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Encourager l'organisation de conférences régulières entre les instituteurs pour l'amélioration des méthodes et la propagation des livres utiles '.

L'utilité de ce vœu exprimé par M. Cousin ressort d'ellemême ; nous ne pouvons que le partager. C'est appliquer à l'étude de l'enseignement, la méthode de l'enseignement mutuel.

Sagement réglées, régulièrement suivies, des conférences périodiques entre les instituteurs d'un département ne peuvent manquer de porter d'heureux fruits; elles ont l'avantage de les faire sortir de l'isolement fâcheux où ils restent dans les communes rurales, d'établir entre eux des liens de bienveillance et d'information réciproques, de dissiper l'engourdissement de leur esprit, de développer en eux le principe fécond de l'émulation; l'échange des idées les multiplie; par la comparaison judicieuse des méthodes différentes, s'acquiert une connaissance plus approfondie que ne donnerait peut-être pas l'adoption successive de chacune d'elles. Pour ces motifs, les conférences régulières entre les instituteurs doivent donc être encouragées, n'eussent-elles que cet avantage de leur épargner souvent des tentatives infructueuses qui les feraient renoncer à l'exercice de leur raison pour rentrer dans le sillon de la routine; et par ce dernier mot, ce que nous entendons, c'est la préférence donnée sans examen, non par la prudence, mais par la paresse, à l'expérience des autres sur sa propre intelligence. La routine, c'est la superstition sans la foi; tout ce qui contribue à la détruire est bon.

'L'administration universitaire a reconnu les avantages des conférences entre les instituteurs, et a voulu encourager de semblables réunions. Un statut du 10 février 1837 règle tout ce qui est relatif à la tenue des conférences, qui doivent avoir lieu une fois par mois dans le semestre d'hi. ver, et deux fois par mois dans le semestre d'élé,

VI.

Substituer à l'idée de la formation des deux comités incompétents institués par les articles 17, 18 et 19 de la loi sur l'instruction primaire du 28 juin 1833, la création d'une hiérarchie d'instituteurs: 10 communaux, 2o cantonaux, 3o arrondissementaux, 4o départementaux.

A notre avis, toute surveillance exercée par des hommes sans autorité, c'est-à-dire confiée à des contrôleurs sans expérience et sans spécialité, quelque bien intentionnés qu'on les puisse supposer, risquera toujours d'être généralement plus nuisible qu'utile; si elle ne se borne pas à être inefficace et purement nominale, si elle ne dégénère pas en tracasserie décourageante et funeste, ce sera l'exception. En France, les fonctions gratuites, les mandats publics s'acceptent avec un empressement trompeur; on les considère, non comme une nécessité d'entreprendre de laborieuses études et d'acquérir des connaissances spéciales, mais, au contraire, comme un titre qui les confère par cela seul qu'il les suppose. Cela est un mal, un mal profond dont la vanité et la paresse, presque toujours étroitement unies, sont solidairement coupables. De là, tant de maires incapables, tant de conseillers municipaux ineptes, tant de lois fécondes en principe et stériles dans la pratique.

Le comité communal et le comité d'arrondissement, créés par la loi, ont précisément ce grave inconvénient d'être généralement composés de membres sans compétence ni spécialité, appelés à inspecter des méthodes qui leur sont inconnues, à contrôler des matières qu'ils ignorent, à prononcer sur le mérite d'un instituteur, qui, si peu qu'il sache, en sait plus que ceux qui le louent ou le critiquent; aussi, de leur part, l'éloge et la censure sontils généralement impuissants.

La force réelle d'une théorie se mesure dans l'application. Ne nous arrêtons pas au texte; jugeons les faits. De

deux comités institués par la loi en est-il un d'effectif? N'habitant point les lieux, le comité d'arrondissement ne peut voir par lui-même. On sait que l'intérêt s'affaiblit autant que s'accroît la distance. Chaque membre a ses affaires domestiques à traiter; il y vaquera, se reposant pour sa part de surveillance sur le zèle d'un collègue, lequel, la plupart du temps, se déchargera de tout souci sur l'activité du secrétaire, souvent habitué à composer à lui seul toute l'assemblée, à bâcler le procès-verbal de la séance, et à le faire ensuite signer par qui de droit dans un tranquille moment de loisir, sans qu'on le lise.

Quant au comité communal, son inspection peut aisément s'exercer sur le maître, les élèves et les bâtiments de l'école. Agent immédiat, il semble d'abord devoir être efficace; mais on oublie que son unique action, c'est la plainte, et que, dans près de trente mille communes, ce stimulant ne saurait être tenté, parce que le comité tombe lui-même sous la dépendance de l'instituteur. En effet, après une rupture, qui ferait les lettres, réglerait les comptes, dresserait les actes de l'état civil, se placerait au lutrin le dimanche, et même, à la rigueur, qui rédigérait la plainte au comité d'arrondissement? - Le curé? oh! il ne voudra pas se brouiller avec son sonneur de cloches, son donneur d'eau bénite, son chantre, son sacristain, et il fermera les yeux.

Condamnés par la plus simple prévoyance, ces deux comités le sont donc également par l'expérience.

La première condition d'un contrôle efficace, c'est la hiérarchie, c'est-à-dire la supériorité dans la spécialité ; voilà pourquoi nous eussions préféré que la loi instituât quatre degrés d'instituteurs, et fit contrôler les moins instruits par de plus capables; la perspective d'un avancement graduel est nécessaire dans toute organisation judicieuse, d'abord pour reconnaître ceux qui se font distinguer par leur aptitude et leur activité, ensuite pour entretenir l'émulation et récompenser le travail et la

bonne conduite. Il est à regretter que la loi ait négligé ce puissant mobile de discipline, d'ordre et de progrès. On paraît avoir en France une si grande frayeur de toute hiérarchie, qu'on lui préfère l'organisation laborieuse du désordre moral et matériel; et c'est justice à rendre à notre époque que de reconnaître qu'elle y réussit en proportion de ses efforts.

Nous ne tenterons pas de développer ici l'idée hiérarchique que nous avons présentée en une seule ligne; cela n'aurait pas d'utilité présente; nous nous bornerons à dire que cette idée se lie à un ordre de vues arrêtées sur une nouvelle organisation des quatre unités — communale,-cantonale,-arrondissementale,-départementale, organisation ayant au moins l'avantage de se mettre en rapport avec les besoins impérieux du commerce, et avec la nécessité de rendre les voies de communication plus faciles, et les moyens de transport plus rapides et plus économiques.

Telle que nous l'avons conçue, cette organisation a pour principes l'unité et la hiérarchie, et pour conséquence la simplification; elle laisse à la centralisation tous ses avantages, et la dégage de tous ses abus.

En ce qui concerne la matière spéciale que nous traitons, cette organisation résoudrait les principales difficultés que les progrès rencontrent dans l'instruction publique.

VII.

Établir dans chaque commune une école de filles, ou au moins, à défaut d'école spéciale, une classe distincte.

Tout projet de loi en faveur de l'instruction élémentaire qui néglige l'organisation des écoles de filles, ou qui ne l'établit que comme secondaire, n'atteint pas le but qu'il se propose.

Chaque jeune fille qu'on instruit devient, aussitôt qu'elle est mère, le moniteur de sa famille.

Il n'y a pas d'exemple d'une mère sachant lire et écrire, dont les enfants ne sachent ni lire ni écrire. Si des circonstances font qu'il soit impossible à une mère de se priver de ses enfants pour les envoyer à l'école, quels que soient ses soins et ses travaux, elle saura toujours trouver le temps nécessaire pour leur apprendre ce qu'elle pourra elle-même leur enseigner.

Si depuis trente années l'instruction des jeunes filles avait été l'objet de l'attention que nous réclamons pour elles, on pourrait à cette heure parcourir toute la France sans trouver un seul enfant au-dessous de quinze ans ne sachant ni lire ni écrire.

Il n'en est pas ainsi des pères de famille pris dans les classes laborieuses des villes et des campagnes; lorsqu'ils ne possèdent aucune notion élémentaire, ils se montrent généralement peu soucieux que leurs enfants les acquièrent; lorsqu'ils savent lire et écrire, on les voit rarement se donner la peine d'instruire eux-mêmes leurs enfants, ou seulement de les interroger au retour de l'école.

L'instruction d'un père de famille ne profite souvent qu'à lui seul; celle d'une mère de famille, au contraire, toujours se retrouve dans la personne de ses enfants.

Instruire les filles, c'est ouvrir une école au sein de chaque famille; ouvrez-leur donc une école, ou au moins une classe dans chaque commune.

Qu'il nous soit permis aussi de dire ici en quelques mots notre opinion sur l'instruction à donner aux femmes.

La question de l'instruction qu'il convient de donner aux femmes se réduit, selon nous, à des termes très-simples, bien qu'à notre avis ce soit peut-être l'une des plus importantes questions morales et politiques du siècle et de la société dans lesquels nous vivons.

Commençons d'abord par déclarer qu'en France toute tentative d'émancipation de la femme ou des femmes ne saurait jamais être sérieuse, le ridicule lui sera toujours

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