'obéiffiez actuellement; oui, que vous m'obéiffiez; car c'est sûrement ce que ma mère a voulu dire. Auffi n'eft-il pas étrangè

que ce foit l'âge qui établiffe la fubordination? comme fi, quoique plus jeune, on ne pouvoit pas être plus raifonnable. Moi, par exemple, ne fuis-je pas faire pour commander à cette folle-là, qui n'a non plus d'intelligence.... qui, au lieu d'étudier fes leçons de clavecin, s'amule à caufer avec le Jardinier & à lui voir planter les choux; qui eft affez fimple pour lui donner tout fon argent, placôt que d'en acheter des bijoux qui li feroient honneur,

SCÈNE 111.

HENRIETTE, JULIE.

JULIE entre d'un air d'empreffement : elle tient une boîte fermée. Ma fœur, ma fœur, wiens voir les beaux papillons que j'ai attrapés.

HENRIETTE d'un air dédaigneur. Oui, cela eft bien beau vraiment.

JULIE. Ils font charmans, te dis-je, je n'en ai point encore vu de plus brillans. HENRIETTE. Oui, en vérité, voilà une occupation bien digne d'une fille de votre âge.

JULIE. Tu te trompes, ma fœur, ce n'est qu'un amusement.

HENRIETTE. Eh bien, foit: voilà un amufement d'une belle espèce, & qui te fera bien de l'honneur dans le monde. Au lieu de t'appliquer à ton clavecin que tu négliges entièrement.

JULIE. Oh! mon clavecin m'ennuie & je ne veux d'amufemens que ceux qui me plaifent.

HENRIELTE. Tu as un goût vraiment diftingué.

JULIB. Comme tu voudras; mais veuxtu que je te le dife : j'aime la liberté, moi fur-tout dans mes divertiffemens. Qu'ai-je affaire de cet homme au ton rogue & dur, qui vient, d'un air de pédant, m'apprendre à me divertir, & qui ne parvient qu'à m'ennuyer autant que je le vois trèsfouvent s'ennuyer lui-même.

HENRIETTE pliant les épaules. Quelle petiteffe d'idées !

JULIE. Que veux-tu ? je pense comme cela. Je me plais fingulièrement dans notre jardin; j'y refpire un air de liberté qui m'enchante. La fleur que j'ai vue naître eft celle que je préfère pour me parer; je trouve, ce me femble, un meilleur goût au fruit que j'ai vu croître & mûrir,

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