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fance, puisqu'on ne sait bien, on ne fait bien dans la suite que ce qu'on a bien su, bien fait dans le commencement.

C'est de l'instituteur que reçoit son instruction la jeunesse pauvre des villes, la jeunesse malaisée des campagnes, la jeunesse de la majorité dans le pays; celle qui constitue la première base de l'État, qui fait sa force et sa prospérité dans les camps, les champs et les ateliers; celle qui fait son danger et sa ruine dans les cabarets, les hôpitaux et les prisons; qui un jour fera sa récompense ou son châtiment dans les assemblées électorales; celle d'où sont sorties, à toutes les époques, des illustrations pour l'armée, la marine, l'église, la magistrature, les sciences, l'administration de la France et même pour l'Université royale, quand le fils du coutelier Rollin en était le recteur.

L'importance sociale de la fonction d'instituteur communal, l'incalculable influence de l'instruction élémentaire sur le développement des progrès agricoles, industriels et commerciaux et de toutes les branches de la richesse publique, nous paraissent n'avoir été qu'incomplétement appréciées par l'auteur de la loi du 28 juin 1855, par l'honorable et illustre M. Guizot; et à cet égard notre opinion se fonde, d'abord sur les termes mêmes de cette loi, conçus dans un esprit peut-être trop étroit, et ensuite sur la définition suivante qu'il a donnée de la profession d'instituteur :

« La carrière de l'instituteur primaire est sans éclat; il « n'y a point de fortune à faire, il n'y a guère de renom«mée à acquérir dans les obligations pénibles qu'il ac« complit. C'est sa gloire de s'épuiser en sacrifices à peine «< comptés de ceux qui en profitent.>>

Un ministre de l'instruction publique qui s'est exprimé en ces termes sur une profession à laquelle, au contraire, les plus grands encouragements sont nécessaires, donne à croire il nous en coûte de le dire de M. Guizot-que

deux facultés lui manquent à un degré éminent, la puissance de volonté qui soumet le présent, et la fermeté de prévision qui dispose de l'avenir !

Un jour viendra, un jour prochain, où la fonction d'instituteur ne sera pas moins briguée que celle de juge de paix, par exemple; où des hommes distingués se voueront à l'instruction de la jeunesse, sur les traces de Pestalozzi, y chercheront sinon la fortune, du moins l'aisance, la considération publique et la reconnaissance nationale.

De quel droit la société demanderait-elle aux instituteurs, selon l'expression de M. Guizot, « de s'épuiser en « sacrifices à peine comptés de ceux qui en profitent?»> A quel titre leur imposerait-elle une sublime abnégation, lorsqu'elle n'a pas même su être juste envers eux, lorsqu'elle n'a point compris qu'en négligeant de pourvoir à leur bien-être matériel', elle les privait d'indépendance, et sans indépendance point de considération, sans considération point de récompensé pour le maître, d'influence sur les élèves ou leurs parents?

Une si grande abnégation dans l'exercice de fonctions aussi pénibles que celles d'instituteur ne saurait être puisée que dans le sentiment religieux fortifié par l'esprit de congrégation, ou que dans la passion de la gloire entretenue par le lien militaire. Non! la société n'a lé droit ni d'exiger ni d'attendre une telle abnégation d'hommes qu'elle ne prend pas seulement la peine de choisir et de rattacher à elle, dont elle ne sait pas relever la condition à son juste niveau, exciter ni soutenir l'émulation, qu'enfin elle abandonne légèrement à l'arbitraire et à la parcimonie des conseils municipaux, tandis que les instituteurs communaux ne devraient être que des sentinelles avancées de la civilisation, posées à la porte de chacune de ces assemblées populaires par un gouvernement vigilant.

Comment, après 1850, après l'impuissance constatée

de la force armée contre la population insurgée, le gouvernement, aux prises avec la difficulté de conduire une société emportée par le vertige démocratique, n'a-t-il pas tout de suite compris l'immense parti qu'il pouvait tirer d'un corps de quarante mille instituteurs communaux, l'ayant à sa solde, se plaçant à sa tête, le recrutant sévèrement, le rétribuant largement, l'organisant fortement, au lieu de le disperser aveuglément; lui donnant enfin des chefs capables, une discipline sévère, une hiérarchie puissante?

Comment, nous nous le demandons encore à nousmême, le gouvernement n'a-t-il pas tout de suite compris l'importance sociale et la nécessité politique de se donner par la loi cette milice intellectuelle, intermédiaire entre l'armée et le clergé ?

Nous le disons avec regret, en cette occasion le gouvernement a manqué de prévoyance; M. Guizot, ministre de l'instruction publique, a manqué de présence d'esprit. Le secret de la force sociale, qui dans un gouvernement démocratique est contenu tout entier dans l'art de préparer l'opinion publique, de prévenir ses résistances, de prévoir ses écarts, d'adoucir ses pentes, de diriger ses tendances sans en violenter aucune, le secret de la force sociale ne leur est point apparu. L'avenir, dont il importait si essentiellement à l'État de s'emparer, lui est échappé des mains. Une faute, irréparable peutêtre, ayant pour cause une définition fausse, a été commise. M. Guizot ne s'est pas suffisamment rendu compte que l'homme aux prises avec le besoin n'obtient nulle considération aux yeux d'autrui, même aux siens; que réduit, pour vivre, à faire industrie de tout, l'instituteur devait être inévitablement contraint par la nécessité de se mettre au service de quiconque aurait à lui donner un décalitre de blé; que dès lors il ne se trouverait pas d'hommes dignes et capables qui vinssent de plein gré se dévouer à une condition précaire, dépendante et insuffi

samment rétribuée; tandis qu'il en eût été autrement si la loi eût fait l'instituteur indépendant du besoin, indépendant de la commune; si elle l'eût élevé dans l'État au rang de fonctionnaire public, n'ayant plus à s'occuper que de se faire distinguer par des études assidues dans l'exercice d'utiles et honorables fonctions1.

Mais ce que la loi du 28 juin 1833 n'a pas fait, une nouvelle loi le fera tardivement un jour ou l'autre; cela est inévitable. L'expérience réparera l'omission de la prévoyance. Avant qu'il se soit écoulé dix années, une disposition législative aura fait certainement de l'instruction élémentaire une dette de l'État et une obligation commune à tous les citoyens, ainsi que nous avons instamment réclamé que cela fût 2. Alors tout instituteur jouira

'On lit dans le rapport au roi sur la situation de l'instruction primaire pour 1837, distribué aux chambres législatives par M. de Salvandy, ministre de l'instruction publique :

"

Si le temps et l'expérience ne faisaient pas enfin revenir les autorités municipales à des vues meilleures, je n'hésiterais certainement pas à provoquer la réforme de l'article 14 de la loi du 27 juin. Rien n'est plus contraire au développement et au progrès de l'enseignement que l'état d'abaissement où les instituteurs se trouvent réduits par l'abus que font les conseils municipaux des droits qui leur sont attribués par cet article. Il résulte du relevé que j'ai fait faire, que le taux moyen'du traitement fixe des instituteurs ne s'élève, dans toute la France, qu'à 256 fr., et que le taux moyen du produit de la rétribution mensuelle ne dépasse pas cette même somme. Chaque instituteur devrait par conséquent élever sa famille avec un revenu total de 512 fr. par an. Cela peut suffire, à la rigueur, dans quelques communes rurales où les denrées sont à bas prix; mais il faut remarquer que dans ce taux moyen se trouvent compris les traitements de tous les instituteurs communaux des grandes villes, lesquels sont fixés à 1,000 fr., 1,200 fr. et 2,000 fr., ce qui réduit d'autant les autres.

« Il y a là une lacune réelle dans la loi. De toutes parts de malheureux instituteurs élèvent la voix et se plaignent de ne pouvoir subvenir à leur subsistance avec les faibles émoluments qu'ils retirent de leurs fonctions. Il n'est pas juste que des hommes voués à un ordre de travaux utiles et dignes d'estime continuent d'être ainsi exposés aux plus dures privations. «Je recueille tous les faits qui peuvent servir à éclairer et à fixer l'opinion sur les moyens de mettre un terme à leurs souffrances. >>

2 Voir la pétition que nous avons adressée, en décembre 1833, à la

du traitement public dont nous avons fixé le minimum à 750 fr., et plus le nombre des instituteurs se multipliera, plus leur position acquerra d'importance; mais alors l'instituteur devra résumer en lui toutes les connaissances nécessaires au développement des classes agricoles et industrielles; mais alors son enseignement devra être complémentaire de leurs besoins, pour leur sauver la nécessité d'aller dans les villes chercher un supplément d'instruction; mais alors non-seulement l'instituteur instruira l'enfant, mais encore il initiera l'adulte au mécanisme du corps social, lui montrera la place qu'il y occupe, l'action qu'il y porte, ce qu'il en reçoit, ce qu'il lui doit rendre; ensuite les maximes qui servent de première base à la législation rurale dont l'ignorance cause un litige permanent dans les campagnes,

et ces linéaments fondamentaux de la justice qui se lient par tant de rapports avec les obligations du chef de famille et du citoyen.

C'est considérée sous ce point de vue que nous n'hésitons pas à dire que la profession d'instituteur a l'avenir pour elle et qu'elle est infailliblement appelée à recevoir le trop-plein des professions libérales, actuellement encombrées.

Le temps n'est pas éloigné où l'instituteur sera placé dans l'ordre hiérarchique des professions après le prêtre, avant le juge, l'avocat et le médecin.

APTITUDE-Esprit droit et simple.-Égalité de caractère.- Amour de l'enfance.

INSTRUCTION NATIONALE:- - Premier et second degrés.
INSTRUCTION PROFESSIONNELLE:

normale. ment.

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- Séjour dans une école Étude spéciale des divers modes d'enseigne

Au nombre des obligations de l'instituteur primaire, il faut mettre non-seulement la lecture de livres qui concerChambre des députés, et qui a été déposée sur le bureau de son président par l'un de ses plus illustres membres, M. de Lamartine.

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