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S'ils sont fils de propriétaires, à la sortie du collège ils sont capables d'écrire avec verve, peut-être, un article de journal contre la routine de leurs fermiers ignorants; mais ils sont hors d'état de gérer leur patrimoine, d'aller prendre en main le soin de leurs intérêts négligés, de guider le fermier qu'ils accusent d'ignorance, d'améliorer leur terre; de juger si un instrument perfectionné remplit les conditions de son programme, si une découverte de la science est applicable à l'exploitation de leurs domaines, si tel exemple, dans une circonstance donnée, est utile ou nuisible à imiter.

S'ils sont fils de parents aisés, qu'ils aient la jouissance de leur fortune ou la disponibilité de capitaux sans emploi, avant que l'expérience leur ait fait payer chèrement ses leçons, ils sont hors d'état de gouverner leur fortune, de faire valoir leurs fonds sans les exposer. Combien de sources abondantes de richesses sont ainsi négligées ou restent inconnues, parce que, pour les mettre en valeur, il faudrait la réunion de capitaux et de lumières, qui seraient moins souvent séparés si l'homme riche, mieux instruit, cessait d'être dans la dépendance et dans la défiance de l'homme industrieux qui n'a rien; s'il pouvait chercher et trouver des plaisirs dans l'application de ses idées propres, au lieu de n'être qu'un instrument passif, et s'il n'était pas toujours retenu par la crainte que l'on n'abuse de son ignorance pour compromettre sa fortune!

C'est ainsi que naissent d'un système incomplet et arriéré d'enseignement tous les obstacles qui s'opposent à l'amélioration du bien-être social, également mal entendu par les classes riches et les classes pauvres.

Que tous les pères de famille retiennent ceci : leurs enfants n'ont de plaisir à dissiper leur patrimoine que parce qu'on néglige de leur donner les moyens de l'accroître en mettant en valeur leurs facultés intellectuelles, développées par une instruction rationnelle.

La circulation des capitaux n'est si lente, la science du crédit n'est si arriérée, tant de capitaux ne restent en France sans production que parce que l'homme qui les possède se défie de son ignorance, ou, en d'autres termes, de l'instruction qui a pu le faire briller un instant sur les bancs d'un collége, mais qui, dans le monde, expose sa crédulité à toutes les séductions de l'empirisme et de l'intrigue.

Voilà le mal profond que produit non l'unité, mais l'uniformité trop absolue des études universitaires, à une époque où il n'est plus possible d'acquérir ou de conserver de fortune que par le travail.

Le mal qui vient d'être signalé n'est pas encore le plus grand, puisqu'on a seulement fait mention des jeunes gens indépendants par leur fortune.

Il reste à parler de ceux nés de parents peu aisés, mais qui, dans leur tendresse extrême, n'ont épargné aucun sacrifice pour donner à leur fils une instruction classique, dans la fausse conviction qu'une telle instruction supplée la fortune.

Cela serait vrai si l'instruction publique suivait le mouvement des générations, si elle avait toujours pour but et pour résultat de marquer à chacun la place à laquelle il peut raisonnablement prétendre.

Mais il n'en est pas ainsi.

Et c'est là ce qu'il faudrait répéter chaque jour, de toutes les manières et sous toutes les formes, aux nombreuses familles qui, après avoir péniblement amassé quelques dizaines de mille francs, les consacrent à l'instruction de leur fils, sans rien garder pour le faire subsister quand il sera sorti du collége, d'une Faculté de médecine ou de droit.

Lorsqu'un écueil rend dangereux les abords d'une côte ou d'un port, le gouvernement y fait placer un fanal: ici rien n'avertit les parents des dangers auxquels ils livrent la destinée de leur fils; aucune voix ne leur crie qu'une

instruction trop pareille, imprudemment et indistinctement répartie aux enfants de toutes les classes, en jette un grand nombre en aventuriers dans la société, et perpétue au sein du pays les agents destructeurs du bienêtre qui naît de l'ordre et de la paix.

Pauvres jeunes gens!

Séparés de la foule par l'éducation, éloignés des rangs supérieurs par le défaut de fortune, écrasés dans leur sphère intermédiaire par de trop nombreuses rivalités, et contraints, malgré tout, de se montrer sous les dehors de l'aisance, par un dernier sentiment d'égard pour l'instruction qu'ils ont reçue, ces malheureux jeunes gens, s'ils sont ambitieux, capables, courageux, ne se voient d'autre avenir que les bouleversements politiques; s'ils sont laborieux, modestes, ils se résignent à accepter de minces emplois de commis, généralement moins rétribués que les travaux de gens à gages ou à la journée, au-dessus desquels la hiérarchie sociale ne semble les placer que pour se montrer plus exigeante envers

eux.

A la place d'un système d'instruction publique qui ne correspond qu'avec l'exercice des professions libérales, il serait à désirer qu'on en mît un autre moins uniforme et moins absolu, plus varié et mieux en harmonie avec chacune des fonctions que tout homme est appelé à exercer dans le double intérêt de son bonheur personnel et de la prospérité nationale.

La France sera promptement délivrée des dangers de cette masse flottante d'hommes détournés des travaux manuels par l'instruction qu'ils ont reçue, égarés par une fausse dignité, ne trouvant de place nulle part, ne pouvant vivre sans travail et sans emploi, lorsque chacun pourra être libre de se donner le genre et la mesure d'instruction qu'il saura convenir à son penchant et à sa fortune, lorsque les connaissances humaines seront méthodiquement classées et distribuées d'après leur ordre

d'utilité et dans une proportion calculée avec les besoins inégaux de la multitude.

L'instruction complémentaire, générale ou professionnelle, c'est-à-dire celle dépassant les bornes tracées à l'instruction élémentaire, spéciale ou nationale, laquelle, telle que nous l'avons réglée et définie, ne devrait plus s'entendre pour chacun que dans cette acception:

RÉUNION DES CONNAISSANCES THÉORIQUES NÉCESSAIRES A LA PRATIQUE DE LA Carrière que l'on doit suivre.

C'est de ce point de vue et en présence de notre état social que nous nous sommes demandé ce qu'il fallait faire pour donner à l'humanité des hommes de bonne sève et pleinement développés; à la famille des chefs éclairés capables d'y porter le bien-être et le bon exemple; enfin à la société active des membres utiles augmentant par leur travail la masse des lumières et des richesses.

Les connaissances de première nécessité, ce sont les faits de tous les ordres et leurs rapports avec les besoins de la génération qui s'élève.

Dans cette direction d'études, voici quelles nous ont paru être les meilleures règles à suivre :

Employer le moins de temps possible et ne faire étudier que ce qui est susceptible d'application immédiate. Mettre en harmonie la vie du collège et la vie du monde. Faire de l'une l'introduction de l'autre.

Faire de l'enfant l'agent principal de sa destinée sociale; lui donner le plus tôt possible des fonctions à remplir, afin qu'il gagne lui-même sa vie à l'âge où aujourd'hui il n'est le plus souvent que le parasite de la maison paternelle.

L'idée qui doit guider les père et mère dans le choix d'une profession, et la meilleure base de ce choix, c'est la connaissance des besoins de localité où l'enfant sera appelé à exercer l'état qu'on lui destine, et le calcul des chances de fortune et de considération que les diverses

professions peuvent présenter dans des circonstances données.

Depuis 1789, les générations se sont précipitées par torrents vers la Médecine, la Procédure, le Barreau, la Magistrature et l'Administration, comme professions et non comme objets d'études. Il est temps d'arrêter ce flot où tant d'espérances vont s'engloutir, où vont se perdre tant de jeunes talents. Ces professions sont aujourd'hui encombrées et très-difficilement abordables; les études qu'elles exigent absorbent des sommes qui, si elles étaient employées comme capital d'une profession productive, rapporteraient plus en beaucoup moins de temps.

Dans l'administration, il y a toujours pour le plus mince emploi une foule de concurrents presque impossible à traverser. Le mérite y a moins de chances que la faveur. La jeune génération doit se guérir de la manie des places.

Les professions qui ont de l'avenir sont toutes celles qui tendent à augmenter les lumières, les jouissances et le bien-être. Il faut que les propriétaires et les capitalistes apprennent à faire eux-mêmes fructifier leurs fonds. Que le propriétaire devienne agronome, que le capitaliste quitte l'agiotage pour l'industrie; aujourd'hui que ces professions exigent une haute aptitude et des connaissances étendues, c'est de ce côté que l'on trouvera le plus sûrement considération et fortune.

Ce qui manque aux parents pour bien diriger leurs enfants, c'est précisément cette instruction usuelle, qu'il serait si utile de répandre.

Une statistique comparée et détaillée des besoins de chaque localité en professions et en industries diverses, une sorte de prix-courant du travail régulièrement publiés, seraient les plus puissants remèdes aux crises industrielles et aux misères de l'indigence laborieuse. Si l'on savait avec précision où manque telle industrie, où telle autre prospère, on éviterait la disette et l'encombrement qui, dans notre mouvement industriel, si irrégulier,

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